Digital : Les annonceurs contraints de s'adapter (entretien)

Les annonceurs contraints de s'adapter (entretien)

 

Mounir Jazouli, président du Groupement des annonceurs du Maroc (GAM) et membre du Comité exécutif de la Fédération mondiale des annonceurs (WFA), revient sur les principaux enseignements à tirer de  l’African Digital Summit 2018, ainsi que sur les résultats de la 4ème étude de référence sur le digital.

 

 

Finances News Hebdo : Quels sont les principaux enseignements à retenir des différents débats animés par les experts lors de l’African Digital Summit 2018 ?

 

Mounir Jazouli : Aujourd’hui, nous faisons face à une donne : la technologie a totalement transformé la façon de travailler (marketeurs, communicants, éditeurs…), les canaux d’interaction avec nos clients, prospects et publics, le mode de consommation de nos produits et notre façon de produire du contenu.

Un rapprochement est plus qu’inévitable entre marques et marketeurs et ces technologies… D’ailleurs, les 26 sessions de contenu organisées lors de l’African Digital Summit (#ADSGAM) ont toutes versé dans ce sens-là, pour apporter des réponses complémentaires.

Et s’il y a des enseignements à retenir de cette édition de l’ADSGAM, ce serait en premier lieu l’évolution très rapide et accélérée du comportement des consommateurs, nous imposant ainsi de redoubler d’effort pour suivre et s’adapter à cette évolution et cette modification continuelle du mode de consommation.

Aussi, je retiendrais de cette édition les techniques et outils qui vont façonner le futur, notamment le Voice Search (la recherche vocale) qui a fait l’objet de la présentation de Amine Bentahar (Chief Digital OfficerAdvantix/ USA). Cette technologie est d’une très grande importance à mes yeux parce que, d’un côté, nous avons un taux de pénétration d’Internet très élevé au Maroc et, d’un autre, un taux d’analphabétisme très élevé. Sur Internet, le public consomme majoritairement la vidéo, l’image et la voix. C’est un public passif qui produit peu de contenus, mais en consomme beaucoup. Les seuls contenus qu’il arrive le plus à partager sont l’image et la vidéo.

D’ailleurs, la vidéo a la cote dans le système digital, notamment publicitaire, aussi bien marocain qu’africain, et ça restera une tendance pendant plusieurs années. La recherche vocale vient apporter une solution à ce public, qui a du mal à saisir des mots clés dans les moteurs de recherche et trouver le contenu souhaité. Elle facilitera cette tâche et sera facilement et rapidement adoptée dans les modes de comportement des internautes. Et les marques ne doivent pas perdre de vue cette opportunité que représente cette technologie et se positionner là-dessus.

 

 

F.N.H. : Quid de l’élément humain ?

 

M. J. : Effectivement, toute technologie, aussi performante soit-elle, ne saurait remplacer l’humain qui a toute sa place, surtout dans des contextes comme les nôtres, marocain et africain.

De ce fait, toutes les stratégies digitales des entreprises et marques en Afrique doivent tenir compte de cet élément et le mettre au centre de la technologie.

L’autre point à retenir, ce sont tous les outils très avancés et très élaborés comme l’IOT (Internet of Things), la réalité augmentée, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle… Ce sont des outils qui vont arriver très rapidement sur le continent et auxquels il faut accorder une place dans les stratégies des marques africaines ou internationales implantées en Afrique.

Dans ce sens, il y a lieu de faire de la pédagogie et de l’anticipation. En cela, à travers les interventions de certains experts lors de l’ASDGAM, nous avons vu comment ces outils apportent de la valeur ajoutée et accélèrent la transformation des marques et leur adaptation au changement rapide des modes de comportement des consommateurs et de l’environnement en général.

Aussi, j’insiste, concernant les éditeurs, sur le fait que le Premium local et africain a de l’avenir. Il y a lieu de travailler main dans la main, éditeurs, annonceurs et écosystème, pour développer les éditeurs premium locaux au niveau africain.

Le dernier point concerne la réglementation et la transparence du digital, qui permettent de maintenir la confiance tout au long de la chaîne de valeur, laquelle constitue la clé de réussite de toute stratégie digitale. Dans ce sens, un élément doit nous alerter : c’est la montée en puissance du téléchargement des logiciels de blocage de la publicité, Adblocker.

 

 

F.N.H. : L’une des choses inédites de cette édition de l’ADSGAM est que vous avez invité un éditeur de ce type de logiciel. C’est plutôt l’ennemi des annonceurs non?

 

M. J. : Nous avons eu la chance d’avoir avec nous une figure emblématique du Adblock dans le monde, Dr Laura Dornheim, la directrice de communication d’Eyeo, le plus important éditeur de logiciels Adblocker en Allemagne.

D’ailleurs, ils ont été choqués d’être invités par des annonceurs. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que ces éditeurs travaillent avec Google, Facebook et la Fédération mondiale des annonceurs sur une initiative pour une meilleure publicité. J’ai pu m’entretenir il y a deux ans à New York avec le patron d’Eyeo, et j’ai pu constater son ouverture d’esprit, mais aussi que pareilles sociétés peuvent au contraire aider les annonceurs à mieux faire en termes de publicité.

Et, au terme de la présentation de L. Dornheim, les annonceurs se sont rendu compte qu’il y a plusieurs formes de publicité qui dérangent.

 

 

F.N.H. : Lors de la cérémonie des Moroccan Digital Awards à l’issue de l’ADSGAM, vous avez soulevé la question du faible recours au big data. Quel est dans ce sens le manque à gagner aussi bien pour les médias que les annonceurs sur toutes les potentialités qu’offre le big data ?

 

M. J. : Nous étions persuadés que nous n’allions pas avoir de candidatures pour le big data. Mais j’ai insisté pour garder cette catégorie d’Awards afin de souligner le retard accusé sur ce point. Et comme vous l’avez remarqué, même sur l’étude de référence sur le digital, personne n’a évoqué cet outil. Ce qu’il faut signaler à ce niveau-là, c’est que data et business se concilient très bien, comme souligné lors de sessions de l’ADSGAM. C’est un enjeu pour le marché marocain et africain pour l’année 2018, et je pense qu’il faut de plus en plus s’orienter vers l’Useful data ou le data utile, qu’il soit big ou pas. Je l’avais souligné il y a deux ans et je le réaffirme encore, le data est le nouveau pétrole de l’économie mondiale.

 

 

F.N.H. : Pour en revenir à l’étude, il y a une prise de conscience de l’importance du digital, mais certains leviers sont à actionner pour en tirer plein profit…

 

M. J. : L’un des premiers faits saillants de cette étude est l’évolution très positive de l’ensemble des indicateurs. Il y a la généralisation de la prise de conscience de l’importance d’avoir des plans digitaux, une présence structurée sur le digital (stratégie à l’appui), y consacrer les moyens nécessaires, que ce soit en termes de budget ou de ressources humaines dans une entité dédiée, et de lui accorder un niveau important de hiérarchie, avec tout l’engagement du top management dans ce processus.

Pour autant, un point qui est pour moi légèrement en retard, c’est l’évolution des budgets. Je pensais que les moyens financiers allaient suivre cette année qui est difficile pour tout le marché. Je reste confiant pour 2018, bien que ce soit une année biaisée notamment par la qualification du Maroc à la Coupe du monde, qui a donné lieu à des campagnes dans ce sens. C’était du Real Time Marketing, d’où l’importance du digital. Et cela se poursuivra en 2018 avec le démarrage de la Coupe du monde qui mobilisera les marques. Donc, nous aurons une croissance exceptionnelle, mais biaisée. L’idéal serait d’avoir cette croissance de budget sur 2019.

J’ajouterais une chose concernant la stratégie, d’autant que tout le monde ne lui donne pas la même définition : 60 à 65% des entreprises ont une stratégie formalisée et écrite, alors que les autres croient qu’une stratégie se résume à un plan digital. Il y a un problème de terminologie à prendre en ligne de compte.

Entre autres éléments révélés par l’étude, je citerais un indicateur qui n’a pas évolué depuis quatre ans : la stratégie digitale reste très liée à la stratégie communication ou marketing. Sachant que dans le cadre d’une transformation globale, on doit casser le silo et ce mouvement de transformation doit toucher l’ensemble des parties prenantes au sein de l’entreprise.

 

 

F.N.H. : Qu’en est-il de la protection des données personnelles des consommateurs ?

 

M. J. : C’est un indicateur qui a beaucoup évolué, comme le démontre l’étude. Pour moi, c’est un motif de fierté et de grande satisfaction.

Nous sommes partis de zéro il y a trois ans avec la CNDP et du chemin a été parcouru. Aujourd’hui, 69% des entreprises ont fait leur déclaration auprès de la CNDP, ce qui est énorme, et 11% ont initié la démarche. Donc, entre les deux, nous sommes à 80%. Dans les 20% qui restent, il y a 9% qui n’ont pas initié la démarche, mais 11% (contre 40% la première année) ne connaissent même pas ce qu’est la CNDP. De grandes avancées ont donc été réalisées. ■

 

 

Propos recueillis par Imane Bouhrara

 

 

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