La récente annulation des accords de pêche et d'agriculture entre le Maroc et l'Union européenne par la Cour de justice de l'UE ouvre une période d’incertitude qui pourrait bien redessiner les contours du commerce bilatéral entre les deux parties.
Par M. Boukhari
La CJUE a récemment invalidé des accords sur l’agriculture et la pêche conclus entre le Maroc et l’UE. Cette décision suscite légitimement des interrogations quant à son impact sur les échanges commerciaux bilatéraux. En effet, les produits agricoles représentent une part significative des exportations marocaines vers l'UE. En 2021, les exportations marocaines de fruits et légumes vers l'Europe ont dépassé 2,5 millions de tonnes, générant des revenus estimés à plus de 2 milliards d'euros.
Les tomates, les agrumes, les fraises et les olives sont parmi les principaux produits agricoles exportés par le Maroc vers l'UE. Par exemple, environ 30% des tomates consommées en Europe hors saison proviennent du Maroc. L’Espagne, en particulier, reste un important client pour le Maroc. Entre juillet 2023 et juillet 2024, les exportations marocaines en fruits et légumes frais vers l’Espagne ont augmenté de 10% à 698 millions d’euros, selon la Fédération espagnole des associations de producteurs et exportateurs de fruits, légumes, fleurs et plantes vivantes (FEPEX).
Diversifier les débouchés
Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (Comader), affirme que «l’Espagne est notre premier partenaire commercial, et l’Europe constitue notre principal marché. Cependant, nous sommes convaincus qu'il existe des solutions pour surmonter cette situation délicate. Le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et le Parlement européen soutiennent notre position et cherchent tous une issue à ce jugement de la CJUE». Benali juge par ailleurs qu’il est essentiel de rappeler que le Maroc et l’UE ont des traités qui doivent être respectés.
«Notre position est claire : toutes les provinces du Maroc sont marocaines, sans distinction. De plus, les échanges avec l’Europe sont déficitaires; nous importons plus que nous exportons. Il est donc dans l’intérêt tant des exportateurs européens que marocains de remédier rapidement à cette situation». Concernant la recherche de nouveaux marchés alternatifs, le président de la Comader estime que l’équation est loin d’être facile, étant donné que le Maroc exporte principalement des produits frais. «Le Moyen-Orient, par exemple, nécessite un transport aérien, ce qui est coûteux et ne s’applique qu’à certains produits à forte valeur ajoutée, comme les fruits rouges. Avec la Russie, des problèmes de paiement subsistent, et bien que l’Afrique offre un vaste marché, le Maroc se spécialise surtout dans les légumes», explique-t-il.
Et d’ajouter : «Quant à l’Amérique du Nord, cela nécessite des efforts et des distances importantes. Nous travaillons activement à diversifier nos débouchés, en organisant des salons à travers le monde pour explorer de nouvelles opportunités. Cependant, remplacer un client aussi important que l’Europe ne se fait pas du jour au lendemain». Benali demeure toutefois convaincu que l’Europe a un besoin crucial des produits marocains, en particulier de tomates hors saison. «En hiver, les tomates marocaines sont essentielles pour eux, car il leur est difficile de chauffer des serres, surtout avec la hausse des prix du gaz et les tensions avec la Russie. Ils n’auront d’autre choix que d’importer des tomates marocaines», révèle-t-il.
Une période de transition
Pour sa part, Mohammed Jadri, économiste, rappelle l’exemplarité des relations commerciales entre le Maroc et l’Espagne. «L'année dernière, les échanges commerciaux entre les deux pays ont dépassé les 20 milliards d’euros, faisant de l'Espagne le premier client et fournisseur du Maroc. De plus, le Maroc est le premier fournisseur de l'Espagne en dehors de l’Union européenne, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Ces relations solides doivent être renforcées dans les années à venir».
Concernant la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, Jadri souligne qu’il est important de noter «qu'il y aura une période de transition de 12 mois. Je pense que cette période sera largement suffisante pour le Maroc et l’Espagne afin de négocier avec l’Union européenne, et pourquoi pas, conclure un accord bilatéral. Il est essentiel de prendre en compte la législation européenne, mais également de considérer que ces 12 mois offriront au Maroc l’opportunité de diversifier ses marchés, qu’il s’agisse du marché britannique, de l’Europe de l’Est, de l’Asie, de l’Amérique du Nord, ou encore du continent africain». Et de poursuivre : «La qualité des fruits et légumes marocains pourra facilement trouver sa place sur d’autres marchés. Il est à noter qu’actuellement, un tiers du marché britannique des tomates provient du Maroc, et les échanges entre le Maroc et la Russie sont également significatifs».
Salon de Madrid
Du côté des producteurs exportateurs marocains, il n’y aurait aucune crainte à avoir, à en croire Lahoucine Aderdour, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de la production et de l’exportation de fruits et légumes (FIFEL). «Le Salon de Madrid a servi de plateforme essentielle pour renforcer les relations directes entre producteurs marocains et importateurs européens. La semaine dernière, plusieurs contrats et conventions ont été signés, précisant les quantités que chaque importateur s'engage à respecter durant la saison.
Lors de cet événement, rien n’a laissé présager d'inquiétudes du côté des importateurs européens concernant les produits marocains. Les producteurs et agriculteurs marocains poursuivent leurs activités normalement et maintiennent des contacts directs et réguliers avec leurs clients sur l'ensemble du marché européen. À ce jour, aucune réaction n'a été formulée en réponse au jugement», indique Aderdour. Selon lui, les producteurs exportateurs continuent de suivre leur calendrier habituel et ont déjà entamé les processus d’exportation.