Commerce extérieur : où se cache vraiment le potentiel de croissance ?

Commerce extérieur : où se cache vraiment le potentiel de croissance ?

Les exportations marocaines ont doublé en dix ans, mais tournent toujours autour des mêmes pôles, des mêmes marchés et des mêmes produits. À l’heure d’une nouvelle feuille de route, le pays cherche à élargir sa gamme de potentiel exportable. À quoi correspond ce potentiel ? Quels secteurs et quels produits peuvent véritablement porter la croissance future des exportations marocaines ?

 

Par Y. Seddik

Le Maroc exporte plus que jamais. En 2024, les ventes à l’international ont franchi la barre des 455 milliards de dirhams, contre 185 milliards en 2012. Pourtant, selon les estimations du ministère du Commerce extérieur, environ 120 milliards de dirhams de potentiel exportable restent encore inexploités. Une marge considérable, qui alimente l’ambition de la feuille de route 2025-2027 pour le commerce extérieur.

«Le Maroc a terminé la phase de rattrapage industriel. Ce qui reste à aller chercher relève d’une transformation plus fine, plus qualitative. On entre dans l’exportation complexe», nous explique Hafid Tahiri, économiste et consultant en commerce international. À ce jour, six filières captent 92% des exportations marocaines, notamment l’automobile, les phosphates, l’aéronautique, le textile, l’agriculture et l’électronique. Cette concentration traduit la structuration progressive de pôles industriels, mais elle représente aussi une vulnérabilité en cas de choc sectoriel. L’automobile, premier poste d’export du pays, a connu une croissance soutenue grâce aux implantations de Renault et Stellantis. Mais la part de la valeur ajoutée locale reste encore trop faible. «Exporter des véhicules, ce n’est pas forcément exporter de la richesse si 60 à 70% des composants sont importés», avertit Tahiri.

«Le défi, c’est de localiser davantage les chaînes d’approvisionnement, y compris sur les pièces critiques ou stratégiques», explique-t-il. Même constat pour l’aéronautique où le Maroc s’est positionné comme sous-traitant qualifié, avec un taux d’intégration locale de 43%, mais sans maîtrise technologique sur les produits de plus forte valeur.

Des gisements encore peu exploités

Dans sa feuille de route, le gouvernement évoque la mobilisation de «200 produits à fort potentiel», sans en divulguer la liste complète. Mais certaines filières commencent d’ores et déjà à émerger comme des candidates crédibles à la croissance exportatrice. C’est le cas, notamment, de l’agro-industrie transformée. Le Maroc exporte depuis longtemps des produits bruts (fruits, légumes, huile d’olive), mais peine à franchir le cap de la transformation industrielle, là où réside pourtant la vraie valeur ajoutée.

Pour notre expert, le développement de gammes certifiées bio, halal ou prêtes à consommer représente un axe stratégique, en particulier pour répondre à la demande croissante des diasporas africaines et européennes, de plus en plus sensibles à la qualité et à la traçabilité. La chimie, et plus largement la parachimie, offre un autre levier encore sous-exploité. Si les phosphates continuent de dominer les exportations, la diversification vers des produits spécialisés comme les engrais techniques ou les molécules pharmaceutiques reste embryonnaire. Ici, le Maroc dispose d’un avantage matière première, mais l’appareil industriel peine à suivre sur les segments à forte valeur scientifique ou technologique. Le secteur du textile, quant à lui, tente une reconversion vers le haut de gamme.

Le repositionnement vers des vêtements techniques ou des tissus recyclés, à plus forte intensité environnementale ou technologique, pourrait offrir un refuge face à la concurrence asiatique, qui domine le segment des produits à bas prix. Mais cette mutation reste encore marginale, portée par quelques industriels pionniers. Dans l’électronique, la production de composants et de capteurs, notamment pour l’industrie automobile ou les dispositifs de gestion de l’énergie, commence à émerger. Néanmoins, les capacités de production locales restent fragmentées et ne permettent pas encore de répondre à une demande internationale de masse. Le défi réside autant dans la consolidation de la filière que dans l’industrialisation à l’échelle. Enfin, les cosmétiques naturels à base d’argan, de figue de barbarie ou de plantes médicinales bénéficient d’une forte notoriété à l’international. Mais cette image ne s’est pas encore traduite en volumes exportés conséquents. Les chaînes de production sont encore majoritairement artisanales, peu normalisées, et rarement capables de franchir les exigences d’exportation vers les marchés à forte réglementation. «On a souvent tendance à chercher des relais de croissance là où l’on produit déjà», constate Tahiri.

«Or, le vrai gisement est parfois dans ce qu’on ne voit pas : les produits intermédiaires, les biens de spécialité, les niches B2B qui échappent à l’export grand public», explique-t-il. Pour lui, une politique de soutien à l’exportation réellement tournée vers la création de valeur ne peut faire l’économie d’un repérage fin de ces niches, ni d’une réflexion stratégique sur les secteurs porteurs hors des sentiers battus.

Entre contrainte productive et arbitrage stratégique

Mais le potentiel ne dépend pas que des produits : il dépend surtout de la capacité du pays à les produire de façon compétitive, aux normes internationales, et en quantités suffisantes. Or, c’est là où le bât blesse. De nombreuses PME n’ont pas les certifications nécessaires, ni les capacités d’investissement pour adapter leurs lignes de production aux exigences étrangères.

L’écosystème industriel reste fragmenté, et les passerelles entre R&D, production et logistique sont encore faibles. «Le Maroc a du potentiel, mais il lui faut des filières, pas seulement des usines», résume notre interlocuteur, ajoutant que «ce qu’on attend d’un pays exportateur aujourd’hui, c’est une cohérence sectorielle. C'est-à-dire une offre lisible, stable, soutenue par une marque pays à l’image du label Made in Morocco».

La diversification souhaitée par le gouvernement semble osciller entre deux logiques : d’un côté, l’élargissement de la base exportatrice à plus d’entreprises; de l’autre, la montée en gamme sur les filières existantes. Or, ces deux ambitions ne requièrent pas les mêmes outils. «C’est là où le flou persiste : veut-on exporter davantage de produits classiques avec plus d’acteurs, ou veut-on pousser certains secteurs vers l’innovation et la spécialisation ?

Les deux sont légitimes, mais il faut des choix cohérents», estime-t-il. D’autant que les débouchés eux-mêmes évoluent. L’Europe reste le premier client, mais les normes y deviennent de plus en plus strictes. Les marchés africains offrent des volumes croissants, mais demandent des produits adaptés, avec moins de contraintes techniques mais davantage de flexibilité logistique et commerciale. Le Maroc a encore des cartes à jouer sur le terrain exportateur, à condition d’assumer une stratégie de transformation de son offre. L’identification des produits à fort potentiel ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d’un investissement soutenu dans la capacité productive locale, la certification, la logistique, et surtout dans la formation du capital humain. Le potentiel existe donc. Il est sectoriel, mais aussi structurel. La feuille de route peut réussir à le révéler, à condition de comprendre que la croissance n’est plus une affaire de flux. Elle est devenue une affaire de contenu. 

 

L’Europe : Partenaire vital, dépendance structurelle
L’Union européenne capte à elle seule près de 70% des exportations marocaines. Ce lien historique, consolidé par des accords de libre-échange et une forte proximité géographique, a permis au Maroc d’accroître rapidement ses volumes exportés depuis deux décennies. Mais cette concentration, qui a longtemps constitué un avantage, devient aujourd’hui un risque stratégique. D’une part, les normes environnementales imposées par Bruxelles, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), imposeront des surcoûts croissants à certains produits marocains à faible contenu vert. D’autre part, la demande européenne reste vulnérable aux chocs internes : inflation, ralentissement industriel, tensions géopolitiques. «Le Maroc reste très euro-compatible, mais cette compatibilité pourrait se retourner contre lui si elle bride son adaptation à d'autres marchés», précise Tahiri. «Diversifier les produits sans diversifier les débouchés revient à tourner en rond», conclut-il. Face à ce constat, la feuille de route 2025-2027 prévoit de cibler 22 pays jugés stratégiques, en particulier en Afrique de l’Ouest, dans le Golfe et en Amérique latine. Mais la réorientation géographique exigera des efforts d’adaptation de l’offre marocaine tant en termes de formats, de normes, que de logistique commerciale.

 

 

 

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