La blockchain est une technologie polyvalente qui peut être utilisée pour toutes les activités impliquant des transactions et des échanges de données.
Grâce à cette technologie, le transfert d'argent vers et depuis le Maroc pourrait être amélioré.
Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Au niveau mondial, la technologie blockchain est en perpétuelle évolution et a déjà fait ses preuves dans plusieurs domaines. Sur le plan national, quel état des lieux en faitesvous ?
Sofiane Gadrim : Pour comprendre ce qu'est la blockchain, il faut la considérer comme un livre public, dans lequel tout le monde peut écrire sans pouvoir effacer ou modifier ce qui a déjà été consigné. Ce livre, qui est décentralisé et partagé en temps réel par tout le monde, garantit la transparence des informations enregistrées. Imaginons que vous souhaitiez acheter une voiture d'occasion. Les informations sur le véhicule peuvent être enregistrées sur une blockchain publique pour une transparence totale. Vous pouvez vérifier l'historique du véhicule en un clic, pour être sûr de faire le bon choix. Le transfert de propriété se ferait alors en toute sécurité et transparence sur la blockchain, sans aucun souci de paperasserie ou de formalités administratives. La blockchain ne se limite pas aux transactions financières, mais s'applique à tout type d'informations qui peuvent y être enregistrées.
C'est pourquoi de nombreux experts la considèrent comme la prochaine révolution technologique, capable de changer la manière dont nous gérons nos affaires et échangeons des informations en ligne. Cela, le Maroc l’a compris et a saisi l'opportunité d'embrasser cette technologie. Des institutions de premier plan, telles que le Groupe Banque Centrale Populaire (BCP), font usage de cette innovation. Ainsi, en apprenant des erreurs commises par d'autres pays dans leur adoption de la blockchain, le Maroc peut se positionner comme un leader dans ce domaine en introduisant les meilleures pratiques éprouvées ailleurs. Ce développement suscite beaucoup d'attentes dans le Royaume et peut stimuler une nouvelle vague d'innovations et de création de valeur pour les start-up et entreprises du pays.
F.N.H. : La blockchain a un apport technologique considérable dans le monde de la finance, mais pas que. D’autres secteurs sont notamment concernés, à savoir la santé, la logistique, le commerce ou encore les assurances. Y a-t-il des cas d’usage déjà bien identifiés à ce jour ?
S. G. : La blockchain est une technologie polyvalente qui peut être utilisée pour toutes les activités impliquant des transactions et des échanges de données. Elle apporte une valeur significative grâce à sa robustesse et sa capacité à évoluer. Par exemple, lorsque vous voulez acheter une maison, il est important de vérifier que la personne qui vend le bien est le véritable propriétaire et que tous les documents sont conformes. C'est là que le notaire entre en jeu, en vérifiant ces informations et en aidant à finaliser la transaction. Sauf que ce processus est parfois lourd et fastidieux. Mais à l'aide de la blockchain, il peut être accéléré et simplifié. Les informations sur la propriété, telles que la preuve de possession et les détails de la transaction peuvent être enregistrées de manière sécurisée sur une blockchain. Du coup, le rôle du notaire peut être encore plus efficace et plus sécurisé grâce à l'utilisation de la blockchain, permettant une transaction immobilière plus rapide et plus simple pour toutes les parties impliquées. Le terme «Smart contract» découle de cet exemple.
C'est un contrat numérique automatisé, qui utilise la blockchain pour exécuter les conditions d'un contrat de manière transparente et sécurisée. Ainsi, pour une transaction immobilière, un Smart contract peut automatiser les différentes étapes telles que la vérification de la propriété, la négociation du prix, le transfert d'argent et l'enregistrement du titre de propriété. Les parties peuvent être sûres que les conditions seront bien respectées. Parlons d'un autre cas d'usage potentiel dans la santé. Imaginez que vous soyez hospitalisé et que le médecin traitant souhaite consulter votre historique médical. Habituellement, ces informations sont stockées sur des fiches ou sur un ordinateur, ce qui peut rendre la consultation difficile en cas d'urgence médicale. De plus, ces données peuvent être compromises en cas d'attaque informatique, ce qui pourrait entraîner une fuite d'informations sensibles sur Internet. Avec la blockchain, votre dossier médical peut être stocké sur une plateforme sécurisée, garantissant un accès constant et fiable depuis n'importe quel appareil connecté, sans crainte de piratage ou de fuite de données. Vous pourrez facilement accéder à toutes les informations vous concernant, telles que les médicaments que vous prenez, vos allergies, votre historique médical, etc.
Seuls les utilisateurs autorisés, vous et vos médecins, auront accès à ces informations, et la blockchain détectera toute activité suspecte. En somme, elle peut améliorer la sécurité et la disponibilité de votre dossier médical en vous donnant un accès en temps réel à toutes les informations concernant votre santé, ce qui peut être très utile pour les médecins qui vous soignent. En explorant les possibilités de la blockchain encore plus loin, nous pouvons imaginer un système où toutes les informations de santé des citoyens sont stockées de manière sécurisée sur une plateforme blockchain. Ce système donnerait à chaque personne un contrôle total sur l'accès à ses propres données médicales. En séparant les identités des personnes des informations médicales, ce système offrirait également aux chercheurs la possibilité d'accéder à des données anonymes pour mener des études sur la santé publique, tout en préservant la confidentialité des personnes concernées. Les applications de la blockchain sont vastes et les exemples que je viens de vous donner, ne sont qu'une petite partie de ce qui est possible avec cette technologie.
F.N.H. : La blockchain a besoin d’un écosystème propice pour éclore, notamment en matière d’investissement. Qu’en est-il ?
S. G. : L'investissement nécessite un environnement favorable à cette technologie. Pour cela, investir dans la formation en matière de blockchain serait bénéfique pour le Maroc et créerait un terrain fertile pour l'irruption de nouvelles innovations. La formation en blockchain implique de former les gens sur les concepts de cybersécurité, de cryptographie et de Big data. Ce sont des compétences inhérentes pour le développement d'une expertise dans ce domaine. En développant donc de telles compétences, les Marocaines et Marocains pourraient accéder à des perspectives de carrière plus brillantes. De plus, le Maroc pourrait renforcer sa position de leader dans le développement technologique. Le Maroc peut s'enorgueillir de sa longue histoire dans le domaine de l'outsourcing, mais pour demeurer compétitif dans ce domaine en constante évolution, il est nécessaire de se tourner vers des secteurs à forte valeur ajoutée, tels que l'intelligence artificielle, la blockchain et la cybersécurité. En effet, le transfert d'argent vers et depuis le Maroc pourrait être amélioré grâce à la blockchain.
L’an dernier, 100 milliards de dirhams ont été transférés au Maroc par les Marocains résidant à l’étranger, un record qui représente une importante source de revenus pour le pays. Cependant, si des complications venaient à survenir dans les transferts d'argent en raison de législations peu favorables à l’étranger pour les banques marocaines ou pour une autre raison singulière, cela pourrait être un manque à gagner de milliards de dirhams pour le pays. Pour se prémunir de telles éventualités, il est important d'adopter une technologie capable de garantir la continuité de ces transferts en tout temps. Les banques traditionnelles peuvent jouer un rôle clé en adoptant des modèles innovants, tels que la blockchain, pour effectuer les transferts. Cela, non seulement renforcerait la sécurité des transferts, mais aiderait également à l'inclusion financière en permettant l'émergence de nouveaux systèmes de paiement. Cela stimulera justement la croissance de start-up qui pourront aider à résoudre les problèmes liés aux transferts d'argent transfrontaliers, tels que les coûts élevés et les délais de transfert. En encourageant ce secteur, le Maroc peut s'assurer que les transferts d'argent continuent à couler sans heurt et contribuent à la croissance de l'économie, tout en maintenant sa souveraineté sur les transferts d'argent.
F.N.H. : La blockchain est-elle adaptée aux besoins des PME marocaines, et de l’entreprise plus généralement ? Sur quels critères identifier l’intérêt de recourir à cette technologie ?
S. G. : Les PME peuvent rencontrer des problèmes de gestion administrative et transactionnelle en raison de leur manque de moyens techniques, financiers et humains. La blockchain peut aider à résoudre ces problèmes en centralisant les transactions et les informations liées à leur activité dans un registre sécurisé et infalsifiable. En utilisant un exemple concret d'une PME de transport de marchandises, nous pouvons voir comment la blockchain peut soulager le fardeau administratif et opérationnel d'une PME. Avec une flotte de 50 camions, cette PME doit gérer une chaîne logistique complexe comprenant des clients, des fournisseurs, des paiements, etc. Elle peut permettre à cette PME de centraliser toutes les informations liées à sa chaîne logistique, améliorant ainsi la transparence, la fiabilité et la rapidité de ses activités.
De plus, elle peut faciliter les paiements avec les fournisseurs et les clients, tout en améliorant la traçabilité des produits en enregistrant les informations sur leur transport et leur conditionnement tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Par exemple, en utilisant un dispositif IoT (Internet des objets), les informations sur la position et l'état d'un camion peuvent être enregistrées en temps réel et ajoutées à la blockchain, permettant à tous les participants autorisés de suivre l'avancement de la livraison en temps réel. Lors de l'arrivée à la douane, les inspecteurs peuvent accéder aux informations enregistrées sur la blockchain et valider la livraison en y ajoutant un bloc supplémentaire. Une fois la livraison effectuée et le paiement reçu, les informations peuvent être actualisées sur la blockchain. Les clients peuvent y vérifier les informations pour s'assurer que la livraison a été effectuée et que le produit est en bon état. Les paiements peuvent également être effectués de manière plus efficace via la blockchain, accélérant les processus financiers.
F.N.H. : La quasi absence d’une réglementation peut créer un environnement à risque. Pourquoi la blockchain est-elle si complexe à réguler ? Et quelles solutions concrètes d’encadrement s’offrent aux régulateurs ?
S. G. : Vous avez peut-être entendu parler de la blockchain et des cryptomonnaies, mais savez-vous qu'il y a souvent confusion des deux ? La blockchain est en fait une technologie qui peut être utilisée pour de nombreuses applications différentes, pas seulement pour les cryptomonnaies. Ces dernières sont tout simplement un exemple de l'utilisation de cette technologie. D’ailleurs, Bank Al-Maghrib étudie comment réglementer les cryptomonnaies, ce qui est un pas en avant vers la blockchain. En réglementant les cryptomonnaies, cela peut aider à mieux adopter la technologie blockchain, ce qui pourrait entraîner la naissance de nouvelles startup. Il est important de se rappeler que les cryptomonnaies sont également un moyen efficace pour les entreprises de lever des fonds pour financer leur projet. Cela se fait souvent à travers ce qu'on appelle une ICO (Initial Coin Offering). Une ICO est similaire à une IPO (Initial Public Offering) qui est une levée de fonds classique lors d'une entrée en Bourse, mais qui se fait à travers les cryptomonnaies plutôt qu'à travers des actions. Les investisseurs peuvent alors investir dans ces projets en achetant des jetons de la nouvelle cryptomonnaie, un jeton étant une unité de valeur créée pour représenter une part d'un projet ou d'une entreprise sur la blockchain.