La croissance mollassonne qui caractérise l’économie du Maroc depuis quelques années, est l’une des plus sérieuses menaces qui pèsent sur la stabilité du Royaume. Cette idée partagée par bon nombre d’économistes a été magistralement illustrée par Hamid Bouchikhi, professeur à l’Essec business School de Paris, lors d’une conférence de presse sur la PME organisée conjointement par Inforisk et nos confrères du magazine Economie Entreprises.
«Le Maroc est un bus bondé tracté par un moteur de 2 CV» : c’est par cette formule que Bouchikhi résume la situation dans laquelle se trouve l’économie du Royaume. En des termes moins imagés, le moteur économique du pays est largement sous-dimensionné. Il existe une forte distorsion entre la puissance du moteur économique (une croissance du PIB de 4% les bonnes années et 1,5% les mauvaises) et ce qu’il doit tracter (34 millions d’habitants majoritairement jeunes).
Chiffre d’affaires de Carrefour
«La croissance est une urgence nationale » assure Bouchikhi qui en quelques chiffres dépeint un tableau peu reluisant de l’économie marocaine. La création de richesse reste ainsi très en deçà de ce qu’elle devrait être, et le «gâteau» demeure trop petit. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le PIB national dépasse à peine les 100 milliards de dollars. «C’est à peu de chose près le chiffre d’affaires du groupe Carrefour», lâche froidement Bouchikhi. Le PIB par tête est limité à 3.000 dollars par habitant, «et ces trois mille dollars sont très inégalement distribués», renchérit le professeur.
Sur le front de l’emploi, la situation est tout aussi préoccupante. Notre économie crée tout juste 30.000 emplois par an, toutes catégories confondues, quand dans le même temps, l’enseignement supérieur met sur le marché du travail pas moins de 80.000 diplômés annuellement. Le taux de chomâge, a priori plutôt bas, ne doit pas être pris en compte. «Au Maroc, le taux de chômage ne veut rien dire, il faut voir le taux d’activité qui est incroyablement bas autour de 47%». Et d’ajouter : «C’est cela qui donne des Zefzafi» !
Jihad économique
Comment sortir de cette spirale négative ? Comment donner véritablement un coup de fouet à la croissance de manière durable ? L’Etat ne peut pas tout faire, prévient d’emblée Bouchikhi, et a déjà fait beaucoup. Les IDE ? « Il ne faut pas en attendre de miracle, et ce n’est pas ce qui amorce le décollage économique d’un pays». Les start-up ? «La solution à court terme ne viendra pas des start-up. Il y a urgence, on ne peut attendre 5 à 10 ans ». Pour lui, le levier numéro 1 pour le décollage est l’investissement privé, c’est-à-dire celui des entreprises. Problème : culturellement, les entrepreneurs marocains et les chefs d’entreprises manquent souvent d’ambition et ne sont pas conquérants. S’adressant à plusieurs d’entre eux présents à la conférence, Bouchikhi n’y va pas par quatre chemin pour susciter chez eux un sursaut patriotique : «Dans les circonstances où nous sommes, votre entreprise n’est pas que votre affaire. Si l’élite économique ne prend pas ses responsabilités, qui va le faire ?». Il prône ainsi une forme de patriotisme économique, une sorte de «jihadisme économique» pour amorcer un véritable décollage du pays.
Certes, pour les entreprises, tout n’est pas si facile au Maroc. Elles sont généralement jeunes (64% des entreprises au Maroc ont moins de 10 ans) de petites tailles et sont pour la plupart sous-capitalisées. Uniquement 7,5% des entreprises au Maroc font un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions de DH. Par ailleurs, elles souffrent de problème de financement. «Le crédit inter-enreprise à dépassé le crédit bancaire et croit à un rythme deux fois plus rapide. Il est de 373 milliards de DH, et est financé en grande partie par l’allongement des délais de paiement. Le nombre des entreprises exportatrices est de 8.000, et pour la moitié d’entre elles, le chiffre d’affaire à l’export ne dépasse pas 1 millions de DH, a tenu a rappeler Khalid Ayouch, PDG d’Inforisk. Bref pas facile pour les entreprises privées de jouer leur rôle de moteur.
Mais, ajoute Bouchikhi, les espaces vitaux sont là (Afrique, etc.), les incitations aussi. Et il ne faut pas tout mettre sur le dos des banques, qui rechigneraient à mettre la main à la poche. « On ne peut pas demander à la banque commerciale d’agir comme un investisseur », explique-t-il. Le capital investissement pourrait de ce point de vue jouer un rôle primordial. «Le capital investissement est encore à ses débuts, mais il se développe. Il y a beaucoup d’argent qui ne cherche que des opportunités d’investissement. La limite n’est pas l’argent, c’est le nombre et la qualité des projets», conclut Bouchikhi. Avant de se mettre à rêver à voix haute : «imaginez si demain les 500.000 entreprises que comptent le Maroc recrutent chacune une personne… ».
A. Elkadiri