Une nouvelle configuration se dessine d’ores et déjà. L’économie mondiale tend vers la fin de la domination occidentale. Un décentrement qui n’est pas exempt d’incidences sur l’économie. Il pèsera sur le marché domestique et sur les marchés traditionnels de l’export marocain. Le Maroc est appelé à revoir sérieusement sa copie.
Quel modèle choisir et quelle stratégie adopter face à la complexification du monde ? Une complexification marquée par la fin de la domination économique occidentale, par l’émergence de blocs régionaux, par la révolution digitale, voire par l’accentuation des menaces liées au changement climatique. Face à toutes ces réalités, cette question lancinante, très récurrente, a toute sa pertinence pour un Maroc en quête d’un nouveau modèle de croissance. Economistes, analystes et chercheurs abondent tous dans cette réflexion commune. La dernière en date est celle de l’IRES (Institut royal des études stratégiques), qui considère certaines de ces mutations comme étant le fruit d’une évolution naturelle; d’autres changements sont par contre en rupture avec l’ordre du monde qui a caractérisé le 20ème siècle. Nous pouvons citer à cet effet la digitalisation qui a révolutionné les modes de vie et de production : connectivité en tout lieu, accès à l’information, automatisation d’un nombre croissant de processus et de services. Ajoutons à cela le système de gouvernance mondiale qui, de plus en plus, consacre une place déterminante aux pays émergents. Le passage du G8 au G20, comme enceinte de régulation du système financier international, en est la preuve tangible. Et pour couronner le tout, la multiplication des foyers de tension, aggravés par les dangers que recèle la prolifération de la menace terroriste.
Le Maroc face à la gouvernance mondiale
D’après les prévisions du GS Global ECS research, le poids économique des pays émergents devrait dépasser celui des pays développés. Les économies émergentes représenteraient en 2040, 60% du PIB mondial, 45% du commerce mondial (contre 34% en 2010), 65% des biens manufacturés, importés par les pays développés contre 40% en 2010. Cette tendance évolutive résulte essentiellement de la dynamique des flux des IDE reçus par les pays émergents, de l’essor du marché intérieur et de la dynamique démographique.
Les chiffres ci-dessus parlent d’eux-mêmes : un décentrement du monde se prépare lentement mais sûrement et qui n’est pas sans impact sur l’économie. Il pèsera sur le marché domestique et sur les marchés traditionnels de l’export marocain, ainsi que sur la captation des flux d’IDE. D’où la nécessité pour le Maroc de procéder à la refonte de son modèle de développement pour améliorer sa viabilité économique et sa soutenabilité environnementale, mais aussi sa stabilité sociale dans son ensemble. Il est de plus en plus exhorté à soutenir les actions de la diplomatie économique du Maroc, en général, et en direction des pays émergents, en particulier, et ce à travers, à titre d’exemple, l’activation du rôle des missions économiques et la création de chambres de commerce mixtes dans les grands pays émergents.
Face à cette nouvelle configuration mondiale, le Maroc est appelé à rester vigilant. Les responsables marocains en sont conscients, et les réformes initiées depuis plusieurs années sont en cours de parachèvement. En vue d’obtempérer un tant soit peu, les difficultés liées à la nouvelle configuration mondiale, l’IRES considère qu’en dehors des menaces, elle présente des opportunités et des priorités pour un pays comme le Maroc. Parmi les opportunités, il est à reconnaître l’émergence du multilatéralisme, favorisant le partage de la responsabilité des affaires du monde.
Sur le plan des priorités internes, le Maroc est appelé à accélérer la mise en oeuvre des réformes introduites par la Constitution de 2011, qui consacre l’irréversibilité des choix démocratiques et constitutionnalise la bonne gouvernance des affaires. Aussi, est-il appelé à accroître ses capacités en termes d’appropriation des problématiques mondiales. Pour Tarik El Malki, professeur au sein du groupe ISCAE, le bilan des réformes est mitigé. Il explique: «Les politiques sectorielles ont commencé à donner quelques résultats encourageants, notamment le Plan Maroc Vert. Cependant, de nombreux écueils demeurent, si l’on considère le contexte macroéconomique qui ne cesse de se dégrader depuis 2011». Ce qui laisse supposer que la tâche sera ardue. Et d’ajouter : «L’objectif de la constitution 2011 est de faire en sorte que l’ensemble des citoyens jouissent des mêmes droits, obéissent aux mêmes règles… C’est cela que l’on entend par modèle de croissance inclusif».
D’un point de vue externe, il est désormais primordial de nouer une nouvelle stratégie d’alliances et de partenariats (coopération Sud-Sud, alliances triangulaires en matière de coopération pour le développement). Ceci étant, un élément pourrait par contre, altérer le multilatéralisme, il s’agit bel et bien de la domination d’une Chine hégémonique, entraînant dans son sillage, la «désoccidentalisation» de l’avenir mondial. Sous cet angle, l’économie marocaine est appelée à intensifier la modernisation compétitive du tissu productif national pour développer sa capacité à mieux faire face aux chocs concurrentiels. Et, surtout, à approfondir les connaissances sur la Chine en renforçant le dialogue politique et la coopération économique avec ce pays, qui regorge d’opportunités. Elle devra établir une stratégie de partenariat globale avec les puissances émergentes d’Asie, adaptée aux nouvelles réalités géostratégiques.
S. Es-siari