Le modèle immobilier marocain, basé sur la propriété, serait en cours de saturation. Face au climat d’attentisme régnant, le locatif s’annonce comme une alternative sérieuse.
Le ministre de l'Habitat et de la Politique de la ville, Mohamed Nabil Benabdallah, s’est montré satisfait du bilan de son mandat, à quelques mois des échéances législatives. «Tous les indicateurs du secteur sont dans le vert», a-t-il affirmé lors d’un débat sur la «Relance de l’immobilier au Maroc», organisé dans le cadre du Cycle de conférences du Conseil national de l’habitat. En effet, constate-t-il, «de 2011 à aujourd’hui, le déficit en logements au Maroc est passé de 840.000 à 500.000 unités, et tout porte à croire que nous nous acheminons vers l’objectif engagé de 400.000 unités d’ici la fin de l’année». Le ministre saisit l’occasion pour présenter aux membres du Conseil national de l’habitat, les résultats de trois études initiées par son département. L’enquête menée auprès des bénéficiaires des opérations de recasement de ménages de bidonvilles révèle un taux de satisfaction supérieur à 90% et une amélioration de près de 27% du taux de pauvreté. Une autre étude estime la demande en logements à plus de 1,5 million d’unités, ce qui correspond, selon le ministre de tutelle, à une demande de nouvelle nature (les gens aspirent à améliorer leur logement en recherchant une superficie plus élevée, voir s’installer en centre-ville, etc.).
Le satisfecit dégagé par ces enquêtes n’a pas empêché le ministre d’exprimer sa déception quant au bilan des réalisations sur le segment du moyen standing dédié à la «clase moyenne». «Les mesures introduites pour encourager le locatif et le logement de la classe moyenne n’ont pas donné les résultats escomptés, dixit Benabdallah. Même si le prix du logement «moyen» a été augmenté de 6.000 à 7.200 DH le mètre carré, les promoteurs ne s’y ont pas intéressé et réclament, plutôt, des exonérations fiscales, chose que le ministère des Finances rejette de manière catégorique. Les rares projets lancés dans ce segment ont été enregistrés hors des grandes villes et en dehors des conventions signées avec l’Etat.
La crise exclue, plutôt un effet palier
Si le ministre de tutelle pense qu’il y a un tassement de l’immobilier et non pas une crise, le PDG de CIH Bank, Ahmed Rahhou, préfère, quant à lui, évoquer un «effet palier» et un problème d’adaptation entre l’offre et la demande. Au moment où le crédit aux particuliers continue de croître à un rythme normal, celui octroyé aux promoteurs immobiliers accuse une baisse de 10%, de 70 à 60 milliards de DH entre 2015 et 2016. Ces derniers seraient en train de liquider leurs stocks, explique Rahhou, excluant le scénario d’une bulle, puisque le stock en logements reste inférieur à la demande disponible.
Le PDG de CIH Bank estime que l’offre ne correspond pas à la nature de la demande en termes de standing, de choix de quartier ou de ville. Cette situation, conclut Rahhou, soulève un problème de gestion territoriale (mobilité), outre la question des capacités de financement, voire d’endettement, notamment chez les jeunes.
Ce climat d’attentisme caractérisant le secteur de l’immobilier, notamment du côté des investisseurs, malgré son rendement jugé élevé, est lié au niveau de risque qu’il présente, ainsi qu’à la complexité des procédures administratives et à la cherté du foncier, souligne Rahhou. Au-delà de 1.000 DH/mètre carré, le foncier perd son attractivité pour le logement social. Si l’on résout le problème de l’accès au foncier et si l'on fluidifie les procédures, les promoteurs auront tendance à accepter une prime de risque couplée à un niveau de rendement raisonnable, estime Rahhou qui se montre préoccupé par cette thématique de par également sa qualité de président de la Commission des affaires économiques au sein du Conseil économique, social et environnemental. Il reste convaincu que le Maroc est en train de saturer son système immobilier, basé essentiellement sur la propriété. Pour lui, le salut viendra du locatif.
W. El Mouden
La gestion des ensembles immobiliers laisse à désirer
Pour dynamiser ce marché, Rahhou invite à revoir, voire alléger les dispositions encadrant notamment le logement social, en particulier celle interdisant la location des appartements de ce segment, ou encore celle interdisant leur vente dans un délai de huit ans suivant l’opération d’achat. Ces restrictions réglementaires n’ont d’ailleurs pas empêché la location des unités du logement social de se développer en toute illégalité. Le locatif, adossé à un rendement variant entre 6 et 10%, souligne Rahhou, peut drainer une grande masse d’épargne (800 milliards de DH de dépôts chez les banques), sachant aussi que le rendement des comptes sur carnet reste inférieur à 2%.
Encore faut-il régler les rapports de force «juridiques» entre les propriétaires et les locataires (actuellement en faveur de ces derniers). Enfin, conclut Rahhou, la gestion des résidences et des ensembles immobiliers laisse à désirer et impose une réflexion sur des syndics professionnels qui veillent sur l’amélioration des prestations et sur le paiement des droits.