L’accès aux décisions de justice peut relever du parcours du combattant au Maroc.
La plateforme «Quadaoukoum» a pour vocation de rendre plus aisé l’accès aux arrêts et à la jurisprudence.
Entretien avec Maître Omar Azouggar, avocat aux barreaux de Casablanca, Paris et Montréal.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en place la plateforme «Quadaoukoum» ?
Omar Azougar : Il faut savoir qu’au Maroc, la jurisprudence n’est pas publiée systématiquement sur des supports physiques et digitaux. En conséquence, les professionnels (avocats, notaires etc.) et autres acteurs (professeurs, chercheurs, étudiants etc.) éprouvent beaucoup de difficultés pour appréhender la position de la jurisprudence sur un sujet bien déterminé. Dans notre pays, il existe une culture profondément ancrée et erronée selon laquelle la jurisprudence serait un bien privé et non public. Or, la décision rendue par le juge relève du domaine public. Donc, tous les citoyens ont le droit d’accéder aux arrêts rendus par l’autorité judiciaire. Ceci dit, l’accès difficile aux décisions de justice au Maroc trouve quelque part son fondement dans le fait que le juge est mal à l’aise face à ses décisions rendues, susceptibles de se contredire dans un laps de temps. L’enjeu est de taille, car l’instabilité de la jurisprudence, notamment sur une courte période, est une source d’inquiétude. Elle éveille le doute et exacerbe le manque de confiance des professionnels, des citoyens lambda et surtout des investisseurs, lesquels accordent une grande importance à la sécurité judiciaire. Ce paramètre est un élément crucial pour la stabilité sociale et l’attractivité de notre pays aux yeux des investisseurs. Ces derniers évaluent les risques, dont celui inhérent au droit et à la justice avant d’investir. Le site «Quadaoukoum» peut ainsi aider les cabinets internationaux à mieux appréhender les risques sociaux, fiscaux et commerciaux en cas de litige.
F.N.H. : Quels sont les principaux facteurs de différenciation de votre site par rapport aux plateformes analogues qui existent au Maroc ?
O. A. : Notre plateforme agrège plus de 220.000 arrêts émanant de la Cour de cassation et d’autres autres juridictions. Ces arrêts concernent six matières, notamment civile, commerciale, administrative, pénale, sociale et celle relative au statut personnel (Code de la famille). Concrètement, le site permet à un avocat d’apporter des réponses juridiques face à un litige qui a déjà été tranché par le juge. L’avocat peut se prévaloir d’une jurisprudence trouvée sur la plateforme afin de justifier sa position devant le juge. L’utilisation de «Quadaoukoum» par mes confrères est susceptible de réduire les contentieux devant les juridictions. Les avocats peuvent dissuader leurs clients de saisir la justice pour une affaire similaire déjà tranchée et dont les chances de succès sont minimes au regard de la jurisprudence.
F.N.H. : Quelles sont les exigences à satisfaire pour avoir accès à la plateforme, dont la mise en place a nécessité des investissements non moins conséquents ?
O. A. : Effectivement, des investissements substantiels ont été réalisés, avec une équipe d’ingénieurs et d’informaticiens rémunérés à la tâche. Il faut garder à l’esprit que nous ne sommes pas mus par le profit ou un but foncièrement lucratif. D’ailleurs, l’accès à la plateforme est conditionné par un abonnement dont le prix n’excède pas 200 DH par mois. C’est- à-dire moins de 3.000 TTC pour un abonnement annuel. Cette pratique tarifaire raisonnable, source de rémunération de l’équipe précitée, permet de toucher un large public, lequel doit avoir un accès facile aux décisions de justice. Ce qui n’est toujours pas le cas au Maroc. Le prix est susceptible de baisser encore si le nombre d’abonnés augmente. Avec 5.000 abonnés, le prix d’abonnement annuel ne sera que de 1.000 DH TTC. Il est important de souligner que les chercheurs et les étudiants ont un accès gratuit au site, notamment au sein des bibliothèques, des écoles de commerce et des universités. La plateforme, dont l’accès est gratuit pour les magistrats, se veut être citoyenne. Par ailleurs, il faut relever l’engagement du président-délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, disposé à travailler avec nous pour la facilitation de l’accès aux décisions judiciaires, à travers l’amélioration de la plateforme «Quadaoukoum».