La communauté des MRE entend apporter aujourd’hui grandement sa pierre à l’édifice en participant à la croissance économique du Maroc.
En 2022, les transferts des MRE ont dépassé les 100 milliards de DH, mais la part allouée à l’investissement productif demeure encore timide.
Entretien avec Younes Sahibi, doctorant en économie et développement durable.
Propos recueillis par M. Boukhari
Finances News Hebdo : Selon le ministre chargé de l'Investissement, de la Convergence et de l'Evaluation des politiques publiques, Mohcine Jazouli, la part des transferts des MRE destinée à l’investissement ne dépasse pas 10%, dont seulement 2% sont orientés vers l’investissement productif. Selon vous, que doit faire le Maroc pour changer cette donne ?
Younes Sahibi : Il est important de savoir que les MRE contribuent de différentes manières à l'investissement productif. Tout d'abord, en tant qu'entrepreneurs, ils peuvent créer des projets et travailler pour leur réussite en apportant leur savoir-faire et leur capital. De plus, en soutenant leurs familles dans leurs investissements financiers en leur fournissant les fonds nécessaires, les transferts de fonds des MRE peuvent être considérés comme une source de financement. Par ailleurs, bien qu’une petite partie des transferts des MRE soit destinée à l'investissement productif, ils restent majoritairement en devises et plus stables par rapport à d'autres sources de financement, malgré la situation difficile de l'économie mondiale. Selon les dernières données de l'Office des changes, ces transferts ont dépassé les 100 milliards de dirhams en 2022, avec une croissance significative de 37% en 2021. Selon le HCP, ils représentent environ 7,3% du PIB national en 2021. Il est également important de mentionner que l'utilisation des transferts pour l'investissement est importante chez les migrants de retour. Selon une étude publiée par le HCP en décembre 2022 sur les déterminants des transferts et des investissements des migrants marocains à l'étranger, la part consacrée à l'investissement pour cette catégorie de MRE atteint 14,1%.
Pour encourager l'entrepreneuriat des MRE, il est judicieux de leur offrir un environnement favorable pour les investissements, qui peut inclure des incitations fiscales, une réglementation plus souple et une simplification des procédures administratives. Il est également primordial de tirer parti et de renforcer les réseaux de la diaspora en créant des plateformes de partage de connaissances et de promotion des opportunités d'investissement, ce qui peut augmenter l'ampleur des investissements en raison du cofinancement. En outre, il faudrait améliorer les produits financiers destinés aux MRE en réduisant les coûts de ces instruments, qui restent élevés en comparaison avec les pays d'accueil. En ce qui concerne les transferts, il est possible d'encourager l'investissement productif des destinataires de fonds en utilisant les transferts de fonds comme garantie pour l'accès aux financements de projets. Enfin, il est grand temps de se pencher sur la question des coûts de transferts qui restent élevés, atteignant presque le double de l’objectif de 3% fixé par les Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030. Selon la base de données «Remittance Prices Worldwid» de la Banque mondiale, ceci passe par le développement d’une solution de transferts moins coûteuse et plus accessible, même pour les régions les plus éloignées.
F.N.H. : Que gagnerait le Maroc à attirer davantage d’investissements des MRE, notamment productifs ?
Y. S. : Le Maroc pourrait tirer de nombreux avantages en attirant les investissements MRE dans des projets productifs, notamment en termes d’emplois et de revenus générés. Plus important encore, les investissements des MRE ont des retombées en termes de transfert de savoir, des technologies et des connaissances acquises dans leur pays d’accueil. De surcroît, grâce à leur multiculturalité, les MRE peuvent faciliter les investissements et les échanges entre le Maroc et les pays de résidence en rapprochant les fournisseurs, les producteurs et les distributeurs de biens et de services. Leur connaissance de leur pays d'origine peut également aider à améliorer la communication, la compréhension des procédures et à établir des liens commerciaux. De plus, les MRE peuvent être de meilleurs entrepreneurs que les investisseurs étrangers, grâce à leur connaissance approfondie du Maroc. Cela peut réduire les risques liés aux investissements et offrir les mêmes avantages économiques qu'un investisseur étranger.
F.N.H. : Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour promouvoir un climat d’affaires favorable à l’investissement des MRE ?
Y. S. : Pour promouvoir un climat d'affaires favorable à l'investissement des Marocains résidant à l'étranger (MRE), il est important de réunir plusieurs conditions, en commençant premièrement par la création d'un cadre juridique clair et stable. Cela contribue à renforcer la confiance des investisseurs en mettant en place une législation transparente et stable qui offre des protections et des garanties aux investisseurs étrangers, y compris les MRE. Deuxièmement, il est essentiel d’encourager la coopération entre le gouvernement et les MRE investisseurs dans le but d’aider ces derniers à résoudre les obstacles qui peuvent subvenir dans leurs investissements et de favoriser la mise en œuvre de projets viables. Troisièmement, la mise en place d’un cadre fiscal avantageux qui peut inciter les MRE à investir dans leur pays d'origine. Quatrièmement, il est nécessaire de continuer l’effort d’assainissement au niveau de l’Administration pour lutter contre la corruption, qui constitue un des freins majeurs à l’investissement en général, et celui des MRE en particulier. Surtout lorsqu’on sait que l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International (TI) a classé le Maroc au 94ème rang sur 180 pays pour l’année 2022.
F.N.H. : Selon vous, comment la nouvelle Charte de l’investissement pourrait-elle servir les intérêts des MRE ?
Y. S. : Comme tous les autres investisseurs, les MRE cherchent un environnement d'investissement stable, avec des règles transparentes et claires. La nouvelle Charte de l'investissement pourrait donc être bénéfique pour les MRE en leur offrant une meilleure transparence et prévisibilité réglementaires. Cette charte peut en effet servir de point de départ pour garantir la transparence des procédures et permettre aux MRE de comprendre pleinement les conditions et les contraintes liées aux opérations d'investissement. Cela est un élément essentiel pour lutter contre la corruption, car lorsque les règles sont transparentes, il est plus difficile de demander un pot-de-vin. La prévisibilité dans l'application des règlements et des procédures est également importante pour faire face aux incertitudes qui sont des obstacles majeurs pour les entrepreneurs. Cette prévisibilité réglementaire est d'autant plus recherchée, car elle permet d'instaurer un climat de confiance, surtout dans le contexte actuel caractérisé par plusieurs éléments perturbateurs pour le fonctionnement de l'économie mondiale et qui mettent en péril la réussite des entreprises.