La réputation numérique est un enjeu prioritaire du marketing moderne. Elle façonne indiscutablement l’image de l’entreprise à travers le web et le regard de la société porté par les avis des internautes via les réseaux sociaux.
L’e-réputation est indéniablement un actif immatériel stratégique pour l’entreprise.
Entretien avec Me Nesrine Roudane, présidente de la Commission juridique et fiscale de la CFCIM, médiatrice commerciale et arbitre associée en charge du bureau de Casablanca Al Tamimi & Company.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Tout d’abord, en quoi consiste l’e-réputation pour une entreprise ?
Me Nesrine Roudane : L’e-réputation représente l’ensemble des éléments qui constituent l’image d’une société sur Internet. Elle regroupe deux angles d’analyse : les éléments que la société met en évidence elle-même et les éléments que les internautes disent et font ressortir de la société. L’e-réputation est essentiellement forgée sur les réseaux sociaux les plus importants et qui forment la source d’information et de communication principale des internautes. L'étude e-réputation 2020 d'Alterbuzz a fait ressortir que le réseau social LinkedIn constituerait à lui seul 56% des lieux d’influence, selon les responsables d'entreprise interrogés. A noter également que de nombreux nouveaux outils de notation et d’évaluation de sociétés viennent continuellement faire leur apparition. L’e-réputation correspond donc à l’ensemble de l’image d’une société sur Internet.
F.N.H. : En quoi l’e-réputation estelle importante ? Et quels en sont les enjeux ?
Me N.R. : Il n’est plus à démontrer que l’e-réputation est indéniablement un actif immatériel stratégique pour l’entreprise dont le contrôle peut des fois s’avérer difficile. Étant donné que l’e-réputation comprend également tout ce que disent ou transmettent les internautes, cette variable échappe au contrôle de la société. Il convient d’y apporter une attention toute particulière et continue, car c’est ce qui fait que la société aura une bonne ou mauvaise réputation externe. Si la société jouit d’une bonne réputation avec une augmentation des bons avis, cela apportera, en toute logique, une augmentation des clients, des commandes conséquentes et donc du chiffre d’affaires de la société. S’il se développe, a contrario, une mauvaise réputation autour de la société avec une augmentation des mauvais avis, il se répercutera avec une baisse des clients/ prospects, et donc une réduction des commandes et un recul du chiffre d’affaires. L’e-réputation peut amener à faire ou défaire tout un projet entrepreneurial. L’autre principal enjeu sous-jacent est la question de la réputation en ligne, mais qui est issue de faux avis, de diffamations volontaires ou de concurrence déloyale, par exemple. Il est important de marquer ici l’importance de la volonté de nuire; il convient de distinguer les différentes actions possibles ! L’e-réputation sous-entend également une utilisation et une gestion exemplaire, respectueuse des différents canaux de communication. L’e-réputation comporte donc de gros risques au niveau financier, légal, éthique et managérial.
F.N.H. : Quels sont les ingrédients de base pour bien la maîtriser ?
Me N.R. : Au niveau interne à la société, afin de se prémunir contre toute atteinte à l’eréputation qui pourrait provenir des salariés, il convient de leur prodiguer régulièrement une mise à jour quant aux informations professionnelles auxquelles ils ont accès afin de les informer sur la confidentialité ou pas de ces données et de les sensibiliser aux risques et enjeux encourus (les contrats de travail peuvent contenir des clauses de confidentialité ou de responsabilité pour les salariés disposant d’informations sensibles). La société peut également mettre en place une charte relative à la protection des données. Il convient de rappeler que l’article 39 du Code du travail considère la divulgation d’un secret professionnel comme faute grave, motif de licenciement. Au niveau externe à la société, l’e-réputation est marquée, tout d’abord, par la bonne gestion des réseaux sociaux et de la communication en ligne. Un Community manager sachant réaliser une communication efficace, mais également sachant faire face aux différents retours est très important. D’un point de vue juridique, il n’existe pas d’arsenal spécifique à l’e-réputation. Le volet judiciaire doit être utilisé en dernier recours (force de sanction peu adaptée compte tenu des difficultés de preuve et des lenteurs procédurales).
Après épuisement des moyens de règlement à l’amiable, mais surtout après la mise en place d’une Soft law efficace au sein de chaque entreprise soucieuse de sa réputation (approche proactive et préventive). Actuellement, la défense juridique de l’eréputation peut se baser sur des textes très disparates : le Dahir formant code des obligations et des contrats, qui couvre dans son article 77 la réparation des dommages conséquents à une responsabilité délictuelle, le Code pénal, qui englobe la diffamation, l’injure, la dénonciation calomnieuse et l’atteinte à la vie privée, le Code de la presse, la loi 08-09 relative à la protection des données personnelles et la loi n°53-05 sur l’échange électronique des données juridiques. La jurisprudence concernant les questions de e-réputation est en construction compte tenu du développement du fléau et de la multiplication des recours. Pour résumer, il y a trois actions possibles: civile, commerciale et pénale qui permettent, en fonction des situations, des moyens de preuve et de l’urgence, d’aboutir à des solutions plus ou moins satisfaisantes. Néanmoins, la solution à privilégier lors de la survenance d’un litige concernant l’e-réputation est le mode de règlement alternatif des différends qu’est la médiation, pour justement trouver une résolution rapide du différend. Pour rappel, la médiation, quand elle est possible, est un processus bien moins coûteux et beaucoup plus rapide qu’une procédure judiciaire.
F.N.H. : Quels sont les leviers qui peuvent contribuer à l’amélioration de l’image de l’entreprise ?
Me N.R. : Un bon encadrement de la communication interne et externe à la société forment une combinaison gagnante permettant de contribuer à l’amélioration de l’image de la société, tout en mettant en place la «Soft law» nécessaire via les contrats, les clauses, les chartes, les procédures et les formations relatives à l’é-réputation et qui permettent des réponses efficaces et rapides.
F.N.H. : A contrario, quelles peuvent être les conséquences d'une crise de réputation pour l'entreprise ?
Me N.R. : L’e-réputation relève de la stratégie à mettre en place par la société. Il faut bien connaitre les conséquences encourues dans le cadre de l’e-réputation afin d’optimiser l’encadrement des risques. Ces risques sont liés aux modes de gestion de la société. Il ne faut pas oublier que l’e-réputation est un risque à gérer que le dirigeant d’une société peut mettre en jeu sa responsabilité après la survenance d’une faute de gestion. Les associés, salariés, fournisseurs ou tout tiers ayant subi un préjudice suite à une faute de gestion peuvent demander à engager la responsabilité des dirigeants responsables de cette faute. D’autres risques réglementaires et éthiques entrent en jeu lors de la gestion de l’eréputation de la société. Des autorités de contrôle et de régulation, avec des pouvoirs quasi juridictionnels, exercent un contrôle très strict (Cour des comptes ou institutions parlementaires pour les entreprises publiques, Conseil de la concurrence, la Haute autorité de l’audiovisuel, l’Agence nationale de règlement des télécommunications, la Commission nationale de la protection des données à caractère personnel, etc.).
F.N.H. : Quelle sont les bonnes pratiques pour minimiser les risques de l’e-réputation ?
Me N.R. : Il convient tout d’abord d’identifier les risques encourus afin d’apporter une bonne maîtrise des risques juridiques. La gestion du risque passe tout d’abord par la parfaite rédaction et la gestion continue des contrats (avec les clients ou les fournisseurs, salariés, partenaires, etc.) afin de se prémunir contre toute éventualité judiciaire. Une bonne information complète accompagnée de formations continues (trainings) est une protection face à tout manquement qui peut être reproché. Ainsi, une veille continue, un dialogue adéquat et un suivi de toute réclamation peuvent permettre de se prémunir contre la mise en jeu de l’e-réputation de la société, «disposer d’un bon Community manager bien formé est un must !». Un encadrement juridique continu est essentiel lors de la mise en place de ces processus de sauvegarde de l’e-réputation afin de bien mettre en place l’environnement contractuel de la société (Soft law) et permettre un accompagnement optimal lors de la survenance d’un litige (Hard law) ou l’enrôlement d’une procédure de médiation.