Droit de la concurrence: «La procédure de transaction est une option intéressante pour les entités en infraction»

Droit de la concurrence: «La procédure de transaction est une option intéressante pour les entités en infraction»

La politique en matière de concurrence au Maroc a pour finalité de promouvoir des marchés efficaces pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.

L’année 2023 a été riche législativement pour le droit de la concurrence.

Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, présidente de la Commission startup et capital risque de l’Union internationale des avocats et associée responsable Roudane Law Firm, en collaboration avec Al Tamimi & Co.

 

Propos recueillis par Ibtissam. Z.

Finances News Hebdo : La modernisation du droit de la concurrence marocain s’imposait. Que faut-il retenir de ces changements ?

Me Nesrine Roudane : La nécessité de moderniser le cadre juridique de la concurrence au Maroc était impérieuse, motivée par plusieurs considérations. Premièrement, la législation existante était vieillissante, n’ayant pas bénéficié de mises à jour depuis plusieurs années et a montré ses limites à l’occasion d’applications récentes. Deuxièmement, le cadre législatif marocain affichait un niveau de rigueur inférieur à celui des législations concurrentielles d’autres pays, en particulier la législation de l’Union européenne. Troisièmement, le champ d’application du droit de la concurrence marocain connaissait quelques lacunes importantes qu’il était nécessaire de combler, surtout au regard des applications pratiques. Les réformes les plus significatives introduites dans le droit de la concurrence marocain en 2023 concernent le contrôle des concentrations et les pratiques anticoncurrentielles, avec de nouveaux aménagements. Ces changements permettront de renforcer la protection de la concurrence au Maroc et de contribuer à la promotion de l’économie de marché.

 

F.N.H. : Justement, cette année a été riche législativement pour le droit de la concurrence afin de moderniser et de combler certaines lacunes. Quelle lecture faites-vous des nouveautés apportées ? 

Me N. R. : Les nouveautés apportées au droit de la concurrence marocain en 2023 sont une avancée importante pour le Maroc. Elles permettront de renforcer la protection de la concurrence et de contribuer à la promotion de l’économie de marché. En ce qui concerne le contrôle des concentrations, la loi introduit trois seuils alternatifs de notification, éliminant ainsi le seuil basé exclusivement sur le chiffre d’affaires mondial des parties concernées. Une procédure de notification simplifiée est mise en place pour les opérations les plus simples, définies par voie réglementaire. De plus, la nouvelle législation précise que les opérations de concentration entre les mêmes entreprises au cours de deux années seront considérées comme une seule opération, une mesure visant à contrer les stratégies de contournement du contrôle des concentrations. En outre, les entreprises notifiantes devront dorénavant s’acquitter d’une redevance, dont le montant a été défini par voie réglementaire, pour l’examen de leurs notifications, contribuant ainsi à rendre le processus plus efficient. Dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles, la loi de 2023 introduit une procédure de transaction permettant aux entreprises d’accepter les griefs sans contestation, en échange d’une fourchette de sanctions pécuniaires réduites. Les critères de détermination des sanctions sont également clarifiés, incluant des éléments tels que le chiffre d’affaires et les ventes liés à l’infraction, la durée de l’infraction, les gains illicites, le degré d’implication de l’entreprise, la gravité des faits, et l’importance du dommage économique. Le Conseil de la concurrence peut désormais prendre en compte des circonstances aggravantes et atténuantes, telles que la récidive, le rôle leader de l’entreprise, le niveau de participation à l’infraction, ou la cessation volontaire de la pratique. Par ailleurs, la possibilité de recours en cassation est introduite, permettant ainsi de contester les arrêts de la Cour d’appel de Rabat ayant confirmé, annulé ou réformé une décision du Conseil de la concurrence. Ces révisions législatives s’inscrivent dans une démarche visant à renforcer la protection de la concurrence au Maroc et à assurer une application plus équitable du droit des pratiques anticoncurrentielles.

 

F.N.H. : La procédure de la transaction, avec ses récentes applications, connaît également des remaniements. En quoi consistent-ils ? 

Me N. R. : La procédure de transaction est une procédure alternative au contentieux qui permet aux entreprises en infraction de négocier un accord avec le Conseil de la concurrence. Elle présente plusieurs avantages pour les entreprises en infraction, notamment une résolution rapide du litige en mettant fin rapidement à la procédure de sanction, qui peut s’étendre sur plusieurs années en cas de procès. La procédure de transaction permet également la réduction de la sanction pécuniaire, qui est généralement inférieure à la sanction qui serait prononcée par le Conseil de la concurrence en cas de processus normal. Cette procédure permet également d’éviter des frais et inconvénients liés à un procès, notamment les conséquences légales liées à un établissement de la faute de l’entreprise en infraction de la législation sur la concurrence. Parmi les exemples pratiques, en février 2023, l’Ordre national des architectes a conclu une transaction avec le Conseil de la concurrence. L’Ordre a accepté de ne pas contester les griefs relatifs à des pratiques anticoncurrentielles. La procédure de transaction est une option intéressante pour les entités en infraction qui souhaitent mettre fin rapidement à la procédure de sanction.

 

F.N.H. : Le programme de conformité au droit de la concurrence est un chantier vaste et varié. Il comprend plusieurs aspects, notamment les sanctions, les opérations de concentrations économiques et la libre concurrence. En quoi ce chantier est-il stratégique pour le Maroc ? 

Me N. R. : Le programme de conformité au droit de la concurrence est un chantier stratégique pour le Maroc. Il vise à garantir la libre concurrence, qui est essentielle pour protéger les intérêts des consommateurs, favoriser la croissance économique et renforcer l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étrangers. Les sanctions sont un élément important du programme de conformité. Elles sont dissuasives et contribuent à garantir que les entreprises respectent le droit de la concurrence. Les opérations de concentrations économiques sont également importantes pour le Maroc. Elles permettent d’éviter que la concentration du marché n’entrave la libre concurrence. Le Maroc a fait des progrès significatifs dans la mise en œuvre de son programme de conformité au droit de la concurrence. D’ailleurs, la dernière édition du guide relatif à la mise en place de programmes de conformité au droit de la concurrence au sein des entreprises et des organisations professionnelles date du 10 janvier 2022. En 2023, le Conseil de la concurrence a prononcé plusieurs sanctions importantes contre des entreprises ayant commis des pratiques anticoncurrentielles. Le Conseil a également renforcé son contrôle des concentrations économiques. Le Maroc devra poursuivre ses efforts pour renforcer l’efficacité du programme et le rendre plus accessible aux entreprises.

 

F.N.H. : Le Conseil de la concurrence vise à amener plus de transparence à travers des directives bien précises. Quel rôle joue le Conseil dans la préservation de la libre concurrence ? 

Me N. R. : Le Conseil de la concurrence au Maroc, en tant qu’entité indépendante constitutionnelle, assume une mission cruciale dans la surveillance du respect du droit de la concurrence, axée notamment sur l’approbation ou l’interdiction des opérations de concentration économique. Dans l’exercice de cette mission, le Conseil de la concurrence joue un rôle déterminant dans la promotion de la transparence des opérations de concentration économique. Cette contribution se manifeste à travers plusieurs initiatives significatives. Ainsi, le Conseil de la concurrence émet des lignes directrices spécifiques au contrôle des opérations de concentration économique. Ces directives détaillent les critères d’évaluation utilisés, offrant ainsi une visibilité claire sur les règles applicables aux entreprises. Accessibles au public, elles permettent une compréhension approfondie des paramètres pris en compte lors de l’évaluation des opérations. La transparence est également assurée par la publication des décisions prises par le Conseil de la concurrence. Cette pratique offre une visibilité accrue sur les motivations sousjacentes à l’approbation ou l’interdiction d’une opération de concentration économique, informant ainsi les entreprises et le public des tenants et aboutissants de ces décisions. Les récentes lignes directrices émises par le Conseil de la concurrence le 11 décembre 2023 marquent une avancée significative dans le renforcement de la transparence entourant les opérations de concentration économique au Maroc. Ces directives spécifient les critères d’évaluation, tels que la part de marché des entreprises, les barrières à l’entrée sur le marché, la concurrence potentielle et les effets sur les consommateurs. La publication récente de ces lignes directrices représente une étape cruciale dans le renforcement de la transparence des opérations de concentration économique au Maroc. Elles offrent aux entreprises une compréhension approfondie des règles qui les concernent, contribuant ainsi à une protection accrue des intérêts des consommateurs. 

 

 

 

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