Mohamed Lahlou, président de l’Association marocaine des agences immobilières (AMAI)
2018 fut une année difficile pour le secteur immobilier, et les signes encourageants pour 2019 se font rares.
Le projet de loi sur le statut d’agent immobilier, censé règlementer la profession, est toujours dans le circuit législatif.
Mohamed Lahlou, président de l’Association marocaine des agences immobilières (AMAI), qui dispose d’une longue expérience dans le secteur, décline ses pistes pour relancer l’activité.
Finances News Hebdo : Comment qualifierez-vous le secteur immobilier au cours de cette année 2018 ?
Mohamed Lahlou : 2018 fut une année très difficile pour le secteur immobilier. Elle est le prolongement d’une évolution d’un marché morose. Il existe plusieurs éléments qui expliquent cette tendance, comme la frilosité des banques qui sont exigeantes sur les dossiers de crédits. Deux banques seulement continuent de financer le logement social malgré la présence de garanties de l’Etat.
Parmi les freins figure aussi l’indisponibilité de l’avance pour bon nombre de demandeurs de crédits. Il faut ajouter également le pouvoir d’achat qui ne suit pas la hausse des prix de l’immobilier.
Les promoteurs, pour leur part, restent inflexibles sur les prix exigés et certains maintiennent de ce fait un important stock et trouvent beaucoup de peine pour l’écouler. Avec le temps, ils payent des frais financiers annuels pouvant atteindre 5 à 6% du chiffre d’affaires.
F.N.H. : Quelles sont alors vos prévisions pour l’année 2019 ?
M. L. : C’est difficile de me prononcer surtout qu’il n’existe pas de signes assez encourageants pour pouvoir espérer une relance de l’activité qui reste liée à de nombreux facteurs, notamment la conjoncture. Le taux de croissance en 2019 devrait varier entre 3 et 4%, un niveau qui ne peut donner une nouvelle impulsion à l’immobilier, en tout cas dans le court ou moyen terme. L’activité peut reprendre timidement mais il lui faut différentes mesures d’accompagnement, notamment la révision des taux de crédit qui passe nécessairement par une baisse du taux directeur.
Contrairement aux pays développés où le long terme finance le court terme, au Maroc ce sont les liquidités bancaires qui financent plusieurs activités économiques, dont l’immobilier.
Il existe un déséquilibre structurel qu’il faut résoudre dans les années à venir. Des espoirs ont été formulés à propos des banques participatives, mais il est encore tôt pour se prononcer. Nous ne disposons pas d’éléments d’informations précis sur le sujet. Les acteurs économiques sont invités à faire converger leurs points de vue et à s’investir pleinement sur le sujet pour trouver des solutions. Il y va de l’intérêt de tout le monde.
F.N.H. : Qu’en est-il des mesures fiscales déclinées dans le cadre du PLF 2019 ?
M. L. : L’immobilier est un secteur important pour l’économie nationale. L’Etat en est conscient et il veut, à travers certaines mesures, lui donner une nouvelle impulsion pour retrouver sa vitesse de croisière.
En tant que professionnels, nous avons tiré la sonnette d’alarme à propos de certaines mesures qui pouvaient avoir un effet contraire. C’est le cas de la cotisation minimale dont la base imposable démarrait à partir de 1 million de DH, avant qu’un amendement ne la ramène à 4 MDH et plus.
Notre vision à l’AMAI est de ne pas pénaliser la classe moyenne, mais nous sommes pour la taxation de certains biens qui créent une forte plus-value comme les villas implantées dans les quartiers devenus zones immeubles. Nous avons proposé une taxe de 10% de la TPI sur ce genre de bien, avec un différé d’une année. Cela incitera les propriétaires à les vendre, engendrant au passage une correction des prix. Malheureusement, cette disposition n’a pas été retenue.
Je pense qu’il faut relever le seuil des revenus immobiliers exonérés au-delà des 30.000 DH/an pour permettre aux propriétaires de la classe moyenne de proposer leur logement à la location.
Nous avons accueilli avec satisfaction la baisse du droit d'enregistrement du compromis de vente de 1.000 DH à 200 DH.
Nous avons également proposé que les contrats de bail ne soient plus déposés auprès des communes, mais au niveau de la direction de l’Enregistrement. Les Marocains doivent avoir des rapports de coopération et de confiance mutuelle avec les agents du fisc et non plus de liens conflictuels, surtout les personnes physiques. Les personnes morales font systématiquement leurs déclarations selon les règles de l’art.
F.N.H. : Quelles sont vos propositions pour les logements vacants ?
M. L. : Notre fiscalité est toujours inspirée de ce qui existe à l’international, notamment en France. Dans ce pays, quand un bien est vacant, il est automatiquement lourdement taxé. L’Etat doit faire davantage en matière législative en lançant un nouveau cadre juridique dans ce domaine. En revanche, il doit assurer le payement aux propriétaires et exécuter les jugements dans les plus brefs délais. La proposition d’une assurance contre les impayés dans le locatif est une idée très intéressante qui augmentera l’activité des compagnies et incitera les acquéreurs de logements vacants à s’intéresser au segment. Mais encore faut-il bien définir ce type d’habitat, pour ne pas avoir des dérapages. Par exemple, la plupart de nos MRE dispose d’une résidence dans le Royaume. Même s’ils ne viennent qu’une fois par an pour une période ne dépassant pas un mois, il a le droit d’avoir un foyer permanent dans son pays natal.
F.N.H. : Où en est la loi sur la réglementation de l’activité des agences immobilières ?
M. L. : A l’instar des promoteurs, nous avons soumis une proposition de loi dans ce sens pour que soit organisé le métier d’agent immobilier et qu’il dispose d’une carte professionnelle. Il lui faut un minimum requis en termes de niveau d’instruction, de formation et d’expérience.
L’agent doit disposer d’un local permanent et parfaitement identifié et avoir une caution financière si elle fait le recouvrement des revenus fonciers. Toutes ces conditions sont établies pour rassurer les clients. Il est temps de mettre un terme à l’anarchie.
A part le Maroc, tous les pays de l’Afrique du Nord ont réglementé le métier. La Tunisie est nettement en avance dans ce domaine, l’Algérie aussi.
En 2012, nous avons créé notre association qui regroupe toutes les agences immobilières organisées, implantées dans le territoire national. Après deux années, nous avons travaillé sur les textes de loi et avons prôné un cadre structuré pour le secteur, discuté avec le département de tutelle. Nous avons soumis un projet de loi qui a été déposé au secrétariat du gouvernement le 17 avril 2017. Nous avons contacté une commission parlementaire pour activer les choses et malgré nos relances, le projet est toujours en stand-by. Je tiens à rappeler que notre association a pour objectif aussi un objectif citoyen.
F.N.H. : Ce projet ne va-t-il pas écarter définitivement les autres intermédiaires ou «samsara» du circuit ?
M. L. : Le volet social a été toujours évoqué pour défendre cette catégorie de personnes. Il faut dire que de nombreux samsara travaillent dans l’informel et ne disposent pas de local ni des conditions que j’ai évoquées auparavant. Nous avons proposé de leur octroyer un statut à part, celui d’indépendants. ■
De nouveaux rapports avec la DGI
Mohamed Lahlou prône le développement d'une nouvelle culture pour que le payement de l’impôt lié à l’immobilier soit un acte citoyen. La Direction générale des impôts (DGI) a fait beaucoup d’efforts au niveau de la dématérialisation et assure de plus en plus un service de proximité de pointe. Elle doit s’activer pour lutter contre l’informel qui perturbe l’évolution de l’immobilier. Un manque à gagner en matière de recettes fiscales pour l’Etat est enregistré et certaines pratiques pénalisent tout le système.
«Si nous voulons drainer plus d’investisseurs étrangers, il faut assurer un environnement de transparence et d’équité fiscale afin, qu’au final, l’économie de notre pays avance», souligne-t-il. Il y a un grand travail à faire dans ce cadre en matière de sensibilisation et de communication auprès des contribuables.
Propos recueillis par C. Jaidani