Les échanges commerciaux entre Rabat et Madrid ont doublé au cours des dix dernières années, avec un taux de croissance supérieur à 10% par an. L’Espagne est le premier partenaire commercial du Royaume. L’arrêt de la CJUE va-t-il freiner la coopération bilatérale ? Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Les relations économiques et commerciales entre le Maroc et l’Espagne connaissent un nouvel élan, surtout après les récents rapprochements. Quel regard portez-vous sur l’avenir des échanges entre les deux pays ?
Youssef Guerraoui Filali : Le Maroc et l’Espagne sont deux alliés historiques. Sur le pourtour de la méditerranée, les deux pays entretiennent des relations commerciales très solides. D’ailleurs, les chiffres le démontrent. L’Espagne est depuis 12 ans le premier partenaire commercial et client du Maroc. Les échanges commerciaux entre Rabat et Madrid ont doublé au cours des dix dernières années, avec des taux de croissance supérieurs à 10% par an. L’Espagne considère le Maroc comme le 2ème partenaire noneuropéen et le 1er partenaire africain. A fin décembre 2022, le volume des échanges commerciaux a atteint près de 20 milliards d’euros et plus de 800 entreprises espagnoles sont déjà installées dans diverses régions du Royaume. De ce fait, le Maroc est la principale destination des investissements espagnols en Afrique, et reçoit par conséquent plus d'un tiers de tous les investissements directs espagnols destinés au continent africain. Dans cet ordre d’idées, les relations économiques et commerciales entre les deux pays poursuivront leur élan et se renforceront encore plus, suite à la reconnaissance politique de l’Espagne de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du sud.
F.N.H. : Le Maroc est le premier fournisseur de l’Espagne en fruits et légumes. Les exportations ont connu une hausse de 10% à fin juillet 2024. Quelle lecture en faites-vous ?
Y. G. F. : Pour le Maroc, l’Espagne est le premier client européen des produits agricoles. Étroitement liés par la proximité géographique et le climat méditerranéen semblable, les deux pays partagent des systèmes agricoles confrontés aux mêmes défis, tels que la pression hydrique et les conditions climatiques changeantes. En effet, la proximité géographique, conditionnée par un réseau de transport fluide, établit une connexion directe qui réduit les barrières logistiques et favorise la fluidité des échanges commerciaux entre les deux pays. Ces éléments justifient la hausse exponentielle des exportations marocaines vers l’Espagne, soit une croissance à deux chiffres.
F.N.H. : En ce qui concerne les accords agricoles et de pêche entre le Maroc et l’Union européenne, quel impact pourraient avoir les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne sur le bon déroulement des exportations ? Y a-t-il un moyen de contourner les arrêts de la Cour ?
Y. G. F. : Concernant la décision judiciaire de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), l’annulation dans le domaine agricole est différée de 12 mois compte tenu des conséquences négatives graves qu’entraînerait son annulation immédiate. D’ailleurs, c’est une question sur laquelle le Maroc exige le respect des accords économiques signés avec les pays de l’Union européenne. Quant à l’activité de pêche, elle est très importante pour l’Espagne et le Maroc, puisqu’elle implique pleinement les flottes de pêche de l’Andalousie, des îles Canaries et de la Galice. 92 des 138 licences qui exploitent les eaux autour du Sahara marocain sont liées à l’activité de pêche espagnole. Par conséquent, l’annulation des accords de pêche devrait être prise en compte, mais l’Espagne déclare avoir pris note des arrêts de la Cour et réitère son attachement au partenariat stratégique avec le Maroc. In fine, le Maroc considère la décision de la CJUE concernant les accords de pêche et agricole entre le Maroc et l’UE en déphasage avec la réalité et demeure sans impact sur la question du Sahara marocain. Cette position remet en cause les arrêts et interpellerait les pays partenaires de l’Union européenne.
F.N.H. : L'UE est le premier partenaire commercial du Royaume avec plus de 63% des échanges commerciaux. Quels sont les autres marchés que le Maroc pourrait exploiter ?
Y. G. F. : Le Maroc diversifie de plus en plus sa coopération économique avec l’Europe, et ne se base pas que sur le secteur agricole. Aujourd’hui, le partenariat avec l’Union européenne couvre tous les domaines économiques. A titre d’exemple, la coopération dans le domaine industriel connait de l'élan, c’est le cas du secteur automobile. A fin août 2024, les exportations automobiles ont atteint 102 milliards de dirhams. L’économie numérique et l’offshoring représentent aussi des secteurs de coopération importants entre le Maroc et l’UE. Plusieurs sociétés européennes s’installent au Maroc et bénéficient de plusieurs avantages fiscaux en zones offshores. En outre, le Maroc développe de nouvelles relations commerciales avec l’Asie, les pays du Golfe et les pays subsahariens. Cette stratégie de diversification des partenaires est incontournable pour atténuer la dépendance commerciale et économique envers les pays européens. En effet, les échanges commerciaux entre le Maroc et la Chine ont bondi de plus de 50% en 2022, pour atteindre un volume de 7,6 milliards de dollars. La Chine est ainsi le troisième partenaire commercial du Maroc et son allié économique numéro un en Asie. Vis-à-vis des Emirats Arabes Unis, le Maroc exporte principalement des produits agricoles et de textile, mais aussi des phosphates. Le marché du Golfe est prometteur pour le Maroc et avec de grandes perspectives.