Driss Effina, professeur d'économie, président du Centre indépendant des analyses stratégiques
A la veille des Assises de la fiscalité, les débats entre experts battent leur plein.
Driss Effina explique pourquoi une réforme de la fiscalité ne peut se limiter à des ajustements strictement techniques.
Au niveau des régions, la mise en place d’une fiscalité spécifique est un impératif.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Vous avez travaillé sur plusieurs études sur la fiscalité des régions. Quels sont les grands enseignements que vous en avez tirés ?
Driss Effina : Les régions ont besoin de ressources et ne doivent pas être dépendantes du pouvoir central pour recevoir les dotations budgétaires nécessaires. A cet égard, le dispositif fiscal ne doit plus être centralisé mais régionalisé et conçu en fonction des capacités, des besoins et des spécificités de chaque région. Dans les régions montagneuses la vie économique et sociale n’est pas la même que dans les régions côtières.
Plusieurs études ont montré que des territoires n’arrivent pas à attirer suffisamment d’investisseurs à cause d’un climat des affaires peu favorable (faiblesse des infrastructures, indisponibilité des ressources humaines, éloignement des marchés…), d’où une distorsion compétitive entre les territoires. La fiscalité est un moyen pour réduire cette disparité.
F.N.H. : La réforme doit-elle être purement technique, ayant trait aux taux ou à l’assiette, ou doit-elle comprendre d’autres volets ?
D. E. : Il est regrettable de voir que quand le législateur élabore des textes à caractère fiscal, il ne pense pas assez aux entreprises. Son seul objectif est de renflouer les caisses de l’Etat. La création d’emplois, de valeur ajoutée ou la compétitivité des entreprises sont le dernier de ses soucis.
Tous les économistes s’accordent pour affirmer que l’impôt n’a pas seulement un rôle budgétaire mais aussi économique et social. Le tissu entrepreneurial au Maroc a été cannibalisé par l’Etat. Notre taux de croissance fiscale dépasse largement celui de la croissance économique. Il s’agit d’une pression fiscale démesurée, dépassant de loin le niveau de développement du pays.
On ne peut se limiter à des ajustements strictement techniques. Par le passé, ces dispositions n’ont créé que des effets contreproductifs et ont rendu l’activité des entrepreneurs encore plus compliquée. Pour rendre l’entreprise compétitive dans les régions, il faut des réformes économiques de grande ampleur et à plusieurs niveaux.
Le chapitre 2 de la loi sur la régionalisation donne aux régions des attributions pour améliorer leur attractivité. Pour ce faire, elles ont besoin d’un cadre fiscal adéquat, qui prenne en considération leur environnement socioéconomique.
La fiscalité marocaine est caractérisée par une multiplicité de taxes et impôts au niveau des territoires. Pour bien les gérer, il faut simplifier le système et le rendre plus clair pour le contribuable en réduisant leur nombre.
F.N.H. : Peut-on envisager alors un schéma de fiscalité régionalisée à l’image de ce qui existe en Allemagne ou en Espagne ?
D. E. : Normalement, c’est ce qui devrait être fait. Par exemple, une région qui veut développer le tourisme, ne doit pas être redevable de la taxe touristique.
Les entrepreneurs désirant investir dans ce secteur doivent avoir des dérogations ou des exonérations fiscales. Le système allemand par exemple est décentralisé. Les Lands ont beaucoup d’autonomie et gèrent environ la moitié des recettes directes.
F.N.H. : Dans les régions, le rendement de l’impôt devrait se poser avec acuité ?
D. E. : Actuellement, le rendement de l’impôt diffère entre les impôts et taxes à caractère national et ceux à caractère local.
L’administration centrale est bien outillée pour le recouvrement et le contrôle des contribuables. Ce qui n’est pas le cas des communes. Il est nécessaire de déployer des ressources humaines suffisantes et des investissements au niveau du matériel informatique pour améliorer le rendement.
Pour certains impôts comme la taxe d’habitation, l’Etat perd des milliards de DH à cause de ces lacunes.
F.N.H. : Pourquoi faut-il mettre en œuvre au plus vite le projet de régionalisation avancée ?
D. E. : On constate de plus en plus une mobilité démographique des régions pauvres vers les régions riches. Ce n’est pas seulement de l’exode rural mais c’est une immigration inter villes. Depuis quelques années, on assiste à un épuisement de plusieurs villes qui étaient jadis connues pour leur performance économique comme Fès, Meknès, Béni Mellal, Settat… Leurs habitants les plus dynamiques recherchent de nouvelles contrées, aussi bien au niveau national qu’à l’étranger, pour s’installer et se lancer dans une nouvelle vie.
Malheureusement, ces régions présentent un solde migratoire négatif. On ne peut avoir un Maroc à deux vitesses. ◆