Croissance: 2022, une année déjà compromise ?

Croissance: 2022, une année déjà compromise ?

La sécheresse et le redémarrage laborieux de l’écosystème touristique concourent à la révision à la baisse du taux de croissance prévu en 2022 par l’Exécutif.

 

Par M. Diao

La situation pluviométrique actuelle suscite beaucoup d’inquiétude chez bon nombre d’économistes et de citoyens, conscients du caractère crucial de la variable agricole pour la dynamique économique au Maroc. Rappelons que la Loi de Finances 2022, qui se base sur plusieurs hypothèses, dont une récolte céréalière de 80 millions de quintaux, prévoit un taux de croissance de 3,2% du PIB. Pour leur part, Bank Al-Maghrib et le hautcommissariat au Plan (HCP) sont moins optimistes au sujet de l’activité économique pour l’année en cours.

Les deux entités tablent sur un taux de croissance de 2,9% du PIB. BAM s’est basée, entre autres, sur l’hypothèse d’une production céréalière moyenne de 75 millions de quintaux et projette le repli de la valeur ajoutée du secteur agricole de l’ordre de 2,8%. Dans le budget économique prévisionnel 2022, le HCP renseigne que le secteur primaire devrait afficher une valeur ajoutée en baisse de 1,6% en 2022 par rapport à une hausse de 17,9% l’année précédente.

Les chiffres passés en revue traduisent un trend baissier de la valeur ajoutée du secteur primaire. Interrogé sur les conséquences de l’absence de pluie sur la campagne agricole et la croissance économique en 2022, Mehdi Lahlou, professeur de l’enseignement supérieur et économiste, apporte une réponse qui interpelle.

«Pour l’axe Casablanca-Marrakech, nous pouvons parler de sécheresse. Si l’absence de pluie perdure, le Maroc risque d’enregistrer l’une de ses pires sécheresses», alerte l’économiste, reconnu également pour sa grande expertise sur les questions hydriques. «Je n’ai jamais vu au Maroc un mois de janvier sans pluie», poursuit-il. Notons que le bassin hydraulique du Tensift (Marrakech) a enregistré son pire mois de janvier depuis près de 80 ans, avec 11 millions de m3 .

 

Le niveau de production céréalière remis en cause

Le déficit pluviométrique enregistré pousse visiblement Mehdi Lahlou à remettre en cause les perspectives de la production céréalière, située par l’Exécutif autour de 80 millions de quintaux pour 2022.

«L’arrivée des pluies dans les jours à venir permettra au mieux d’arriver entre 40 et 50 millions de quintaux. Si le manque de pluie se poursuit jusqu’à fin février, il faudra s’attendre à une récolte céréalière qui tournera autour de 30 millions de quintaux», prédit l’économiste. Najib Akesbi, professeur de l’enseignement supérieur et économiste, abonde dans le même sens. «A valeur d’aujourd’hui, tous les indicateurs sont mauvais. Au regard de la situation pluviométrique qui a prévalu jusque-là, il est clair que toutes les superficies dédiées à la production céréalière n’ont pas été emblavées. Ce qui aura, de facto, des conséquences sur la récolte céréalière», soutient le professeur. Et de confier : «J’espère que les pluies seront abondantes dans les prochains jours, ce qui permettra de sauver quelques superficies, mais surtout un tant soit peu l’élevage qui représente tout de même entre 30 et 45% de la valeur ajoutée agricole en fonction des années».

Au sujet des projections de l’Exécutif concernant la récolte céréalière pour l’année en cours, l’avis de Najib Akesbi ne diffère pas fondamentalement de celui de son confrère Mehdi Lahlou. «Au regard de la situation actuelle et d’éléments factuels, je m’attends à une production céréalière oscillant entre 30 et 50 millions de quintaux», prédit-il. Akesbi, qui n’écarte pas le puisse perdre des postes de travail, table sur un taux de croissance nettement inférieur à 3,2% du PIB en 2022.

Sachant que la décroissance au Maroc fait toujours le lit, entre autres, de la hausse du taux de chômage, déjà élevé (12,3% en 2021). Les deux économistes partagent également l’idée selon laquelle plusieurs activités non agricoles, notamment celles liées au tourisme, auront du mal à atteindre leur niveau d’activité optimal. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur le taux de croissance. «Il serait plus réaliste de projeter un taux de croissance oscillant entre 1,5 et 2,1% du PIB», soutient Lahlou.

Dans le même ordre d’idées, Akesbi n’a pas manqué de rappeler que la fermeture inopportune des frontières liée à la propagation du variant Omicron aura de lourdes conséquences sur le front économique. L’économiste va jusqu’à parler d’une année compromise. Et ce, eu égard à l’existence d’un faisceau d’éléments (sécheresse, redémarrage laborieux des multiples secteurs liés au tourisme, etc.). Sachant que rien n’est encore définitivement gagné sur le volet sanitaire en raison de la possibilité de l’irruption d’un nouveau variant lié au coronavirus.

Le Maroc est-il un pays agricole ?

Au-delà du fait que la croissance soit corrélée à la valeur ajoutée agricole, laquelle est tributaire depuis des décennies des aléas climatiques, pour Najib Akesbi, la question fondamentale à se poser est de savoir si le Maroc est vraiment un pays agricole. «Cette interrogation est d’autant plus légitime, en raison de l’existence depuis des décennies d’une carte édifiante, qui traduit la réalité.

Il s’agit de l’abondance de la pluviométrie dans le Nord du Maroc où la terre n’est guère propice à l’activité agricole. Dans le même temps, l’axe Sud-Est du pays, moins avantagé par la pluviométrie, regorge de terres adaptées à l’agriculture», schématise le professeur. En d’autres termes, au Maroc, l’eau (essentielle pour l’agriculture) se fait rare dans les zones abritant les terres adaptées aux cultures (Sud-Est). Elle est abondante au Nord dont le relief est peu propice aux cultures céréalières. De plus, l’économiste souligne que le Maroc est confronté au phénomène du stress hydrique depuis près de 20 ans.

«Sous l’effet du changement climatique, les sécheresses sont de plus en plus récurrentes et intenses», analyse Najib Akesbi. Au-delà de ce constat, notre interlocuteur s’offusque, dans un contexte de stress hydrique, de l’anachronisme des différentes politiques publiques relatives au secteur agricole. «Il faut savoir que l’agriculture s’accapare déjà la part du lion avec 87% de l’eau consommée au Maroc, pays confronté à la pénurie d’eau. Dans le même temps, l’on constate qu’une société israélienne spécialisée dans la production d’avocats est autorisée à s’implanter», soutient notre interlocuteur. Et d’expliquer : «L’avocatier est l’un des arbres les plus consommateurs d’eau». Le même constat est valable pour la culture de la pastèque (très consommatrice d’eau) et dont le Maroc est un pays exportateur. 

 

 

 

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