Une nouvelle offre publique qui mise sur la valeur plutôt que sur le coût. Des objectifs ambitieux : 130.000 emplois, montée en gamme et transition vers l’IA. Le Maroc entend consolider sa place de hub régional de l’offshoring.
Par Désy M.
Au moment où la compétition mondiale pour attirer les services délocalisés s’intensifie, le Maroc accélère sa transformation. Après son annonce en juillet 2025, la nouvelle circulaire détaillant l’«Offre offshoring Maroc» est récemment entrée en vigueur. Par ce dispositif, le Royaume affiche l’ambition assumée de passer du statut de plateforme de CRM (gestion de la relation client, communément appelée centres d’appels) à celui de pôle continental du BPO (Business Process Outsourcing), de l’ingénierie digitale et des services à forte valeur ajoutée.
Au cœur de cette transformation, une batterie d’incitations fiscales, RH et infrastructurelles, taillée pour repositionner le pays sur le segment premium du nearshoring. Une mutation qui intervient à un moment charnière, marqué par l’explosion de la demande européenne en prestations nearshore à coûts maîtrisés et par la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Pour Youssef Chraibi, président du groupe Outsourcia et de la Fédération marocaine de l’externalisation des services (FMES), l’évolution était devenue indispensable : «le secteur avait besoin d’un nouveau souffle.
La concurrence s’intensifie, surtout en Afrique, avec des pays qui proposent des coûts de production jusqu’à trois fois moins coûteux qu’au Maroc». Face à des marchés en pleine mutation, portés par l’automatisation, la data et l’intelligence artificielle, le Maroc devait revoir son modèle d’attractivité. «La nouvelle offre vise justement à repositionner le Maroc non plus sur le coût, mais sur la valeur : celle du service haut de gamme et de la compétence hybride à la fois humaine et technologique», renchérit Chraibi.
L’offre ne se contente donc pas de réactiver un secteur déjà dynamique, elle cherche à réorienter le modèle vers des segments plus sophistiqués comme le data management, la cybersécurité, l’IT outsourcing, les process automation, l’engineering services ou encore la R&D nearshore. Bref, pour rester compétitif, le Maroc doit monter en gamme.
De quelles incitations parle-t-on ?
L’offre publiée par le gouvernement clarifie les modalités d’accès aux incitations. Celleci s’inscrit dans le cadre du programme «Digital Morocco 2030», feuille de route qui vise à faire du numérique un pilier de la croissance. Le dispositif prévoit des avantages fiscaux, un système d’aides à l’embauche et un renforcement de la gouvernance sectorielle. En effet, jusqu’au 31 décembre 2030, les entreprises de l’offshoring bénéficieront d’un ensemble d’incitations particulièrement attractives.
On note par exemple l’impôt sur le revenu qui est plafonné à 20% dans les plateformes industrielles (P2I) principales comme Casanearshore, et réduit à 10% dans les P2I secondaires telles que Fès Shore, Oujda Shore ou Tétouan Shore. Par ailleurs, l’Etat prend en charge 56% du taux de l’IS, tandis que la prime à l’emploi prévoit un soutien équivalent à 17% du revenu brut imposable pour chaque nouvel emploi stable créé. A cela s’ajoute une prime à la formation fixée à 3,5% du revenu brut imposable annuel pour les nouvelles recrues.
Au bout de la chaîne, la création de 130.000 emplois additionnels, dont 50.000 d’ici 2026, et un chiffre d’affaires porté à 40 milliards de dirhams. Des chiffres jugés élevés par certains observateurs au vu des tensions actuelles sur le marché du travail et de la pénurie de compétences IT. Toutefois, Chraibi préfère parler de conditions plutôt que de difficultés : «l’objectif est ambitieux, mais réaliste à condition de respecter deux règles simples : la mise en œuvre rapide des mesures et un dispositif de soutien efficace.
Pas de promesse sans décaissement», précise-t-il. De plus, il affirme que le vivier de talent existe, mais son activation dépendra de la capacité à former, reconvertir et accompagner les talents au bon rythme. «Le vrai risque, c’est l’immobilisme. Ce qui tuerait la dynamique, ce seraient les lenteurs ou une confiance entachée par des engagements non tenus», note-t-il.
Et dans cette optique de réduire les lenteurs et fluidifier les démarches, l’offre mise sur la digitalisation intégrale des procédures. Une plateforme digitale unique sera mise à disposition pour centraliser le dépôt et le suivi des dossiers, simplifiant ainsi le parcours administratif des entreprises. Un comité de pilotage présidé par le chef du gouvernement ainsi qu’un comité technique de l’offshoring seront chargés de la gouvernance stratégique et opérationnelle de ladite plateforme.
Des atouts qui confortent
Depuis deux décennies, le Maroc capitalise sur un triptyque gagnant : stabilité macroéconomique, maind’œuvre multilingue, position géographique stratégique. À cela s’ajoutent des infrastructures techno-industrielles en amélioration constante : fibre optique, parcs dédiés (Casanearshore, Technopolis, Fès Shore…), hubs cloud, campus de formation. De plus, la proximité avec l’Europe, garantissant un même fuseau horaire que la France, ainsi que les interactions facilitées avec l’Espagne continuent de séduire les multinationales en quête de solutions «nearshore» fiables.
Aujourd’hui, plus de 50% des exportations marocaines de services numériques sont destinées au marché européen, principalement français. «Nos forces sont là et elles sont fiables», insiste le président de la FMES. Toutefois, cette base solide est désormais mise à l’épreuve par l’automatisation croissante des tâches simples via l’IA générative et les chatbots avancés, et la compétition exacerbée de pays comme la Tunisie, l’Égypte, le Sénégal ou encore l’Europe de l’Est, qui multiplient les incitations pour attirer les mêmes investisseurs. Ainsi, pour rester dans le peloton de tête des destinations nearshore, le Maroc doit résoudre en urgence trois défis majeurs, selon Chraibi. Primo, le déficit de compétences, notamment en «Soft Skills» et dans les métiers IT très spécialisés.
Secundo, la faible attractivité des régions hors Casablanca-Rabat-Fès, encore sous-exploitées malgré leur potentiel. Et tertio, l’historique d’inefficience des anciens dispositifs qui a parfois découragé les investisiseurs. «C’est une compétition à très haut niveau. On ne peut président de Outsourcia. La nouvelle stratégie répond partiellement à cet enjeu, en misant sur la formation intensive et les partenariats entre universités, OFPPT, opérateurs privés et multinationales. Elle entend également déployer l’offshoring dans de nouveaux territoires : Agadir, Oujda, Tétouan, Al Hoceïma, Laâyoune ou encore Dakhla. Le but étant de désengorger les grandes villes et créer de nouveaux pôles d’employabilité en régions.
L’IA : menace ou opportunité ?
Le débat sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi est central dans l’offshoring. Les métiers de support, du CRM à certaines fonctions BPO, sont parmi les plus exposés à l’automatisation. Mais pour Chraibi, il serait dangereux de raisonner en termes de destruction nette. «L’IA ne va pas supprimer les métiers. Elle va les transformer. Ce qui sera remplacé, ce sont toutes les tâches inutiles sans valeur ajoutée humaine», explique-t-il. Les opérateurs rechercheront de nouveaux profils, précisément des coachs de bots, des designers de parcours clients automatisés ou des formateurs d’IA conversationnelle.
«L’IA ne va pas remplacer nos talents. Ce sont nos talents qui utiliseront l’IA qui remplaceront ceux qui pensent pouvoir lui résister», conclut le président de Outsourcia. L’enjeu pour le Maroc dépasse la simple création d’emplois. Il s’agit de réussir sa montée en gamme, d’attirer les métiers technologiques à forte valeur ajoutée et de consolider un écosystème capable de rivaliser avec les hubs mondiaux du numérique.
²Avec cette nouvelle offre, le pays semble avoir trouvé le bon équilibre entre compétitivité, incitations stratégiques et vision industrielle. Encore faut-il, comme le souligne Youssef Chraibi, que la machine administrative suive le rythme. Car dans ce secteur où l’IA redéfinit déjà les chaînes de valeur, la vitesse d’exécution est devenue la première condition de compétitivité.