Loi sur la S.A.: la culture du «Old Boys Club», un frein à la féminisation des organes de gouvernance

Loi sur la S.A.: la culture du «Old Boys Club», un frein à la féminisation des organes de gouvernance

La loi 19-20 modifiant et complétant la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes, adoptée en juillet 2021, entend apporter plus d’équilibre au niveau de la représentativité des femmes au sein du management des entreprises.

Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au Barreau de Casablanca, Managing Partner Roudane & Partners Law Firm, présidente de la Commission juridique et fiscale de la CFCIM.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui de la représentation des femmes dans les organes de gouvernance au Maroc ?

Me Nesrine Roudane : Les dernières statistiques, notamment celles du HCP, où l'on constate que les femmes sont très peu représentées dans les organes de gouvernance des entreprises, restent en dessous des aspirations de la société marocaine. Cette représentativité est meilleure dans les TPE et PME, alors qu’elle l’est moins dans les grandes entreprises. On constate également que les femmes dirigeantes sont plus présentes dans le secteur des services (17,3%), suivi par le commerce (13,8%), l’industrie (12,6%) et enfin la construction (2,6%). Le constat est le même dans la fonction publique où seulement 23,5% des femmes occupent des postes de responsabilité. La représentativité de la femme dans la sphère politique s’est nettement améliorée, mais on est encore loin de la parité et le plafond de verre est loin d’être brisé.

 

F.N.H. : Quels sont pour vous les freins qui bloquent l’accès des femmes aux instances de gouvernance ?

N. R. : Le poids de la tradition constitue un véritable frein à la féminisation des organes de gouvernance. La féminisation des sphères de pouvoir représente une transformation sociale nécessitant souvent une intervention légale pour aller à l’encontre de préjugés et des barrières structurelles, culturelles, organisationnelles et individuelles. L’un de ces freins est la culture du «Old Boys Club», selon laquelle les Conseils d’administration restent encore un cercle composé essentiellement d’hommes. La taille des Conseils d’administration et le processus de «recrutement» des administrateurs peut également jouer un rôle significatif dans la féminisation des organes de gouvernance : plus restreint est le Conseil d’administration, moins il comportera de femmes et inversement. De même, le «scouting» des profils des administratrices est souvent plus difficile parce que les femmes sont souvent moins visibles, publicisées, listées... Le manque de confiance dans le leadership féminin est aussi un frein, puisqu’on va prétexter le manque d’expérience, de connaissances, de motivation, voire de visibilité des femmes, etc. Sans oublier que certains secteurs d’activité demeurent à ce jour perçus comme masculins. Le rôle des réseaux et des alliances où les femmes peuvent être pénalisées par une présence moins importante dans les réseaux d’affaires, n'est pas à négliger non plus. A cela, on peut ajouter l’appréhension de se retrouver seule ou minoritaire au sein des Conseils d’administration, d’où la nécessité d’avoir des «Rôle models» d’administratrices pour encourager les plus réticentes.

 

F.N.H. : Comment peut-on améliorer la représentativité des femmes dans les instances de gouvernance publiques et privées aujourd’hui ?

N. R. : La parité étant un principe constitutionnel qui découle de l’article 19 de la constitution du Maroc, plusieurs démarches peuvent être adoptées pour améliorer la représentativité des femmes dans les instances de gouvernance publiques et privées. La politique des quotas a fait ses preuves dans tous les pays où elle a été introduite et le droit peut être un levier pour assurer une meilleure représentativité de la femme au sein des instances de gouvernance. D’ailleurs, la dernière évolution législative en la matière remonte à juillet 2021 où la diversité dans la composition des Conseils d’administration et de surveillance des sociétés faisant appel public à l’épargne a fait son entrée dans le droit marocain. Cette loi vise une représentation des femmes dans les organes de gouvernance, avec pour objectif 30% à compter de janvier 2024 et 40% à compter de janvier 2027. L’action affirmative ou la discrimination positive atteste de la volonté d’assurer une meilleure représentation des femmes, mais des efforts restent à fournir pour une véritable distinction du leadership féminin via l’élargissement du champ d’action et l’instauration entre autres du «Commit & Report» ou encore du «Comply or Explain».

 

F.N.H. : Quelle analyse faites-vous de l’amendement de la loi sur la S.A qui oblige les entreprises à plus de parité dans leurs organes de gouvernance ?

N. R. : Les organes de gouvernance, notamment les Conseils d'administration, jouent un rôle crucial dans la vie entrepreneuriale, et force est de constater que la présence des femmes dans ces organes reste minoritaire. La loi 19-20 modifiant et complétant la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes adoptée en juillet 2021 vise à y remédier en apportant plus d’équilibre au niveau de la représentativité des femmes au sein du management des entreprises. En adoptant ce texte, le Maroc affirme son engagement en faveur de l’égalité des genres en introduisant un quota progressif et en mettant en place des mesures affirmatives transitoires (affirmative action). Ce texte vise à instaurer un équilibre de genre de 30% au bout de trois ans (janvier 2024) et 40% au bout de six ans (janvier 2027) dans la composition des Conseils d’administration (article 39) et des Conseils de surveillance (article 83) des sociétés faisant appel public à l’épargne. Ce quota étant limité aux sociétés faisant appel public à l’épargne, de grands efforts doivent être fournis pour parvenir à une parité appliquée de l’ensemble des entreprises marocaines.

 

F.N.H. : Répondre à cette obligation de représentativité peut-elle, d'une forme ou d'une autre, nuire à la performance des entreprises ?

N. R. : Ce nouveau texte s’inscrit dans les efforts d’harmonisation du cadre législatif marocain avec les standards internationaux en renforçant la performance et la présence du leadership féminin. De nombreuses études se sont penchées sur les incidences de la présence des femmes administratrices sur la performance organisationnelle et la gouvernance, et d’autres sur la performance financière ou boursière des sociétés  : la plupart confirment un effet positif de la mixité dans les organes de gouvernance où le compromis, la collaboration et le développement du travail en équipe sont favorisés. Il ne faut pas perdre de vue que l’efficacité des organes de gouvernance est dépendante de la composition, la taille et le fonctionnement des Conseils d’administration qui permettra de réussir le passage vers la gouvernance «coopérative». L’obligation légale de représentativité de femmes dans les organes de gouvernance enclenchera nécessairement des changements dans la culture managériale des entreprises en adoptant des mesures spécifiques pour l’accès des femmes aux responsabilités exécutives, leur donnant ainsi les outils nécessaires pour réussir leur mandat.

 

F.N.H. : Y a-t-il un lien direct entre la gouvernance au féminin et la performance de l’entreprise ?

N. R. : Toutes les études sérieuses nationales et internationales démontrent que les femmes sont un levier de croissance, mais qui n’est pas apprécié à sa juste valeur. La corrélation entre mixité et performance n’est plus à démontrer. La diversité est la clef de la performance. Les entreprises dirigées par les femmes affichent souvent une meilleure rentabilité. Et celles qui ont développé la mixité dans leur management ont augmenté leurs bénéfices de 5 à 20%. C'est pourquoi la mixité est considérée, aujourd’hui, comme une stratégie d'affaires intelligente. 

 

 

 

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