Le taux de remplissage affiche 1% seulement. Un scénario catastrophe inimaginable il y a quelques années. La région est devenue sinistrée, et les riverains sont dans le désarroi total.
Par C. Jaidani
La situation du Barrage Al Massira, dans la région de Settat, est pire que celle de Oued El Maleh (Benslimane). Asséché, il est devenu l’ombre de lui-même. Un édifice qui ressemble par endroit à un site historique ou à une mine abandonnée. Ce projet représentait jadis le Maroc moderne tourné vers le développement et le succès. Son nom n’a pas été choisi par hasard : il incarne la Marche verte, un événement historique qui a permis au Royaume de retrouver son intégrité territoriale sur les provinces du sud.
Ce gigantesque ouvrage est un levier important de l’agriculture nationale et de l’économie du pays. Lors de son inauguration à la fin des années 70, la situation hydrique du Royaume était équilibrée et satisfaisante. Et il n’a pas fallu beaucoup de temps au site pour se remplir, au point que lors de la saison des pluies, l’on déversait l’eau par-dessus l’ouvrage. Même au cours de la vague de sécheresse des années 80, il affichait des réserves dépassant 50% de sa capacité.
A cette date, il avait permis à la population locale de faire face au manque d’eau. Mais ces dernières années, le taux de remplissage n’a cessé de reculer pour atteindre seulement 1% le mercredi 7 février 2024. C’est le tarissement quasi total, un fait rarissime et inédit au Maroc. Le barrage n’assure pour le moment aucune de ses missions. Nous nous y sommes rendus le 31 janvier dernier. Le paysage ressemble à celui du Far West. Excepté quelques champs de culture vivrière, irrigués par pompage des eaux de la nappe phréatique, l’absence de verdure est totale. La sécheresse a tout dévasté. En plus de l’agriculture en berne, d’autres activités exercées aux alentours du lac et axées sur la pêche, le tourisme et les loisirs ont disparu. Les témoignages recueillis sur place sont un mélange d’amertume et de désarroi.
«Ce scénario catastrophe était inimaginable il y a quelques années. Maintenant, c’est une réalité amère qu’il faut accepter. Il y avait des signes précurseurs de ce désastre écologique, économique et social. L’assèchement du barrage s’est fait sur plusieurs années. Il a été accentué par la surexploitation de ses réserves. Tout le monde misait sur un retour à la normale avec l’arrivée des pluies, mais l’aridité n’a fait que perdurer et avec plus d’intensité», déplore le militant associatif Mohamed Hafidoun, un habitant de la commune Oulad Aissa, relevant de la province de Settat. Jadis florissante, cette collectivité territoriale limitrophe du barrage a payé chèrement l’assèchement du barrage.
«Une bonne partie de la population est au chômage. Les perspectives d’avenir sont très sombres. Les jeunes cherchent à tout prix à quitter les lieux, soit en émigrant à l’étranger ou en cherchant de nouvelles opportunités dans les villes. La plupart des petits commerces ont fermé. Les familles luttent avec de maigres moyens pour vivre», explique-t-il. Il faut rappeler que le barrage Al Massira approvisionnait de nombreuses régions et localités, soit en eau potable ou pour les besoins agricoles ou industriels. Avec le stress hydrique, la pression sur cet ouvrage a nettement augmenté, car c’est le principal réservoir en eau de la région. Conséquence : les stocks hydriques ont commencé à chuter sans être remplacés, car les apports pluviométriques ont diminué ces dernières années, au point qu’il n’y a plus rien actuellement.
«Les agriculteurs ont boudé leurs champs, les forages de puits sont devenus chers et le débit des eaux souterraines est très faible. Les eaux de surface sont perdues, et maintenant celles de la nappe phréatique sont en voie de l’être», déplore Hafidoun. Plus en aval du barrage, plusieurs régions sont devenues sinistrées. Les agriculteurs n’arrivent plus à maintenir leurs activités. Le manque d’eau et la chaleur ont limité la poussée des plantes. S’agissant des mesures à prendre par le gouvernement pour faire face à cette situation, Hafidoun suggère «de lancer une nouvelle autoroute de l’eau venant du Nord du pays vers le bassin hydraulique d’Oum Errabii. Une telle initiative permettra à coup sûr d’atténuer les souffrances de la population locale».
Le tourisme a été lui aussi fortement frappé par la sécheresse. Avec ses eaux scintillantes et ses paysages pittoresques, le barrage Al Massira était une destination privilégiée des visiteurs venant de plusieurs contrées du Royaume. Cet afflux massif a créé de nombreuses activités autour du lac (tourisme, pêche fluviale, sports nautiques…). De nombreuses familles venaient pour se détendre, profiter des offres de divertissement proposées, notamment les balades sur le lac à bord des barques. Rachid Meliani, propriétaire d’une barque et pêcheur, témoigne : «le barrage avait une sorte de baraka. La région vivait grâce à ce lac artificiel. Tout le monde trouvait du travail et la vie était agréable dans tous les douars. Avec l’assèchement, il y a eu un renversement sévère de la situation. La démographie a chuté à cause de l’exode rural vers les villes. La barque m’assurait un revenu décent par rapport à ce que gagnent les autres jeunes de la région. L’embarquement des touristes, pour une tournée surtout les weekends, était très demandé. Le reste de la semaine, je pratiquais la pêche. Plusieurs touristes étrangers, amateurs de la pêche à la canne ou à la mouche, venaient souvent au site. Tous ces beaux souvenirs font partie du passé; nous espérons la miséricorde de Dieu et le retour des pluies».
Rachid a sollicité l’intervention de l’Etat pour venir en aide à sa région sinistrée. «Le chômage atteint des niveaux alarmants et les familles frôlent le seuil de pauvreté. Il faut trouver des solutions. Il y a urgence», affirme-t-il. La vague de sécheresse qui a sévi pendant les six dernières années a dévasté la communauté des agriculteurs, surtout les éleveurs. En effet, le barrage Al Massira est situé dans la région de Bni Meskine, connue pour l’élevage ovin, notamment la race Sardi qui est fortement demandée pour Aïd Al Adha. Ne pouvant supporter les charges, de nombreux exploitants ont cessé leurs activités.
«Nous implorons Dieu Tout Puissant qu’il ait pitié de nous. Nous souffrons, mais nous n’avons nulle part où aller. L’élevage, qui était notre principale source de trésorerie, permettant de stabiliser nos revenus durant l’année, est en forte dégringolade. Les eaux du barrage nous assuraient un abreuvage facile. Actuellement, il faut parcourir des kilomètres pour atteindre la rivière. La nappe phréatique a été aussi sévèrement impactée. Son niveau a drastiquement chuté et les exploitations se basant sur l’irrigation sont menacées», affirme Lakbir Al Matlouhi, agriculteur.