Longtemps attendu, le projet des autoroutes de l’eau a vu le jour, du moins pour sa première phase reliant Sebou au Bouregreg. Objectif : renforcer les disponibilités en eau pour une région à forte concentration démographique, urbanistique et économique.
Le Maroc se distingue par la diversité de ses zones climatiques. Du nord au sud du Royaume, on relève un décalage important. Le Nord est pluvieux et affiche un excédent hydrique. Alors que le Sud est impacté par l’alternance des années humides et des saisons de sécheresse.
L’idée de transférer une partie des eaux du nord vers le sud n’est pas nouvelle. Elle a germé la première fois lors de la vague de sécheresse des années 40. Sans toutefois aboutir. Lors des années 80, elle a de nouveau été évoquée sous l’effet de la succession de nombreuses années de sécheresse. Encore une fois, la situation économique et budgétaire du Royaume, contraint d’adopter dans l’urgence un programme d’ajustement structurel (PAS), ne permettait permettait pas de financer ce genre de chantier.
Confronté à une situation de stress hydrique persistante, le gouvernement était contraint de lancer en urgence la première phase de l’autoroute de l’eau reliant le bassin de Sebou à celui de Bouregreg. Le choix n’est pas fortuit, puisqu’il fallait répondre aux besoins pressants en eau potable pour les régions de Rabat-Salé-Kénitra et Casablanca-Settat qui affichent un essor démographique, urbanistique et économique important. Dans le détail, le projet comprend une canalisation en acier d’une longueur de 66,5 km. Il est doté de deux stations de pompage pouvant transférer 350 à 400 millions de m3 par an. Outre le drainage de l’eau, le projet contribuera à la protection de la plaine du Gharb contre les inondations dont les eaux sont perdues dans l’océan.
Nécessitant neuf mois de travaux, le chantier a mobilisé 6 milliards de DH et a été supervisé par différents départements ministériels, notamment celui de l’Équipement et de l’Eau ainsi que l’Agriculture et l’Intérieur. «Grâce aux compétences et à l’expertise des sociétés marocaines de renommée internationale, ce programme, qui devait être mis en œuvre dans une période de trois ans, a pu être concrétisé dans un délai de 8 à 10 mois», a indiqué Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, lors de l’inauguration du projet. Cette première phase sera suivie, dans les années à venir, par tout un ensemble de canalisations pour connecter le bassin d’Oum Rabii à celui d’El Haouz avec Bouregreg afin de passer par la suite vers le bassin de Souss et aussi celui de Ouarzazate.
La prochaine connexion sera longue de 200 km, reliant le barrage de garde de Sebou au barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah dans le bassin du Bouregreg et de la Chaouia. Le débit d’eau envisagé est de 15 mètres cubes par seconde. Il est utile de rappeler que si l’interconnexion entre les bassins du Nord et ceux du Sud du Royaume avait été réalisée plus tôt, elle aurait pu assurer un certain équilibre hydraulique interrégional. Plusieurs exemples concrets schématisent la situation. Le cas du barrage Al Massira est le plus typique, puisque cet ouvrage, le deuxième du pays après celui d’Al Wahda, dispose d’une capacité de stockage en eau de 2,65 milliards de m3 . Il affiche actuellement 4% de taux de remplissage, soit le niveau le plus bas depuis son inauguration au cours des années 80.
Avec le tarissement, l’ouvrage n’assume plus son rôle en matière d’irrigation du périmètre irrigué de Doukkala. Actuellement, de nombreuses filières connues dans la région sont menacées, à l’image de l’activité sucrière ou encore de l’élevage. Plusieurs exploitants ont vendu leurs terres et migré dans d’autres régions pour changer d’activité. «Le projet de l’autoroute de l’eau devrait ressusciter la région de Doukkala, car la sécheresse a eu des effets dévastateurs. La plupart des fellahs veulent abandonner la culture de la betterave pour s’intéresser à d’autres moins gourmandes en eau. Mais c’est l’élevage qui a payé le lourd tribut. Les exploitants ne pouvaient plus continuer, ils ont vendu totalement ou partiellement leur bétail», souligne Abdelaziz Latifi, viceprésident de l’Association nationale des producteurs de viandes rouges (ANPVR). Le même scénario est également visible au niveau du bassin irrigué de Tadla, où le barrage Bine El Ouidane (le troisième du pays en termes de capacité de stockage) affiche un taux de remplissage limité à 10% seulement.
En l’absence de pluviométrie suffisante dans les mois à venir, le risque de tarissement de ce bassin hydraulique n’est plus à écarter, avec des résultats catastrophiques sur le périmètre irrigué de la région. Ce qui a poussé l’Office régional de mise en valeur agricole de Tadla (ORMVAT) à ordonner des restrictions sur certaines cultures grosses consommatrices d’eau, comme la canne à sucre, la pastèque, l’avocat ou les oléagineux. Par ailleurs, il est utile de souligner qu’un deuxième projet d’autoroute de l’eau est dans le pipe : il s’agit de la connexion du barrage Oued El Makhazine, qui a une capacité de stockage de 600 millions de m3, à d’autres barrages dans les environs de Tanger. Le projet concerne le barrage Dar Khrofa d’une capacité de 480 millions de m3 d’eau, puis celui de 9 avril (300 millions de m3 ).
Ce projet est également l’œuvre d’une coopération entre les départements de l’Eau, de l’Agriculture, des Finances et de l’Intérieur Rappelons que la ville du Détroit avait connu, par le passé, de fréquentes coupures d’eau potable dues à la faiblesse des ressources hydriques. En dépit des investissements réalisés pour combler le déficit, les disponibilités en eau à Tanger demeurent insuffisantes, d’autant que la métropole connaît un essor économique important avec l’implantation de Tanger Med, de la zone franche, de l’usine de Mellousa qui a attiré plusieurs équipementiers. En conclusion, l’essor de ces autoroutes hydrauliques marque une étape cruciale vers l’autosuffisance en eau au Maroc. Cela consolide sa sécurité hydrique pour les années à venir.