Le secteur pharmaceutique occupe la 2ème place à l’échelle africaine avec un chiff re d’aff aires qui dépasse les 21,630 milliards de dirhams. Les médicaments génériques représentent plus de la moitié du marché pharmaceutique privé. Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.
Finances News Hebdo : L’industrie pharmaceutique Made in Morocco est en plein essor. Comment qualifiez-vous son évolution ? Et que faut-il entreprendre pour placer ce secteur en haut de l’affiche de l’échiquier international ?
Abdelmadjid Belaïche : Tout d’abord, il faut rappeler le parcours de cette industrie pharmaceutique, et ses actes fondateurs qui sont les suivants :
• Les orientations royales de Feu Sa Majesté le Roi Mohammed V, relatives au développement du secteur pharmaceutique, lors de la conférence nationale de la santé de 1959. -Le Dahir de février 1960 de Feu sa Majesté Hassan II et qui a réglementé l’exercice pharmaceutique et encadré la fabrication, la détention et la vente en gros des médicaments.
• La circulaire ministérielle de 1965 qui a imposé la fabrication locale des médicaments commercialisés au Maroc, à l’exception de ceux dont les faibles volumes de consommation où les technologies de production complexes et coûteuses ne pouvaient justifier des investissements dans une production locale.
• La création en 1969, du Laboratoire national du contrôle des médicaments (LNCM), qui allait garantir la qualité du médicament Made in Morocco et le faire classer en zone Europe en termes de qualité. C’est ainsi que le médicament marocain a fini par se classer en zone Europe en termes de qualité. Et c’est de cette façon que l’industrie pharmaceutique marocaine allait se hisser au 2ème rang en Afrique.
Entre temps, le tissu industriel pharmaceutique au Maroc est passé de 8 unités industrielles pharmaceutiques en 1960 à 45 unités aujourd’hui. Des investissements de plus en plus importants ont été réalisés dans les extensions et les modernisations des outils industriels pharmaceutiques. Celles-ci ont pu suivre les évolutions mondiales des technologies pharmaceutiques et rester conformes aux dernières normes de qualité en vigueur. Le lancement du chantier royal de la couverture sanitaire universelle (CSU) et de la refonte de notre système de santé constitue des opportunités majeures pour développer davantage cette industrie et le médicament made in Morocco. Toutefois, pour améliorer davantage la position du Maroc sur l’échiquier international, plusieurs stratégies et mesures doivent être encore travaillées.
• Primo : Il est essentiel de renforcer les capacités locales de production des médicaments, y compris celles issues des biotechnologies mais aussi aller, autant que possible, vers la fabrication des dispositifs et équipements médicaux afin d’améliorer notre souveraineté pharmaceutique.
• Deuxio : Il faudrait investir dans la recherche, le développement et l’innovation pharmaceutiques.
• Tercio : Il est important de substituer une part importante de nos importations pharmaceutiques par de la fabrication locale. Ceci permettra de réduire le déficit de notre balance commerciale pharmaceutique, mais aussi de contribuer à l’emploi, à la valeur ajoutée et à la fiscalité pharmaceutique sans compter, et c’est le plus important, la sauvegarde et l’amélioration de notre souveraineté pharmaceutique.
• Quarto : Il est indispensable de développer nos exportations pharmaceutiques, non seulement pour réduire le déficit de notre balance commerciale pharmaceutique, mais aussi pour réaliser de précieuses économies d’échelle au niveau de notre production de médicaments. L’objectif étant d’améliorer la compétitivité et la rentabilité pour notre industrie, pour un meilleur accès pour nos patients aux médicaments et pour un meilleur équilibre du financement de la santé.
• Quinto : Il faudrait améliorer notre réglementation pharmaceutique. L’étude réalisée par le cabinet Valyans pour la mise en place du plan d’accélération industrielle pharmaceutique en 2016, avait identifié la réglementation pharmaceutique comme étant le principal obstacle aux investissements locaux ou étrangers, et donc au développement de la production pharmaceutique locale. Avec le projet royal de la refonte de notre système de santé, la réglementation est en train de bouger dans le bon sens et une nouvelle gouvernance est en train d’être installée grâce à la mise en place d’une agence marocaine des médicaments et des produits de santé et d’une haute autorité de la santé.
F. N. H. : Porté par une croissance soutenue, le secteur pharmaceutique marocain a connu en 2023 des résultats probants. Le renforcement de l’intégration industrielle locale et la promotion des médicaments génériques produits au Maroc y sont pour beaucoup. Quelle lecture en faites-vous ?
A. B. : Le système pharmaceutique marocain a évolué depuis sa création, et notamment au cours des deux dernières décennies vers un écosystème qui est bien intégré industriellement. Malgré le désengagement industriel de certaines multinationales pharmaceutiques, des opérateurs nationaux ont repris rapidement le relais en investissant lourdement dans de nouvelles unités industrielles ultramodernes ou en modernisant les unités existantes. Le médicament générique était le fer de lance de ce développement. Il a permis de produire des médicaments génériques aussi efficaces et aussi sûrs que leurs princeps, brisant ainsi des situations de monopoles préjudiciables aux patients marocains en termes d’accès économique aux médicaments. Aujourd’hui, les médicaments génériques représentent plus de la moitié du marché pharmaceutique privé, et entre 80 et 90% des appels d’offres hospitaliers en volume et les économies réalisées pour les patients et pour les caisses de l’assurance maladie sont substantielles. Certes, un important retard a été enregistré au niveau des médicaments biosimilaires (génériques des médicaments biotechnologiques), et cela malgré quelques productions en fil & finish. Toutefois, le Maroc est en train de mettre le pied dans le club très restreint des producteurs de biotechnologies et de rattraper ses retards, notamment avec la cité des vaccins de Benslimane.
F. N. H. : Construire une véritable souveraineté sanitaire avec ses différentes composantes, à savoir pharmaceutique et vaccinale, s’impose aujourd’hui comme une nécessité absolue. Peut-on dire que le Maroc est sur la bonne voie ?
A. B. : Le concept de la souveraineté sanitaire ne s’est imposé dans le monde que suite à la pandémie de la Covid et de ses conséquences sanitaires dévastatrices. Nous ne pouvons oublier les traces d’une première volonté politique implicite de s’affranchir de la dépendance pharmaceutique, vis-à-vis de pays tiers il y a près de 60 ans, avec la circulaire ministérielle de 1965 qui a imposé la fabrication locale progressive des différentes formes pharmaceutiques. Malheureusement, cette vision souverainiste pharmaceutique s’est progressivement dissoute dans une approche mondialisée, et les importations pharmaceutiques ont repris le dessus sur la fabrication locale, aggravant au fur et à mesure le déficit de notre balance commerciale pharmaceutique. Pourtant, au plus fort de la pandémie, notre marché pharmaceutique a fait preuve d’une importante résilience, et ceci grâce au noyau existant de la fabrication locale. La Covid 19 a le mérite d’avoir fait prendre conscience de l’importance et de la nécessité de sauvegarder la souveraineté sanitaire de notre pays et celle de nos multiples partenaires africains. Au cœur de cette souveraineté sanitaire, nous trouvons la souveraineté pharmaceutique médicamenteuse, mais aussi vaccinale. Dans ce cadre, des investissements privés importants de l’ordre de 500 millions d’euros ont été réalisés dans une usine de vaccins à Benslimane. Cette plateforme destinée au départ à la fabrication des vaccins de la Covid permettra de fabriquer une vingtaine d’autres vaccins et autres médicaments biotechnologiques, dans un 1er temps en fabrication fil & finish (remplissage stérile des flacons), avant d’évoluer, à moyen terme, vers la fabrication des substances actives de ces produits.
F. N. H. : La récente crise sanitaire que le Maroc a connue a démontré sa capacité à renforcer ses acquis, notamment en matière de production de dispositifs médicaux. Pourquoi ces derniers sont-ils importants dans la chaîne de valeur pharmaceutique de notre pays ?
A. B. : Effectivement, le Royaume a fait preuve d’une résilience exceptionnelle en périodes de crises, notamment sanitaire, telles que la pandémie de la Covid 19. Contrairement à d’autres pays, y compris européens, les médicaments essentiels, à part quelques rares exceptions, n’ont pas manqué. En matière de dispositifs et d’équipement médicaux, notre pays a fait preuve de réactivité et d’inventivité. Le cas des bavettes et des gels hydroalcooliques, où notre pays est passé rapidement vers la fabrication locale de ces produits, au point de couvrir nos énormes besoins et même d’exporter vers l’Europe, en est un exemple. De même, il y a eu des initiatives de mises au point de respirateurs artificiels et de lits de réanimation qui malheureusement n’ont pas abouti à une fabrication à l’échelle industrielle à cause des lourdeurs administratives pour leur validation. Des tests instantanés du Covid et autres tests ont également été développés et produits localement pendant la pandémie. Ces dernières années ont aussi vu de nombreux acquis, tels que l’installation de la première usine pharmaceutique intelligente (Smart factory), de la première usine du Maroc pour la fabrication d’aérosols antiasthmatiques ainsi que l’introduction et la fabrication de biosimilaires de médicaments très onéreux à moindre coût. La filière du cannabis licite à usage médical constitue une nouvelle voie de recherche et de production de nouveaux médicaments pour la cancérologie ou encore la neurologie.
F. N. H. : Quel rôle jouent la recherche, l’innovation et l’investissement pour booster l’industrie pharmaceutique locale ?
A. B. : Il y a bel et bien une recherche active au sein de nos universités, notamment dans le domaine des produits de santé. Malheureusement, il n’y a pas assez de ponts entre ces recherches fondamentales universitaires et le secteur pharmaceutique industriel, à part quelques rares exceptions. Toutefois, ces dernières années ont vu la signature de nombreux accords de partenariat entre universités et laboratoires pharmaceutiques. Néanmoins, dans ce paysage, nous ne pouvons oublier le rôle de la Fondation marocaine pour la science avancée, l’innovation et la recherche (MAScIR). Cette plateforme scientifique de pointe est à l’origine de nombreux centres de recherche technologique dans divers domaines, dont celui de la biotechnologie de la santé. Forte de ses 200 chercheurs et de ses 190 brevets, MAScIR a développé des partenariats avec des opérateurs pharmaceutiques nationaux.