L’Afrique face à l’IA: entre impératif d’inclusion et ambition technologique

L’Afrique face à l’IA: entre impératif d’inclusion et ambition technologique

Plus que jamais, la maîtrise de l’intelligence artificielle apparaît comme une opportunité pour le continent africain de s’émanciper technologiquement dans tous les domaines, à condition de bâtir un modèle propre, équitable et durable.

 

Par Désy M.

Dans une Afrique en quête de souveraineté technologique, la deuxième édition du DeepTech Summit a lancé un appel fort : penser l’intelligence artificielle (IA) non comme un simple outil, mais comme une chance historique de redéfinir le progrès. À travers le panel d’ouverture, des experts du domaine ont analysé comment l’IA, appliquée aux DeepTech, peut accélérer des transformations à la fois sociétales, économiques et environnementales, pourvu qu’elle soit inclusive, régulée et ancrée dans les réalités africaines. «L’IA n’est pas seulement une commodité, c’est un moteur d’espoir. Elle permet de rêver grand», a affirmé Jalal Charaf, responsable du numérique et de l'IA à l’UM6P, intervenant lors dudit panel. Fort de son expérience dans la structuration de l’écosystème digital de l’université, il a rappelé que «la meilleure manière d’engager un écosystème, c’est de sensibiliser, de pousser les jeunes à expérimenter l’IA pour transformer les processus, créer de nouveaux produits, sans jamais perdre de vue la mission d’autonomiser les esprits». Mais cette révolution technologique peut aussi creuser des inégalités, notamment dans l’accès aux outils. «Le vrai défi est la démocratisation. Nous ne devons pas copier les modèles étrangers, mais bâtir notre propre savoir-faire africain. Ce Sommet doit nous servir à imaginer ces solutions», a-t-il insisté.

De la recherche à la mise en marché

Au cœur du débat, la question du transfert de technologies a occupé une place centrale. «Le passage du laboratoire au marché reste difficile. Il faut une vraie intégration du secteur privé dès la phase de développement», a plaidé Reshma Singh, directrice du Berkeley National Lab (USA). Insistant sur un modèle reconnu d'incubation technologique, elle a rappelé l’exemple du programme «Radle to Commerce», qui a permis à plus de 300 startups d'accéder à des milliers de brevets technologiques grâce à un écosystème mêlant science, business et prototypage industriel.

Pour Singh, «l’IA peut aussi accélérer la recherche dans les matériaux ou le climat, mais elle consomme énormément d’énergie. Le vrai défi est donc de l’utiliser intelligemment, en réduisant son empreinte environnementale». Au-delà de l’aspect économique de cette innovation, les intervenants ont soulevé l’importance de repenser l’éducation à l’ère de l’intelligence nouvelle. Sachant que l’éducation est la source de tout système de pensée, il est impératif, au vu de l’essor de l’IA, de remettre également en question les finalités de l’éducation.

Pour Stavros Yiannouka, CEO de WISE - Qatar Foundation, «il faut aller au-delà de la formation de la main-d’œuvre. L’éducation, c’est «morphosis», c’est-à-dire donner forme à l’être humain. Nous devons aussi enseigner à interagir avec cette nouvelle forme d’intelligence, en posant les bonnes questions : comment l’IA peut-elle renforcer l’éducation, et comment l’éducation peut-elle préparer à l’IA ?». En posant ces questions, ce dernier a mis en garde contre le risque d’une adoption déséquilibrée de cette technologie: «Il faut une collaboration sincère entre les universités du Sud global. Il ne s’agit pas uniquement de bénéficier de l’IA, mais d’en fixer les normes et les garde-fous. L’IA a un potentiel immense, mais aussi un revers : elle peut renforcer les fractures».

L’IA est de plus en plus présente dans différents secteurs. Le panel a également fait un focus sur son apport dans la révolution des systèmes agricoles et la sécurité alimentaire, l‘un des principaux défis qui mine l’Afrique. «La recherche agricole bénéficie déjà des avancées de l’IA, que ce soit dans le phénotypage des cultures, la surveillance de l’environnement ou l’automatisation du traitement des sols», a précisé Ram Dhulipala, directeur par intérim de la Transformation numérique au CGIAR (Kenya). Il plaide pour la création d’une plateforme agricole mondiale mêlant startups, capteurs, drones et données satellitaires, capable de favoriser des modèles agricoles plus durables et rentables, avec une forte inclusion des petits exploitants. «Mais il faut aussi penser à des règles éthiques fortes pour encadrer cette technologie», alerte-t-il.

Tout au long de ces discussions, l’ensemble des intervenants se sont accordé sur le point selon lequel l’Afrique doit construire sa propre trajectoire dans la révolution de l’IA. Pour Steve Ciesinski, professeur à Stanford et investisseur DeepTech, la singularité des innovations de rupture appelle des formes de financement et de valorisation différentes : «Les DeepTech ne sont pas juste de l’ingénierie, elles viennent de la science, souvent incertaine, donc risquée. Les investisseurs doivent apprendre à penser long terme». Ce panel a souligné l’urgence d’un engagement collectif  : celui de construire un écosystème africain de l’IA fondé sur l’éthique, la sobriété énergétique, l’inclusion éducative, la souveraineté technologique et la création de valeur locale. 

 

 

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