Maroc Digital 2030 : «C'est un plan à la fois visionnaire dans ses objectifs à long terme et pragmatique dans les leviers actionnés»

Maroc Digital 2030 : «C'est un plan à la fois visionnaire dans ses objectifs à long terme et pragmatique dans les leviers actionnés»

Dynamiser l'économie numérique et digitaliser les services publics : ce sont deux axes majeurs que compte mettre en œuvre la stratégie Maroc Digital 2030. L’exécution dans les règles de l’art de ce programme ambitieux aura un impact socioéconomique indéniable. Entretien avec Mohamed Tmart, expert en cybersécurité et fondateur de CapValue.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Le programme Maroc Digital 2030 a été lancé le 25 septembre 2024. Quel regard portez-vous sur cette feuille de route ?

Mohamed Tmart : Le plan Maroc Digital 2030 est une feuille de route extrêmement ambitieuse et prometteuse pour positionner le Maroc comme un leader du numérique en Afrique et dans le monde. Ses deux axes stratégiques - dynamiser l'économie numérique et digitaliser les services publics - sont parfaitement pertinents et complémentaires pour créer massivement de l'emploi qualifié, améliorer radicalement la qualité des services rendus aux citoyens et aux entreprises, et gagner fortement en compétitivité et en attractivité économique. C'est un plan à la fois visionnaire dans ses objectifs à long terme et pragmatique dans les leviers actionnés. Son processus d'élaboration consultatif, ayant mobilisé plus d'une centaine d'acteurs publics et privés à travers des ateliers régionaux et sectoriels, en fait une stratégie co-construite et largement partagée. Si l'exécution est au rendez-vous, nul doute que Maroc Digital 2030 aura un impact socioéconomique puissant et durable pour l'émergence et le progrès du Royaume et de sa jeunesse. En misant sur la jeunesse, l'innovation et l'entrepreneuriat technologique, en digitalisant en profondeur notre économie et notre administration, en faisant preuve d'audace et d'agilité, nous pourrons assurément faire de ce nouvel âge digital un puissant accélérateur de développement et de progrès partagés au service de tous les Marocains. C'est une formidable opportunité historique à saisir collectivement.

 

F.N.H. : Dans ce sens, une enveloppe budgétaire de 240 millions de dirhams vient d’être allouée pour la stratégie «Maroc Digital 2030». Quelle lecture faites-vous sur la réactivité de l’Etat marocain ?

M. T. : L'allocation rapide d'un budget conséquent pour soutenir la stratégie Maroc Digital 2030 témoigne de l'engagement et de la réactivité de l'État pour accélérer la transformation digitale du Maroc. Ce financement significatif permettra de lancer rapidement des chantiers prioritaires et structurants de cette feuille de route ambitieuse et de soutenir des leviers clés comme l'innovation et les startups. Cette mobilisation des ressources illustre la volonté de l'État de donner une impulsion forte à cette stratégie digitale qui est une priorité nationale, afin de concrétiser la vision d'un Maroc numérique à horizon 2030. Le défi sera désormais de maintenir cet effort budgétaire dans la durée et de veiller à une allocation optimale des fonds vers les projets les plus porteurs de valeur ajoutée, afin de produire un impact tangible et durable sur la digitalisation de notre économie et de notre société.

 

F.N.H. : A votre avis, les objectifs tracés par la stratégie nationale sont-ils réalisables à l'horizon 2030 ? Y a-t-il des entraves qui peuvent ralentir cette transformation digitale ?

M. T. : Les objectifs du plan Maroc Digital 2030, s'ils sont indéniablement ambitieux au regard d'où nous partons, me semblent néanmoins atteignables à horizon 2030 si tous les acteurs publics et privés concernés se mobilisent suffisamment et si l'exécution de la stratégie est irréprochable. L'ambition d'intégrer le top 50 mondial en matière d'e-gouvernement et de devenir le numéro 1 en Afrique est certes élevée, mais avec une digitalisation massive, rapide et réussie des services publics les plus utilisés par les citoyens et les entreprises, c'est jouable. Cela demandera un leadership affirmé au plus haut niveau de l'État, un portage interministériel fort incarné par l'ADD, et une transformation en profondeur des méthodes de conception des services, en mode agile et centré sur les usages. Mais cela suppose d'abord de réussir la convergence des portails publics vers une plateforme unifiée, fluide et personnalisée, de type «gouvernement.gov.ma». Cela nécessite aussi de mettre à niveau les back offices, de former massivement les agents aux nouveaux usages numériques, d'interopérer les systèmes, de mutualiser certains services communs comme l'identité ou le paiement en ligne. Les fondations techniques et méthodologiques existent, à l'instar de l’ADD, mais un effort budgétaire et humain conséquent sera nécessaire. Pour les relever et atteindre nos ambitions, plusieurs risques potentiels devront être maîtrisés. Le premier réside dans notre capacité à produire suffisamment de talents, en quantité et en qualité, pour répondre aux besoins exponentiels du marché, sous peine de tensions. Cela demandera un effort majeur d'orientation, de formation initiale et continue et de reconversion vers les filières digitales. Le deuxième écueil possible concerne le financement pérenne de cette transformation d'envergure. Que ce soit pour mettre en place les infrastructures cloud souveraines, subventionner les programmes de R&D et d'open innovation, amorcer des startups ou digitaliser massivement des TPE/ PME, il faudra des ressources à la hauteur. Un fléchage accru des investissements publics et privés vers le secteur digital sera la clé.

 

F.N.H. : Quels sont les atouts de ce programme ? Et que peut-il apporter concrètement en matière d'emplois, surtout chez les jeunes ?

M. T. : Le plan Maroc Digital 2030 recèle de multiples atouts pour notre pays. Tout d'abord, il identifie avec justesse le digital comme un levier transversal et puissant de développement économique et de progrès social, en ligne avec les hautes orientations Royales. Il définit une vision claire et partagée, des objectifs ambitieux et mesurables, et des axes d'intervention pertinents. Son approche holistique visant à la fois à doper la croissance de l'économie numérique et à améliorer l'expérience des usagers des services publics est parfaitement cohérente. Ensuite, la stratégie sectorielle est équilibrée, misant sur les métiers matures comme l'outsourcing pour créer rapidement de l'emploi, tout en préparant l'avenir avec un fort soutien à l'entrepreneuriat digital innovant et à l'export de services à valeur ajoutée. Le renforcement de l'offre de formation est clairvoyant pour répondre aux besoins croissants en compétences. L'accent mis sur des technologies différenciantes comme l'IA ou la data science est aussi un atout pour positionner notre économie numérique sur des créneaux porteurs.

Un autre point fort est le mode d'élaboration participatif de ce plan, incluant l'ensemble des parties prenantes. Administrations, entreprises, fédérations professionnelles, universités…, tous ont été mis à contribution pour partager leurs attentes et propositions, au travers d'ateliers thématiques et territoriaux. Cette co-construction crée de l'engagement et facilite l'appropriation collective des enjeux et leviers de cette transformation digitale. C'est un gage de succès. En matière d'emploi, le potentiel du digital est considérable, notamment pour les jeunes. Le plan prévoit ainsi la création de 270.000 emplois directs à horizon 2030 dans les métiers de l'outsourcing et de l'export de services numériques, où le Maroc a une vraie carte à jouer au vu de ses succès récents. Pour y parvenir, le programme mise avec raison sur la montée en gamme vers des prestations à plus forte valeur ajoutée, s'appuyant sur l'intelligence artificielle, et susceptibles de générer davantage d'emplois qualifiés pour les jeunes diplômés. La labellisation des startups, la création d'un visa pour les talents étrangers de la tech, la simplification du cadre légal pour faciliter les levées de fonds, sont d'autres mesures judicieuses pour stimuler l'innovation entrepreneuriale et donc l'emploi digital. Des success stories inspirantes produiront un effet d'entraînement chez les jeunes aspirant à créer leur startup. Le plan mise sur une diversification des viviers et des modalités de formation, en s'appuyant d'une part sur un renforcement des capacités des écoles d'ingénieurs et universités, mais aussi sur des parcours plus courts et professionnalisants de reconversion, tels que des bootcamps, des écoles de code ou des certifications qualifiantes. Cette agilité et cette ouverture des compétences seront un facteur d'inclusion pour des milliers de jeunes, quel que soit leur niveau d'éducation initiale ou leur localisation.

 

F.N.H. : La protection des données personnelles et la sécurisation des services numériques nécessitent des normes strictes de cybersécurité. Selon vous, comment est-il possible d'y parvenir ?

M. T. : La cybersécurité et la protection des données privées sont en effet des enjeux majeurs et des prérequis de la confiance numérique. A l'heure où la digitalisation s'accélère et où les cybermenaces se multiplient, aucune organisation publique ou privée, aucun citoyen, ne peut faire l'économie d'une prise en compte de ces risques dans ses usages quotidiens du numérique. C'est un défi planétaire auquel le Maroc, à l'instar d'autres pays, doit faire face avec la plus grande détermination. Le plan Maroc Digital 2030 apporte plusieurs réponses pragmatiques à ces enjeux complexes, dans une approche à la fois technologique et réglementaire. Sur le plan technologique, le développement d'un cloud souverain pour héberger les données sensibles et critiques de l'État et des opérateurs d'importance vitale, est un choix stratégique fort. Il permettra de garder la maîtrise de ces données régaliennes sur le territoire national, dans des datacenters sécurisés opérés par des acteurs de confiance. C'est un prérequis indispensable pour assurer notre souveraineté et notre résilience numérique dans un monde instable. La généralisation de standards élevés de cybersécurité par conception dans les systèmes d'information de l'État, comme le chiffrement, les architectures Zero trust ou la détection proactive des menaces, contribuera aussi à mieux protéger les données des citoyens et des entreprises. Le renforcement de la Direction générale de la sécurité des systèmes d'information (DGSSI), en termes de moyens et d'expertise, est également positif. Sur le plan réglementaire, la loi 09-08 relative à la protection des données à caractère personnel a marqué une avancée importante pour aligner le Maroc sur les meilleurs standards internationaux, à commencer par le RGPD européen. Cette loi, d'application directe, consacre des principes forts de consentement, de transparence et de limitation des finalités de collecte, qui responsabilisent les organismes collectant des données privées, sous le contrôle de la CNDP. Son application effective est un facteur clé de confiance. Mais toutes ces mesures, indispensables qu'elles soient, ne suffiront pas si elles ne s'accompagnent pas d'un vaste effort de sensibilisation et de formation aux bonnes pratiques de la cybersécurité, qui est l'affaire de tous. Les pouvoirs publics ont là un rôle central de pédagogie dans la durée. In fine, la meilleure barrière restera celle de l'hygiène et de la vigilance numérique de chaque citoyen, administration et entreprise dans sa vie numérique.

 

F.N.H. : Maroc Digital 2030 est considérée comme étant une révolution en soi. L'innovation et la recherche sont deux facteurs nécessaires pour le développement de ce secteur. Comment le Maroc peut-il réussir ce challenge ?

M. T. : Pour réussir ce défi, le plan actionne plusieurs leviers complémentaires. Premièrement, le Maroc mise sur le renforcement de son écosystème de startups pour faire émerger des entreprises technologiques innovantes. Le plan prévoit un fort soutien à l'entrepreneuriat digital avec des mesures incitatives en termes d'accompagnement, de financement et d'accès au marché : label startup, Bourses, fonds d'investissement, commande publique, soutien à l'export, etc. L'objectif ambitieux est de faire émerger gazelles et licornes. En parallèle, les universités et centres de recherche seront incités à renforcer leurs capacités de R&D appliquée, en développant des projets collaboratifs avec des entreprises sur des technologies ciblées à fort impact comme l'intelligence artificielle. L'État soutiendra les projets d'innovation les plus prometteurs, notamment en renforçant le programme d'appui à la recherche et au développement. Le plan mise aussi sur l'ouverture internationale, en nouant des partenariats avec des écosystèmes innovants de référence pour favoriser les transferts de savoir et en attirant des talents étrangers pour fertiliser la R&D marocaine.

 

F.N.H. : La transformation digitale nécessite une maind'œuvre qualifiée et la formation dans ce secteur stratégique reste prioritaire. Le Royaume est-il suffisamment outillé pour relever ce défi ?

M. T. : Le capital humain est au cœur de la stratégie Maroc Digital 2030 pour réussir la transformation digitale du pays. Pour relever ce défi, le plan mise sur plusieurs leviers complémentaires. D'une part, les capacités de formation des universités dans les filières digitales seront fortement renforcées. D'autre part, des programmes de reconversion rapide vers les métiers du numérique seront déployés massivement. Enfin, l'attraction de talents étrangers de haut niveau sera favorisée par un dispositif dédié. Une nouvelle agence sera créée pour coordonner cette montée en compétences d'envergure. Ainsi, le Maroc se donne les moyens de développer à grande échelle les talents nécessaires pour réussir son virage numérique.

 

F.N.H. : L’Agence de développement du digital peut jouer un rôle déterminant pour accompagner la numérisation des administrations. Que pouvez-vous nous en dire ?

M. T. : L'Agence de développement du digital (ADD) sera effectivement un acteur clé pour réussir la digitalisation des services publics, qui est un axe central de la stratégie Maroc Digital 2030. Elle aura pour mission d'accompagner étroitement les administrations dans la simplification et la digitalisation de leurs procédures et parcours usagers, en adoptant une approche centrée sur les besoins des citoyens et entreprises. L'ADD mettra à disposition des ministères, une expertise technologique et méthodologique de haut niveau pour les aider à repenser leurs services numériques de bout en bout. En partenariat avec la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), elle a par exemple développé une plateforme essentielle d'identité numérique. L'ADD déploiera aussi d'autres services mutualisés comme l'interopérabilité des systèmes pour accélérer les projets de dématérialisation. Son positionnement interministériel, son agilité et son rôle d'assemblier feront de l'ADD un partenaire incontournable des administrations pour atteindre l'ambition du Maroc, celle de figurer dans le top 50 de l'e-gouvernement en 2030. 

 

 

 

 

 

 

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