Industrie textile: des mailles aux marchés

Industrie textile: des mailles aux marchés

Inflation, baisse des exportations vers l’Union européenne, prédominance de l’informel…, l’industrie du textile marocaine est mise à mal par divers obstacles qui paralysent son expansion.

Ce contexte difficile pousse les professionnels à envisager un modus operandi axé principalement sur l’innovation.

Entretien avec Faiçal Elahmadi, membre du Conseil d’administration de l’Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (AMITH).

 

Propos recueillis par M. Boukhari

Finances News Hebdo : Pouvezvous nous donner un aperçu sur l'état du secteur textile habillement actuellement ?

Faiçal Elahmadi : Le secteur textile habillement au Maroc connaît des défis, mais il conserve une position importante dans l'économie du pays puisqu’il représente plus de 1.800 entreprises et pas moins de 200.000 emplois, soit 22% de l'emploi industriel au Maroc. Le secteur est confronté à une concurrence internationale et nationale très accrue, particulièrement en provenance des pays asiatiques et la Turquie, ce qui a entraîné une pression sur les prix et des difficultés pour maintenir la rentabilité. Cependant, le Maroc a réussi à développer une niche dans la production de textiles haut de gamme et de prêt-à-porter, en plus du développement du textile technique. L'industrie textile marocaine bénéficie également d'accords de libre échange avec plusieurs pays, ce qui offre des opportunités d'exportation. En résumé, le secteur textile habillement au Maroc fait face à des défis majeurs, mais il continue à jouer un rôle important dans l'économie du pays. Les efforts visant à moderniser et à diversifier l'industrie pourraient contribuer à renforcer sa compétitivité sur le marché mondial.

 

F.N.H. : Selon des derniers chiffres publiés par le Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textilehabillement (Cedith), les exportations marocaines vers l’Union européenne ont chuté de 15,3% à fin septembre. Quel impact cela aura-t-il sur le secteur dans un contexte marqué par l’inflation ?

F. E. : Tout d'abord, je tiens à préciser que les importations de l'Union européenne sont en forte baisse à fin septembre, avec -14,1% par rapport à la même période de l'année dernière. Cette situation impacte tous les pays exportateurs vers l'UE, à l'exception de la Tunisie qui fait de la croissance au regard de son positionnement sur le haut et moyen de gamme. Cette baisse significative des exportations marocaines vers l'Union européenne peut avoir un impact majeur sur le secteur textile habillement du Maroc, surtout lorsqu'elle survient dans un contexte marqué par l'inflation. Voici quelques impacts potentiels :

• Ralentissement de la croissance économique : Les exportations sont un moteur crucial de la croissance économique au Maroc. Une baisse des exportations vers l'UE pourrait entraîner un ralentissement de la croissance de l'industrie textile habillement et de l'économie dans son ensemble.

• Pressions sur les marges bénéficiaires : Une baisse des exportations peut conduire à une surcapacité de production et à une pression sur les marges bénéficiaires des entreprises du secteur.

• Pertes d'emplois : Les baisses d'exportations pourraient entraîner des difficultés pour les entreprises du secteur, ce qui pourrait potentiellement se traduire par des pertes d'emplois.

• Compétitivité accrue : Pour rester compétitives, les entreprises du secteur pourraient être amenées à innover davantage, investir dans des technologies de pointe et tenter de diversifier leurs marchés d'exportation. Dans un contexte d'inflation, les défis pourraient être encore plus aigus, car les coûts de production pourraient augmenter, pesant sur la rentabilité des entreprises.

 

F.N.H. : Quels sont les principaux obstacles auxquels est confronté le secteur du textile dernièrement ?

F. E. : Le secteur du textile au Maroc est confronté à divers obstacles, avec des défis majeurs tant sur le marché local qu'à l'international. Actuellement, le secteur doit faire face à plusieurs difficultés qui impactent sa viabilité et sa compétitivité. Sur le marché local, l'inflation représente l'un des défis prédominants. L'augmentation des prix des matières premières, de l'énergie et des coûts de production entraîne une pression sur les marges des entreprises du secteur, réduisant ainsi leur rentabilité. Cette inflation affecte également le pouvoir d'achat des consommateurs locaux, réduisant ainsi la demande intérieure de produits textiles et d'habillement. Par ailleurs, le secteur du textile est confronté à une concurrence déloyale de l'économie informelle. Les produits contrefaits ou fabriqués clandestinement peuvent être commercialisés à des prix inférieurs, ce qui nuit non seulement à la rentabilité des fabricants légitimes, mais aussi à la qualité et à la réputation de l'industrie dans son ensemble. En outre, l'importation des articles de friperie constitue un autre défi pour l'industrie textile marocaine. Ces vêtements d'occasion à bas prix provenant de pays étrangers inondent le marché local, offrant une alternative bon marché aux consommateurs locaux, ce qui a un impact négatif sur la demande de produits fabriqués localement.

A l'échelle internationale, le secteur du textile au Maroc est confronté à plusieurs obstacles, notamment la hausse des facteurs de production et la dépendance à certains marchés. La hausse des facteurs de production, tels que les coûts des matières premières, de l'énergie et de la main-d'œuvre, constitue un défi majeur pour le secteur textile marocain à l'échelle internationale. Cette augmentation des coûts de production peut rendre les produits marocains moins compétitifs sur le marché mondial, notamment face à la concurrence des pays offrant des coûts de production plus bas. De plus, la dépendance à certains marchés peut également représenter un obstacle pour le secteur. Si le Maroc dépend fortement de certains marchés pour ses exportations textiles, comme l'Union européenne, avec une grande prédominance d'un seul client, tout changement dans ces marchés, qu'il s'agisse de fluctuations économiques, de politiques commerciales ou de demandes spécifiques, pourrait avoir un impact significatif sur les exportations et la compétitivité du secteur.

Par ailleurs, la faible valeur ajoutée dans le secteur textile marocain joue un rôle significatif dans la difficulté de bénéficier pleinement des accords de libre-échange, en plus de ses répercussions sur l'impact économique et environnemental. La faible intégration des processus de fabrication et les pratiques de production moins avancées, limitent considérablement notre compétitivité et notre offre produit. En conséquence, cela limite la capacité de l'industrie à satisfaire les règles d'origine imposées par les accords de libreéchange, réduisant ainsi les avantages tarifaires et économiques qu'ils pourraient offrir. Pour surmonter ces obstacles, le secteur textile marocain pourrait chercher à diversifier ses marchés d'exportation en ciblant de nouveaux marchés émergents et en développant des partenariats avec d'autres régions du monde, réduisant ainsi sa dépendance à certains marchés. De plus, des initiatives visant à accroître l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement, réduire les coûts de production et promouvoir l'innovation pourraient être nécessaires pour améliorer la compétitivité du secteur sur le marché mondial. En définitive, le secteur textile marocain fait face à des obstacles à l'échelle internationale, mais des stratégies de diversification, d'intégration en amont textile, d'innovation et d'efficacité pourraient contribuer à surmonter ces défis et à renforcer la compétitivité du secteur sur la scène mondiale.

F.N.H. : Quelle est la position de l'AMITH par rapport à la baisse du taux plein dans le cadre du PLF 2024 de 40% à 30%?

F. E. : Tout d'abord, je tiens à préciser que le relèvement des droits de douane de 25% à 40% en 2020 sur l'importation des produits prêts à consommer, a permis à nos industriels d'être plus compétitifs sur le marché local, et a poussé plusieurs distributeurs à produire localement, créant une nouvelle dynamique positive pour notre industrie. Ainsi, l'Amith s'oppose à la baisse du droit commun à 30% au lieu de 40% pour les produits finis, tels que proposé dans le PLF 2024. L'Association exprime son inquiétude quant à cette mesure en raison de ses répercussions sur la compétitivité locale, notamment en ce qui concerne l'intérêt à produire au Maroc. Elle souligne que la bataille est particulièrement acharnée pour les produits entrée de gamme. L'Amith relève cependant qu'il n'y a pas de contraintes particulières pour les distributeurs positionnés sur la moyenne et haut de gamme, ainsi que pour les produits spécifiques comme le sport. Cette analyse met en lumière l'importance de trouver un équilibre entre les mesures économiques et les réalités du marché pour garantir la compétitivité des industries locales.

 

Les précisions d’Abderrahmane Atfi, président de la délégation régionale de l’Amith-Casablanca
«Les dernières statistiques révèlent une tendance conjoncturelle générale traduisant l’atonie, voire le recul important de la consommation des articles d’habillement en Europe ! En effet, depuis la sortie du Covid, l’installation de l’inflation pèse fortement sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Partout, on relève que les achats d’énergie, de l’alimentation et de la logistique viennent en priorité et font reculer les autres dépenses. Nous avons ainsi vu nos divers clients réduire leurs commandes, voire passer à l’annulation des réassorts de l’hiver en cours. Ainsi, un nombre important de nos industriels n’ont pratiquement pas de visibilité et sont obligés de réduire le temps de travail, voire d’anticiper sur les congés. Pour le marché local, en plus de l’inflation et de la faiblesse du pouvoir d’achat, la multiplication de l’offre de la friperie désorganise l’écosystème de l’industrie locale. On assiste à une concurrence acharnée déloyale qui détruit les circuits de distribution fragilisés par les effets du Covid. Aujourd’hui, ce ne sont que quelques niches, notamment le textile professionnel et le textile haut et moyen de gamme qui ont connu un impact moindre. De plus, la saisonnalité liée à la demande de nos clients qui, auparavant, se situait à un intervalle d’un mois, voire un mois et demi, a atteint aujourd’hui 2 à 3 mois. Certaines usines ont fermé et ne rouvriront qu'en décembre ou en janvier 2024. Lorsque le Groupe Inditex réduit sa demande, les effets se font ressentir de suite au niveau de la production nationale. Dernièrement, ledit groupe a augmenté ses achats en Asie au détriment de ceux en Méditerranée».

 

 

 

 

 

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