Croissance : «L’une de nos priorités aujourd’hui devrait être la gestion de la sécheresse et du stress hydrique»

Croissance : «L’une de nos priorités aujourd’hui devrait être la gestion de la sécheresse et du stress hydrique»

Face aux défis récurrents liés à la sécheresse et à la dépendance à l'agriculture, le Maroc s'est engagé dans une stratégie ambitieuse de diversification économique. Said Tahiri, expert économiste et en tourisme, décrypte les enjeux et perspectives de cette mutation, en insistant sur la nécessité d'une gestion optimale des ressources hydriques pour assurer un développement durable et inclusif.

 

Propos recueillis par I. Z

Finances News Hebdo : La dépendance du Maroc à l'agriculture affecte l'économie nationale. Comment évaluez-vous la stratégie de diversification économique initiée à travers notamment les métiers mondiaux du Maroc, visant à réduire cette dépendance et stabiliser la croissance à long terme ?

Said Tahiri : La dépendance de notre pays à l’agriculture ne date pas d’hier. Notre pays a vécu sa croissance et son développement économique au gré de la pluviométrie… Si, aujourd’hui, le secteur agricole est crucial pour notre économie puisqu’il représente environ 14% du PIB et emploie près de 40% de la population, il n’en demeure pas moins qu’il reste vulnérable aux aléas climatiques, et rend l'économie nationale instable. Diversifier l'économie est donc essentiel pour réduire cette vulnérabilité et promouvoir une croissance durable. Cette stratégie de diversification économique, initiée notamment à travers les «Métiers mondiaux du Maroc» (MMM), devrait permettre de réduire la dépendance du pays à l'agriculture et à stabiliser sa croissance économique à long terme. Ainsi, plusieurs secteurs clés portent aujourd’hui le processus de création de richesse dans notre pays.

Des secteurs où le Maroc peut faire valoir des avantages compétitifs certains : automobile, aéronautique, électronique, textile et cuir, agroalimentaire, offshoring ou les industries chimiques et parachimiques. Des secteurs qui ont été choisis pour leur potentiel de création d'emplois, d'exportations et d'attraction d'investissements étrangers. Le secteur automobile a connu une croissance significative, faisant du Maroc un hub régional. Des constructeurs comme Renault et PSA (PeugeotCitroën), et autres allemands, sud-coréens… ont créé des usines, permettant de créer des milliers d'emplois. Au niveau de l’aéronautique, le Maroc est devenu une plateforme compétitive avec près de 200 entreprises opérant dans ce secteur. L'investissement dans la formation et l'infrastructure a permis de renforcer les capacités locales et faire du Maroc une des nations qui compte dans ce secteur au niveau mondial. Dans l’offshoring, le Maroc s'est positionné comme une destination attrayante en offrant des services dans les domaines de la gestion des centres d'appels, l'informatique et le BPO (Business Process Outsourcing).

Cela a été rendu possible grâce notamment à un effort soutenu au niveau de la formation et du développement du capital humain, puisque clairement le développement de ces nouveaux secteurs nécessite une main-d'œuvre qualifiée et bien formée. Des centres de formation spécialisés ont vu le jour même, s’il reste encore beaucoup de défis à surmonter pour une meilleure adéquation des compétences disponibles avec les besoins du marché. Mais si le capital humain est le principal atout et défi à la fois de notre pays, le développement des Infrastructures est aussi un défi important, car bien que des progrès aient été réalisés, l'amélioration continue des infrastructures de transport et de logistique est essentielle pour soutenir la croissance industrielle dans notre pays et permettre son intégration régionale et mondiale. En effet, la compétitivité à l'échelle mondiale nécessite une intégration accrue dans les chaînes de valeur globales. Les accords de libreéchange et les partenariats internationaux jouent un rôle crucial à cet égard. Cette stratégie de diversification semble donc porter ses fruits, et les MMM deviennent des piliers de l'économie marocaine. Maintenant, pour assurer une croissance stable à long terme, le Maroc doit continuer à investir dans l'éducation, la formation et les infrastructures, tout en maintenant un environnement attractif pour les investisseurs étrangers.

 

F.N.H. : Le taux de chômage reste toujours élevé, notamment chez les jeunes et les diplômés. Quels secteurs pourraient être ciblés pour la création d'emplois stables et de qualité au Maroc ?

S. T. : Le choix de notre pays de miser sur les MMM peut être payant en matière de création d’emplois et réduire le taux de chômage, notamment chez les jeunes et les diplômés. Ces secteurs représentent un potentiel significatif pour la création d'emplois stables et de qualité. Avec la présence d'usines de grands constructeurs comme Renault et PSA, ainsi que de nombreux équipementiers, le secteur automobile continue de croître et de générer des emplois, en profitant d’une stratégie marquée de développement des compétences spécifiques à cette industrie. Il en est de même pour le secteur aéronautique, où le Maroc continue d’investir dans des centres de formation spécialisés et d’améliorer les infrastructures pour soutenir l’expansion du secteur, ou encore l’offshoring, où le Maroc est déjà considéré comme une destination attrayante des services d’externalisation. Il y a également d’autres secteurs qui sont à très fort potentiel d’employabilité des jeunes, dont :

• Le tourisme, à titre d’exemple, qui emploie aujourd’hui plus de 600.000 personnes de manière directe, et crée 4 fois plus d’emplois indirects. Il a également cette faculté d’encourager la création d’emploi dans des régions reculées, dans tout le Maroc et pas uniquement dans l’axe Casablanca-Tanger.

• Les technologies de l'information et de la communication (TIC), avec une demande croissante pour les services numériques et les solutions technologiques permettant de créer des opportunités d'emplois dans l’intelligence artificielle, développement de logiciels, support technique, cybersécurité, ou services de cloud computing… Pour cela, il faut continuer à encourager l'entrepreneuriat technologique, investir dans des incubateurs et des accélérateurs de startups et renforcer les partenariats avec des entreprises technologiques internationales.

• Les énergies renouvelables, un secteur d’avenir qui peut être fondamental pour le développement économique de notre pays. Avec des projets ambitieux comme la centrale solaire Noor à Ouarzazate, ce secteur offre des opportunités d'emploi dans la recherche, le développement, l'installation et la maintenance de technologies vertes, et permet de former des techniciens et des ingénieurs spécialisés. Aussi, promouvoir des politiques incitatives pour attirer les investissements et faire du Maroc un des leaders au niveau mondial.

• L’agroindustrie, puisque le Maroc est déjà engagé dans la transformation des produits agricoles et la mise en valeur de ces produits bruts, tout en créant des emplois stables dans les zones rurales. Encore faut-il encourager les initiatives de transformation alimentaire, améliorer les chaînes de valeur et faciliter l'accès au financement pour les PME agro-industrielles.

• Enfin, le secteur financier, y compris les technologies financières (fintech), offre des opportunités dans la gestion bancaire, les assurances et les innovations financières. Il permet aussi de promouvoir l'inclusion financière et encourager les startups fintech à travers des régulations favorables et des programmes de soutien.

Aussi, pour que ces secteurs puissent pleinement contribuer à la création d'emplois, et au risque de me répéter, il est crucial d'investir dans la formation et l'éducation, et de créer un environnement favorable aux affaires. Des politiques gouvernementales cohérentes et le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) seront également déterminants pour favoriser la croissance économique inclusive et la réduction du chômage, en particulier chez les jeunes et les diplômés.

 

F.N.H. : Le nouveau modèle de développement NMD vise une croissance annuelle supérieure à 6% et une augmentation significative du PIB par habitant d'ici 2035. Dans quelle mesure ces objectifs sont-ils réalistes face aux défis récurrents tels que la sécheresse et le stress hydrique ?

S. T. : Les objectifs du «NMD» sont certes ambitieux, mais parfaitement réalisables. Pour cela, nous avons besoin d’une approche pragmatique et une gestion efficace des défis récurrents. L’une de nos priorités aujourd’hui devrait être la gestion de la sécheresse et du stress hydrique. Le Maroc est particulièrement vulnérable aux fluctuations climatiques, avec des périodes de sécheresse fréquentes qui affectent l'agriculture. Le stress hydrique limite également la disponibilité de l'eau pour les besoins domestiques, industriels et agricoles. Le renforcement des secteurs non agricoles et des MMM n’est pas une solution unique. Il faut aussi promouvoir des industries innovantes et encourager les industries à forte valeur ajoutée, comme les technologies propres, la biotechnologie et les services financiers. Mais il faut aussi une meilleure gestion des ressources hydriques en investissant dans des infrastructures modernes pour la gestion de l'eau, y compris des barrages nouvelle génération, des systèmes d'irrigation efficaces et des technologies de dessalement. Des initiatives comme la dernière station inaugurée par le Prince héritier Moulay Hassan dans la région du grand Casablanca doivent être multipliées. Il faut aussi mettre en œuvre des politiques de gestion durable de l'eau, incluant la tarification pour encourager une utilisation rationnelle et la promotion des cultures moins gourmandes en eau, promouvoir des pratiques agricoles durables et résilientes face au climat, et l'utilisation de semences résistantes à la sécheresse.

Pour cela, il faut encourager la R&D et sceller des partenariats avec des universités ou des laboratoires universitaires (Asari à titre d’exemple, qui fait un travail formidable dans ce domaine); accélérer la transition vers les énergies renouvelables pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles et atténuer les impacts du changement climatique. Il faut également des réformes économiques et institutionnelles qui permettent l’amélioration du climat des affaires, réformer le cadre réglementaire, simplifier les procédures administratives et lutter contre la corruption pour attirer davantage d'investissements étrangers. Il faut enfin une véritable inclusion sociale et un développement humain qui passe par la réduction des inégalités, améliorer l'accès aux services de santé et d'éducation, promouvoir l'inclusion financière et développer des filets de sécurité sociale pour protéger les populations vulnérables des chocs économiques et climatiques. Ces objectifs du nouveau modèle de développement sont donc réalisables si des mesures stratégiques et cohérentes sont mises en place pour surmonter les défis. La diversification économique, la gestion durable des ressources hydriques, l'adaptation au changement climatique, les réformes institutionnelles et l'inclusion sociale sont des piliers essentiels pour atteindre ces objectifs. La réussite de cette vision repose sur une gouvernance efficace, la mobilisation des ressources nationales et internationales et la participation active de tous les acteurs de la société marocaine. Si ces conditions sont réunies, le Maroc peut espérer atteindre une croissance économique durable et une amélioration significative du bien-être de sa population d'ici 2035. Nous avons une vision éclairée, une mobilisation autour de principes fondamentaux; nous sommes aujourd’hui bien engagés dans cette voie, mais le chemin est encore très long.

 

F.N.H. : Le gouvernement s'efforce de rendre la croissance plus inclusive. Comment évalueriez-vous les efforts actuels pour réduire les inégalités économiques et sociales, et quelles améliorations sont nécessaires ?

S. T. : Le gouvernement est dans son rôle. Nous ne pouvons pas laisser des fractions de la population sur le quai, pendant que le train avance… Cela peut être très dangereux pour tout le modèle. La croissance est inclusive ou ne l’est pas. Il y a des programmes sociaux et de protection sociale qui sont là. C’est une réalité : l’INDH, le Ramed, des réformes éducatives qui se poursuivent tant bien que mal pour améliorer l'accès à l'éducation et la qualité de l'enseignement, en construisant de nouvelles écoles et en révisant les programmes scolaires. Des initiatives pour la formation professionnelle, pilotées par l’OFPPT, notamment, ont pour objectifs de renforcer les compétences des jeunes, améliorer leur employabilité et répondre aux besoins du marché de l’emploi…Tout cela est bien, mais il est loin d’être suffisant. Nous avons besoin d’un ciblage plus efficace pour s'assurer que l'aide arrive aux populations les plus vulnérables. Nous avons besoin également d’une meilleure évaluation et transparence en mettant en place des mécanismes de suivi rigoureux pour mesurer l'impact des programmes sociaux et garantir la transparence dans leur mise en œuvre. Il est important d’améliorer la qualité de l’éducation en investissant dans la formation des enseignants, en modernisant les infrastructures scolaires et en révisant les programmes pour qu'ils soient plus en adéquation avec les besoins du marché du travail. Nous avons besoin d’un accès équitable à l’éducation dans toutes les régions, y compris les zones rurales et marginalisées, ainsi que des différentes couches des populations.

Nous avons besoin d’un plus grand soutien à l'emploi et de l'entrepreneuriat en développant des politiques actives de l'emploi, des incitations fiscales pour les entreprises embauchant des jeunes et des initiatives pour encourager la primo entreprise. Le soutien aux PME passe forcément par la facilitation de l'accès au financement aussi bien pour les PME que pour les startups, ainsi que la formation en gestion d'entreprise et l'accompagnement technique. Le développement doit être équilibré et durable par la promotion des investissements équilibrés entre les régions pour réduire les disparités géographiques et favoriser le développement inclusif. Encourager les initiatives de développement durable, telles que les projets d'énergies renouvelables et les pratiques agricoles durables, pour créer des emplois et protéger l'environnement, et enfin à travers l’inclusion financière en continuant à développer les services bancaires et les institutions de microfinance, en particulier dans les zones rurales, pour soutenir l'entrepreneuriat et l'inclusion financière. Et je ne pourrais conclure sans citer la digitalisation et l’approche genre. Il est primordial d’exploiter les technologies numériques et explorer toutes les richesses dont disposent les merveilleuses femmes travailleuses dans notre pays. Il s’agit en effet des clefs de succès du développement économique et social de notre pays de façon durable et inclusive. 

 

 

 

 

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