Emploi informel : une réalité préoccupante au Maroc

Emploi informel : une réalité préoccupante au Maroc

Le marché de l’emploi au Maroc souffre de plusieurs maux, notamment la prédominance de l’informel. Aujourd’hui, deux tiers de la population active occupée travaillent sans contrat et sans protection sociale et réglementaire.

Dans la plupart des cas, la faiblesse du niveau de qualification empêche de nombreuses personnes de décrocher un emploi formel.

Entretien avec Azzelarab Zaoudi Mougani, économiste et enseignant-chercheur à l’ISCAE.

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

Finances News Hebdo : D’après les données du compte satellite de l’emploi (CSE) publié par le hautcommissariat au Plan (HCP), l'informel représente 67,6% de l'emploi total au Maroc. Il en ressort également que les employés informels travaillent en moyenne annuelle 145 heures de plus que leurs homologues formels, tout en recevant une rémunération moyenne cinq fois inférieure. Quelle lecture en faites-vous ?

Azzelarab Zaoudi Mougani : L'emploi informel au Maroc constitue un défi majeur à relever pour une économie inclusive. Les données du compte satellite de l'emploi mettent en évidence les défis importants posés par l'emploi informel au Maroc. En effet, l'économie informelle est une réalité préoccupante dans de nombreux pays en développement, et le Maroc ne fait pas exception. Selon les données du Compte satellite de l'emploi (CSE) élaboré par le haut-commissariat au Plan (HCP) en partenariat avec l’Organisation internationale du travail (OIT), le secteur informel représente une part alarmante de l'emploi total dans le pays, soit 67,6%.

Cette proportion élevée soulève des inquiétudes quant à l'équité, la productivité et la stabilité du marché du travail marocain, et également en matière de féminisation de l’emploi. Une approche intégrée et holistique est nécessaire pour remédier à ces disparités et promouvoir une économie plus inclusive et équitable. A la lumière des chiffres, nous pouvons analyser la situation de ce secteur.

• Le premier fait saillant révélé par le CSE est la prédominance de l'emploi informel au Maroc. Cette réalité témoigne des difficultés structurelles et socioéconomiques auxquelles le pays est confronté. L'absence de perspectives d'emploi formel, la faiblesse des qualifications requises, la précarité des conditions de travail et le manque de protection sociale sont autant de facteurs qui poussent de nombreux travailleurs vers le secteur informel. La base de données CSE offre un détail désagrégé du facteur travail mobilisé selon la branche d’activité, catégorie socio-professionnelle (CSP), secteur institutionnel, entre autres. Les résultats du CSE montrent du doigt davantage la précarité de l’emploi et la faible productivité, en particulier dans le secteur agricole qui contribue à hauteur de 12% à la création de la valeur ajoutée et qui compte, à lui seul, 40% de l’emploi total. A cet égard, force est de constater que l’informel pèse lourdement dans ce secteur, avec 97% de l’emploi informel, suivi du secteur du commerce, avec 80,4%, et du secteur du BTP avec 45,7% de l’effectif employé en informel.

• La prolifération du secteur informel ainsi que son impact délétère sur l’économie sectorielle sont palpables. Cette sphère de l’informel, comme la désigne Ahmed Lahlimi, patron du HCP, ne profite point à la productivité et la croissance économique du pays. Cette sphère évolue de manière horizontale, et de fil en aiguille, elle imprègne tous les secteurs.

• Une autre statistique frappante concerne le temps de travail des employés informels, qui travaillent en moyenne 145 heures de plus par an que leurs homologues formels. Cette disparité peut s'expliquer par plusieurs facteurs. Les travailleurs informels sont souvent confrontés à des horaires de travail plus longs et moins réguliers, ainsi qu'à une plus grande pression pour maintenir leurs moyens de subsistance, sans bénéficier des protections prévues par la législation du travail. La rémunération est disparate, en l’occurrence, le salaire moyen dans le secteur agricole est inférieur de 60% à celui de l’industrie et de 73% à celui des services.

Un déséquilibre entre salaire et productivité est observé : tandis que la productivité a progressé de 1,9% entre 2014 et 2019, le salaire moyen réel a dégringolé d’environ 0,88. Cette discrépance marque également d’autres secteurs vitaux de l’économie, en l’occurrence l’industrie et le transport.

• En outre, les chiffres révèlent des inégalités salariales significatives entre les travailleurs informels et formels. Les employés informels reçoivent en moyenne une rémunération cinq fois inférieure à celle de leurs homologues travaillant dans le secteur formel. Cette disparité salariale met en évidence l'exploitation économique dont sont victimes de nombreux travailleurs informels. Ces travailleurs, souvent peu organisés et mal informés de leurs droits, sont notamment vulnérables à l'exploitation salariale et aux conditions de travail précaires. De fait, la productivité des employés formels est 3,7% supérieure à celle de leurs homologues informels.

S’agissant du taux de féminisation, les femmes sont sous-représentées dans des emplois à forte qualification. Ainsi, 71% exercent dans des emplois manœuvres, souvent dans des secteurs informels et non qualifiés. Au demeurant, seuls 15% des femmes occupent des postes de cadre ou technicien.

• Les implications de cette prévalence élevée de l'emploi informel sont multiples. Tout d'abord, cela compromet la collecte de recettes fiscales pour l'État, limitant ainsi ses capacités à fournir des services publics de qualité. Par ailleurs, cela entrave la croissance économique globale, car l'emploi informel est généralement associé à une productivité plus faible. De plus, les travailleurs informels sont privés d'une protection sociale adéquate, ce qui les expose à des risques accrus en cas de maladie, d'accident ou de perte d'emploi.

 

F.N.H. : Les politiques mises en place au fil des années par les différents gouvernements n’ont pas pu solutionner la problématique qui prend une ampleur de plus en plus grandissante. À votre avis, quelles sont les mesures à mettre en place pour limiter le travail informel ?

A. Z. M. : Face à ces défis, il est essentiel que le gouvernement marocain mette en

œuvre des politiques visant à réduire la prévalence de l'emploi informel et à favoriser une transition vers le secteur formel. Ces politiques devraient inclure des mesures fondamentales :

• Tout d'abord, il est important de simplifier les procédures administratives, de réduire les coûts liés à la création d'entreprises formelles et d’accélérer les procédures d’obtention de licence et de déclaration fiscale pour faciliter la transition vers le secteur formel. Cela encouragera les travailleurs et les entreprises à opter pour le secteur formel, en réduisant les barrières à l'entrée.

• Ensuite, il est crucial de renforcer l'application des lois du travail pour protéger les droits des travailleurs et dissuader les pratiques informelles. Des inspections régulières et des sanctions sévères en cas de non-conformité doivent être mises en place.

• Parallèlement, des incitations financières et fiscales peuvent être offertes aux employeurs pour les encourager à embaucher légalement. Cela peut prendre la forme de réductions de charges sociales ou de subventions pour les entreprises qui opèrent dans le secteur formel.

• Il est également important de promouvoir l'éducation et la formation professionnelle, en développant des programmes adaptés aux besoins du marché du travail et en fournissant aux travailleurs les compétences nécessaires pour accéder à des emplois formels de meilleure qualité.

• Également, il convient de renforcer la protection sociale pour les travailleurs informels en mettant en place des régimes d'assurance maladie abordables, des régimes de retraite adaptés et des filets de sécurité sociale pour les périodes de chômage.

• Enfin, la mise en œuvre de ces mesures devrait être soutenue par une coopération étroite entre le gouvernement, les syndicats, les employeurs et la société civile, afin de garantir leur efficacité et leur pertinence dans le pays.

 

Un phénomène persistant
L’emploi informel n’est pas propre aux entreprises naissantes ou aux activités économiques parallèles. Celui-ci prend place également au sein de grandes entités. En effet, les données provenant du compte satellite indiquent que 7,3% de l’emploi des entreprises formelles sont informels. Pour ce qui est de la répartition sectorielle, le secteur du commerce représente la plus grande proportion, avec 47% du total des emplois informels, suivi du secteur de l’industrie (16,8%), puis les services marchands (13,3%), le bâtiment et les travaux publics, (10,5%), le transport (6%), l'hôtellerie et la restauration (5,5%) et la pêche (0,9%). Dans le cadre d’une autosaisine, le Conseil économique social et environnemental (CESE) s’est notamment penché sur les raisons de la prédominance de l’informel au Maroc. Le Conseil fait savoir que cette situation est essentiellement due à la persistance des entraves réglementaires à la formalisation, aux difficultés d’accès au financement, aux marchés et au foncier, à l’insuffisance du niveau de qualification qui exclut de nombreux actifs de l’économie formelle, ou encore à la faiblesse des opportunités d’emploi en milieu rural.

 

 

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