Maroc. Libre-échange: faut-il dépoussiérer Friedrich List ?

Maroc. Libre-échange: faut-il dépoussiérer Friedrich List ?

Turquie, Egypte et désormais Tunisie  : la liste des pays réfractaires au respect des règles du libre-échange qui nous lient à eux s’allongent. Le Maroc a décidé depuis à peu près 2 ans de réagir avec fermeté. Un peu trop tard pour certains, mais mieux vaut tard que jamais pour d’autres. Un changement d’attitude qui fut initié en 2020 par Moulay Hafid Elalamy, à travers un bras de fer avec une Turquie conquérante sur différents marchés au Maroc, mais en recourant à des moyens peu orthodoxes. Le Maroc obtint gain de cause à travers un accord bipartite sur un avenant de l’ALE qui permit de mettre en place une liste négative de produits turcs qui feront l’objet de droits de douane à hauteur de 90%.

Un rééquilibrage qui a ouvert la voie au Maroc à une nouvelle manière d’aborder les accords de libre-échange, celle de la fermeté et de la réciprocité. Ce fut également l’occasion de casser un mythe en actant définitivement que le monde en apparence sympathique et vertueux de la mondialisation et du libre-échange, est en réalité un énorme champ de bataille économique de tous contre tous, où globalement tous les coups sont permis. Or, le Maroc, qui jusqu’à présent n’a pas grand-chose à se reprocher sur ce terrain, n’a pas non plus à subir dans le silence et la passivité les violations commerciales de ses partenaires. D’où la nécessité de libérer le libreéchange d’une mission qui n’est pas la sienne, celle de servir de rapprochement diplomatique entre les Etats, et de le réinvestir du point de vue de l’analyse et de la théorie économique. Sur ce terrain, Friedrich List, grand penseur du protectionnisme autant que du libre-échange devant l’éternel, a encore des choses à nous dire et à nous apprendre. Pour le théoricien allemand, loin de s’opposer au libreéchange, contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs, il en fait le but ultime de chaque nation, mais à condition de bien s’y prendre.

En disant «le protectionnisme est notre voie, le libre-échange notre but», List préconise une approche structurelle et organique du commerce international. Pour ce dernier, le libre-échange n’est pas bon, soit il l’est quand les termes de l’échange sont équilibrés et quand le différentiel technologique et économique entre les deux nations ne sont pas abyssaux. Car oui, il y a des pays qui ne boxent pas dans la même catégorie, et conclure un accord de libre-échange dans ce cas ne peut revêtir qu’un caractère idéologique et dysfonctionnel qui, loin de rapprocher les deux pays, finira par créer des tensions du fait de son caractère délétère sur l’un des deux pays.

L’asymétrie en termes de niveau de développement exclut de fait tout accord global de libre-échange, et ne peut donc porter que sur des produits qui s’inscrivent de part et d’autre dans un schéma de complémentarité. Dans une phase d’émergence économique comme c’est le cas pour le Maroc, le protectionnisme est un instrument parmi d’autres permettant de réajuster les termes de l’échange, tout en protégeant les industries fragiles et émergentes. A condition que les mesures protectionnistes mises en place par l’Etat soit temporaires et s’inscrivent dans une démarche contractuelle avec lesdites industries. Il ne s’agit aucunement de créer des situations de rentes locales, mais d’offrir un répit et une période de mise à niveau aux industries considérées comme des futurs leviers de développement, en vue d’aller graduellement vers un schéma de libre-échange.

Dans le cas contraire, le libre-échange prend irrémédiablement la forme d’un cheval de Troie, dont l’un des deux pays fera les frais. Le secteur marocain du textile peut amplement en témoigner. Il en résulte qu’une pratique inadéquate du libre-échange nous met à terme face à un danger contre lequel Friedrich List n’a eu de cesse de mettre en garde, notamment dans son célèbre essai «Système national d’économie politique» publié en 1841, en disant : «Cette théorie (du libre-échange) vantée n’aurait été construite si large et si haute que pour cacher des armes et des soldats, comme un autre cheval de Troie, et pour nous porter à abattre de nos propres mains les murs qui nous protègent». La théorie économique n’a donc de pertinence que quand elle prend en compte les impératifs du réel. Ainsi, le libre-échange c’est bien, s’y préparer en le rendant possible et profitable, c’est encore mieux. 

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

 

 

 

 

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