Chômage en milieu rural : une tendance alarmante

Chômage en milieu rural : une tendance alarmante

La sécheresse qui s'est intensifiée ces dernières années joue un rôle crucial dans la baisse de l'emploi rural. Entre 2006 et 2023, le nombre d'emplois ruraux a diminué de plus d'un million.

 

Par D. M.

Au cours des dernières années, le marché de l'emploi rural au Maroc a connu des défis significatifs, marqués par une baisse continue des opportunités d'emploi. Entre 2006 et 2023, le nombre d'emplois ruraux a diminué de plus d'un million, reflétant une tendance alarmante. Le taux de chômage rural, atteignant environ 6,8% au premier trimestre 2024 contre 5,7% l'année précédente, est à son niveau le plus élevé dans l'histoire du marché du travail marocain.

Initialement, l'emploi rural a bénéficié d'une période de stabilité entre 2006 et 2015, attribuable en grande partie au déploiement du Plan Maroc Vert (PMV) lancé en 2008. Ce plan, notamment axé sur la plantation de périmètres fruitiers, oliviers et amandiers, a joué un rôle crucial dans la création d'emplois. Cependant, après 2015, le rythme de ces projets a ralenti, réduisant la demande de main-d'œuvre et entraînant une diminution des opportunités d'emploi dans le secteur. Du point de vue de Hassan Edman, professeur universitaire d’économie et gestion, à la FSJES-Agadir il s’agirait d’une combinaison de facteurs de nature démographique, économique et surtout naturelle.

«Assurément, le plus influant est l’effet cumulatif de la vague de sécheresse dont souffre le Royaume depuis six ans. A cela s’ajoutent la fragilité et la vulnérabilité du secteur agricole au Maroc face aux aléas climatiques. Sans omettre d’autres facteurs déterminants de l’emploi rural qui ont un impact, certes moins lourd que celui du facteur climatique. Je cite, les carences de scolarisation et la faible qualification des offreurs ruraux de travail, la poussée inflationniste, encore pesante, qui continue à détériorer la capacité d’approvisionnement des producteurs employeurs ruraux et, finalement, l’insuffisance et le manque d’efficacité de l’effort public visant l’amélioration de l’emploi et de l’employabilité en milieu rural», souligne-t-il.

En effet, la sécheresse, qui s'est intensifiée ces dernières années, joue un rôle crucial dans la baisse de l'emploi rural. Avec l'agriculture représentant plus de 28% de la maind'œuvre totale, moins d'ensemencement conduit à moins de cultures et donc à moins d'emplois. Pour apporter une solution à ce problème épineux, le gouvernement a opté pour la modernisation du secteur agricole comme un des piliers principaux du plan «Maroc Vert», ainsi que dans la nouvelle stratégie Génération Green 2020-2030. Selon le professeur Hassan Edman, «elle vise, tout particulièrement, trois finalités : l’augmentation de l’efficacité hydrique, la conservation des terres cultivables et l’accompagnement des agriculteurs dans la transition vers des énergies renouvelables. Tout en assurant une forte résilience aux changements climatiques, l’amélioration de productivité, la réduction des coûts, le renforcement de la compétitivité prix et hors prix et la création de l’emploi rural».

Cependant, pour un autre expert ayant requis l’anonymat, la modernisation de l'agriculture marocaine, impulsée par le Plan Maroc Vert, bien que nécessaire sur le plan de la productivité et de la résilience face aux changements climatiques, a parallèlement réduit la demande de maind'œuvre. Des investissements importants dans la modernisation technologique du secteur, notamment à travers des programmes comme le programme national d'économie d'irrigation (PNEEI), ont entraîné l'automatisation de nombreuses tâches agricoles, réduisant ainsi le besoin de travail manuel et augmentant le chômage rural. Par ailleurs, l'activité agricole en milieu rural perd en attractivité économique. Les jeunes ruraux d'aujourd'hui ont des aspirations différentes de celles d'il y a quelques décennies, influencées par une ouverture accrue aux influences internationales via les réseaux sociaux.

En conséquence, la qualité de vie en milieu rural ne répond plus à leurs attentes, affectant l'intérêt pour les activités agricoles. Parallèlement, le Maroc assiste à une demande croissante en main-d'œuvre dans d'autres secteurs tels que l'industrie et le BTP, entraînant un exode rural des jeunes vers les villes à la recherche de meilleures opportunités d'emploi. Cette tendance, combinée au déclin de l'attrait économique des territoires agricoles, contribue à la diminution de l'emploi rural.

Pistes de solutions

Conscient de cette réalité, des moyens sont mis en place par le gouvernement pour y remédier. Cependant, selon certains experts, ils ne donnent pas les résultats escomptés. La nécessité de repenser les politiques et les stratégies pour stimuler à nouveau l'emploi dans ces régions et répondre aux aspirations changeantes de la jeunesse rurale devient indispensable. «Souvent, les politiques publiques centrées sur la promotion de l’emploi des jeunes et de l’entrepreneuriat sont urbaines, et ne tiennent pas compte des particularités du marché de travail rural (demande et offre). Au Maroc, l’effort public a essayé de remédier au déséquilibre entre l’emploi urbain et l’emploi rural, par un bon nombre de projets et programmes sociaux ciblant, entre autres, l’emploi de la population active rurale (INDH 1, 2 et 3, Maroc Vert, projets de l’économie sociale et solidaire…). Apparemment, les résultats ne sont pas encore satisfaisants», affirme Hassan Edman.

Pour ce dernier, l’investissement public pourrait avoir un rôle moteur et stimulant de l’emploi rural, tout en recréant les proximités qui font la force de la ville et des agglomérations urbaines des producteurs employeurs. «La réponse gouvernementale au déficit de l’emploi rural doit poursuivre deux trajectoires. Programmer des unités productives à haute intensité de main -d’œuvre dans des milieux ruraux, mais dans des conditions de survie et de croissance favorables. Ensuite, il faut aussi penser à des zones d’accueil rurales, des activités productives artisanales, agricoles, solidaires, et même industrielles adaptées aux spécificités et qualifications des jeunes ruraux», propose Edman.

Concluant que tout cela doit être accompagné par des mesures de soutien et de durabilité. Tout particulièrement, inciter le secteur financier à s’ouvrir aux demandeurs de financement ruraux de manière plus adaptée, en proposant des produits qui aident les jeunes de la campagne à mieux faire face aux risques, à tirer parti des possibilités génératrices de revenu, et à s'organiser dans des structures viables. 

 

 

 

 

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