Des experts et chercheurs venus des quatre coins de l’Afrique ont débattu, lors de la 3ème rencontre du Forum des associations africaines d’intelligence économique, de la réalité des stratégies et politiques africaines et internationales en matière d’innovation et leurs impacts sur le développement économique dans le continent.
Par M. Boukhari
Placée sous le thème «L’Afrique des innovations, politiques, nationales et coopération africaine», la 3ème rencontre africaine du Forum des associations africaines d’intelligence économique (FAAIE), tenue du 5 au 7 décembre à Dakhla, visait à mettre en exergue les expériences des pays africains en matière d'intelligence économique, renforcer les partenariats, développer des innovations continentales, soutenir l'esprit entrepreneurial et le capital d'investissement, comme étant des leviers fondamentaux du développement économique en Afrique.
S’exprimant à cette occasion, le président du Forum des associations africaines d’intelligence économique, Driss Guerraoui, a révélé que cet événement survient dans un contexte continental et international tumultueux marqué par de multiples défis à relever. «Le contexte est marqué par des changements qui portent véritablement préjudice à la sécurité et au développement de notre pays. Par conséquent, les gouvernements, les collectivités territoriales, les entreprises ainsi que les associations africaines sont appelés à opérer un changement de paradigme». Par ailleurs, Driss Guerraoui, qui est aussi président de l’Université ouverte de Dakhla, n’a pas manqué de rappeler que «les sciences et les technologies jouent un rôle extrêmement crucial dans le développement économique, social et environnemental des pays africains et permettent également de faire face aux crises. Ainsi, le développement du continent africain est tributaire du degré d’engagement des pays dans les domaines de la recherche et de la science».
Dans une vidéo diffusée à l’ouverture de l’événement, Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce, a adressé un discours dans lequel il a affirmé que la différenciation de l’offre se confirme actuellement comme «la solution idoine pour la garantie d’un positionnement meilleur par rapport aux économies mondiales». Et de préciser que dans le cas du Maroc, «la lecture de cette différenciation ne s’est pas limitée à la création de la richesse au niveau du tissu productif, mais s’est également apparentée à une véritable transformation. L’Afrique dispose d’un vrai potentiel de développement de ses ressources naturelles, ce qui nécessite de se focaliser sur la valorisation de ses ressources à l’échelle industrielle afin d’en faire un levier important de création d’emploi et de valeurs». A cet effet, le ministre a insisté sur «la mise en place de stratégies structurantes pour aller vers une industrialisation inclusive et durable, une vision sectorielle claire, l’engagement à l’investissement productif, la formation des ressources humaines, l’intégration des chaînes de valeur dans le cadre de ce système ainsi que l’encouragement de la complémentarité panafricaine».
Un contexte international marqué par des incertitudes
En marge de cette rencontre, des conventions de partenariat ont été signées entre l’Université ouverte de Dakhla et différentes entités, et ce dans le dessein de renforcer davantage les relations de coopération internationale du forum. Il s’agit notamment d’une convention signée avec le Réseau des professionnels de l’intelligence économique du Burkina Faso, «Women Association for Technological Innovation», du Cameroun, et l’Association malienne pour la promotion de l’intelligence économique. Pareillement, deux autres conventions ont été signées avec «Strategic Competitive Intelligence for Professionals» (SCIP), des Etats-Unis d'Amérique, et l’Académie de l'intelligence économique, basée à Paris.
Cet événement de grande envergure représente, d’après Moulay Ismail Haykal, secrétaire général de la Wilaya de Dakhla-Oued Eddahab, l’occasion de dresser «un état des lieux des expériences africaines en matière d’intelligence économique à partir d’une approche académique, politique et scientifique liant un ensemble de concepts clés en matière d’innovation, d’entrepreneuriat et de compétitivité. C’est aussi une reconnaissance des efforts déployés par notre pays et de son engagement en faveur des pays africains, surtout au cours de ces dernières années». Il reste néanmoins convaincu que le contexte dans lequel évolue le continent africain est marqué, entre autres, par des incertitudes difficiles à anticiper, d’où la nécessité de l’adoption d’une nouvelle approche dans le traitement et l’exploitation de l’information utile aux acteurs économiques.
A cette occasion, les Prix de la recherche en intelligence économique en Afrique pour meilleur livre et thèse de doctorat, réalisés par des auteurs et doctorants africains, ont été remis respectivement à deux chercheurs du Mali et du Burkina Faso. Le premier prix a été attribué à Mamadou Lamine Sylla du Mali pour son ouvrage : «Vision prospective du financement des économies de la zone UEMOA à travers l’intelligence économique». Le deuxième prix a été décerné au Burkinabé Honoré Ouedraogo pour sa thèse qui a pour thématique : «Contribution du système d’information au pilotage d’une démarche d’intelligence économique : cas des opérateurs de téléphonie mobile au Burkina Faso».
L’innovation, clé de voûte du développement économique de l’Afrique
Afin de mieux affronter les épreuves futures, l’Afrique devrait à coup sûr miser sur l’innovation. Intervenant lors du panel sur «L’impact de l’innovation sur le développement économique», Philippes Clerc, président de l’Académie de l’intelligence économique en France, souligne que «les pays et les citoyens ont dû s’adapter à un lot de changements dictés par la crise de la Covid-19 en misant essentiellement sur l’innovation et la transformation digitale». Selon cet expert, les organisations sont appelées à suivre le rythme rapide avec lequel le cycle de l’innovation s’accélère, et ce en menant des investissements dans ce sens en vue d’anticiper les risques. Il déclare ainsi que l’innovation doit concerner les outils, les méthodes et les modes d’action en matière d’intelligence économique. Dans le même sillage, Siham Harroussi, vice-présidente du FAAIE, considère que les pays africains devraient privilégier deux concepts clés, à savoir la frugalité et l’agilité. En ce qui concerne le premier concept, la spécialiste fait savoir que celuici a l’avantage de permettre une innovation avec peu de moyens.
«Cette méthode, que nous avons déjà mise en pratique en temps de Covid-19, est essentielle puisqu’elle va permettre aux pays africains de relever les défis qui s’imposent à eux dans un environnement incertain», relève-t-elle. Le deuxième concept consiste, quant à lui, à changer de mindset aussi bien sur le plan individuel que collectif. «Le chemin est loin d’être facile, puisqu’il nécessite de casser des schémas et des processus quand cela s'impose, mais cette solution demeure indispensable si l’Afrique souhaite surmonter les difficultés», poursuit-elle. Au Maroc comme dans d’autres pays africains, les jeunes s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique entrepreneuriale, quoique souvent ils se heurtent à beaucoup de difficultés, que ce soit par manque d’expérience, de moyens ou autres.
Selon Omar Ezziyati, directeur veille stratégique, innovation et influence à Bank of Africa, «le projet d’innovation et d’entrepreneuriat doit être suffisamment influent pour pouvoir attirer, gagner la confiance et surtout fidéliser les différentes parties prenantes. Il existe trois dimensions d’entrepreneuriat, à savoir l’intention entrepreneuriale, le profil entrepreneurial et l’écosystème entrepreneurial». Et de soutenir : «En Afrique, beaucoup de jeunes ont l’intention d’entreprendre, mais peu sont ceux qui osent passer à l’action. Les efforts doivent donc être multipliés afin de motiver les jeunes à innover et à se lancer dans l’entrepreneuriat en vue d’assurer la résilience et le développement de l’Afrique». De nouvelles priorités en vue Si l’Afrique n’arrive pas à faire des sauts qualitatifs dans le domaine de l’innovation, c’est en raison de plusieurs facteurs énumérés par Driss Guerraoui à l’occasion de cette rencontre. Il s’agit, entre autres de :
• La crise de l’école : Ceci empêche l’Afrique de former des compétences et de produire des élites scientifiques d’un niveau d’excellence à la mesure des ambitions, mais surtout des défis qu’affronte notre continent;
• L’absence de l’intérêt réel des Etats pour l’innovation;
• L’absence de financement réellement conséquent;
• Une gouvernance inappropriée des dispositifs existants en matière d’innovation;
• La fuite des cerveaux, avec l’absence de politiques publiques pour attirer et retenir les scientifiques africains;
• Le déficit de coopération panafricaine dans ce domaine.
Ces facteurs expliquent, en effet, les faibles classements des pays africains dans tous les indicateurs internationaux en matière de recherche scientifique et de l’innovation. «On dénote la part de la contribution de scientifiques et d’inventeurs comparativement au total de la production scientifique et d’innovation dans le monde. Il s’agit aussi de la part faible des publications scientifiques et de brevets d’invention comparativement à celle du reste du monde. Chiffres à l’appui : l’Afrique, qui représente 17% de la population mondiale, ne dispose que de 2,4% de scientifiques, soit 79 scientifiques pour un million d’habitants. Aux Etats-Unis, le nombre des scientifiques s’élève à 4.500 par million d'habitants. Ces réalités expliquent l’état de l’innovation dans notre continent», détaillet-il.
Pour ce qui est des priorités de l’Afrique en matière d’innovation, le président du FAAIE souligne que l’évolution des réalités du monde a fait émerger de nouvelles priorités : «Une innovation qui permet à l’Afrique de réussir la transition climatique, économique, énergétique, sanitaire, numérique ainsi que la souveraineté alimentaire. L’idée est de se doter de dispositifs pour être mieux armés face aux risques de la cybersécurité. L’innovation doit aussi permettre d’accompagner l’Afrique à relever le déficit de l’infrastructure et celui de la gestion durable des ressources. Mais le grand défi aujourd’hui réside dans la promotion de la dynamique entrepreneuriale auprès des jeunes et des femmes, que ce soit au niveau urbain ou rural. C’est aussi une manière de retenir les jeunes du milieu rural».