Secteur public: les services d’urgence en détresse

Secteur public: les services d’urgence en détresse

Depuis belle lurette, les professionnels de la médecine d’urgence appellent à la restructuration de cette structure hospitalière et la mise à niveau de ses fonctions et attributions.

Les services d’urgence au Maroc souffrent d’un déficit chronique en ressources humaines, ce qui porte cruellement préjudice à la qualité des services délivrés par ces établissements.

 

Par M. Ait Ouaanna & M. Boukhari

 

 

Pilier du système de santé de tout pays, les services des urgences peinent à connaître de beaux jours au Maroc. Malgré les multiples alertes des professionnels du secteur, ces structures connaissent toujours de nombreux dysfonctionnements. Selon un rapport du ministère de la Santé, le Royaume comptait en 2020, 89 urgences médicales de proximité (UMP) réparties de manière inégale entre les différentes régions.

La région Fès-Meknès s’accapare la part du lion avec 16 UMP, suivie par MarrakechSafi qui comprend 13 UMP, puis Souss-Massa avec 12 établissements, 10 à Tanger-Tétouan-Al Hoceima, 9 à l’Oriental, 8 à Drâa Tafilalet, 7 à RabatSalé-Kénitra, 5 à Béni Mellal-Khénifra, 4 à Casablanca-Settat, 3 à GuelmimOued Noun, 2 à Laâyoune-Sakia Al Hamra. La région Eddakhla-Oued Eddahab, quant à elle, ne compte aucune UMP. Rappelons à cet égard que le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, a déclaré récemment que 80% des prestations de soins non urgentes sont dispensées par ces mêmes services.

Il a précisé par ailleurs que les unités de proximité et les centres de santé ne fonctionnent pas selon le même mode pour recevoir les patients qui affluent aux urgences et provoquent de l’encombrement. Pour ce qui est des urgences hospitalières, le document indique la disponibilité de 1.163 matériels de transport et de secours de base à travers le Royaume, 90 services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) et de 2 hélicoptères de SMUR.

 

Le plaidoyer des professionnels du secteur

Militant depuis plusieurs années pour l’amélioration des conditions des services d’urgence au Maroc, la Société marocaine de médecine d’urgence (SMMU) relève un manque criant de ressources humaines au niveau de ces établissements, au moment où la prise en charge urgente nécessite un certain nombre de personnel médical et paramédical disposant de compétences particulières. Qui plus est, cette même source précise que le personnel des urgences est majoritairement composé de médecins généralistes souvent non qualifiés pour gérer des situations aussi urgentes et délicates. Dans un livre blanc publié en 2020, la SMMU pointe du doigt une surcharge des services d’accueil des urgences (SAU), précisant que plus de 6 millions de patients se rendent annuellement aux urgences hospitalières, avec une progression annuelle moyenne de près de 10%. Plaidant pour la restructuration de ces services et la mise à niveau de leurs fonctions et attributions, la SMMU relève également un problème au niveau de la gestion des délais d’intervention des différentes parties prenantes, notamment la protection civile et le SAMU.

 

Là où le bât blesse

Expert en industrie pharmaceutique et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé, Abdelmajid Belaiche confirme ces différents constats, indiquant qu’en dépit des nombreuses tentatives, les services d’urgence connaissent de nombreux problèmes. «Il est difficile d’avoir des services d’urgence en bonne santé dans un système de santé défaillant. Le projet royal de la refonte de notre système de santé permettra de s’attaquer aux dysfonctionnements des services d’urgence. Il est temps de repenser la gouvernance des services d’urgence en profondeur et, pour cela, il faudra benchmarker les expériences réussies à l’étranger.

Par conséquent, la nouvelle organisation doit prévoir un système de triage et d’orientation des patients pour éviter le «bouchonnage» au niveau de certains services». Dans le même ordre d’idées, Abdelmajid Belaiche a soulevé le problème du manque d’équipement de transport destiné à conduire les patients vers les services d’urgence, signalant l’insuffisance de médecins urgentistes à bord des ambulances. «Aujourd’hui, nous n’avons pas de médecins d’urgence qui vont vers le patient, mais des patients qui vont eux-mêmes vers les urgences ou, dans le meilleur des cas, sont transportés par ambulance vers ces services. Le problème est que le temps de transport vers l’hôpital, est un temps mort au cours duquel on ne peut pas agir rapidement sur le patient. Ce temps peut durer, selon la distance entre le lieu de l’accident et l’état de la circulation, entre 20 et 30 minutes, voire plus, réduisant ainsi les chances de sauver peut-être une vie». Pareillement, Driss Lahlou, médecin du travail, fait savoir que ces moyens de transport ne sont généralement pas médicalisés, ce qui peut jouer sur le pronostic vital du malade. Le professionnel cite dans ce sens l’absence de défibrillateurs, de bouteilles d’oxygène ou encore d’un réanimateur ou infirmier à bord. Par ailleurs, Driss Lahlou révèle que le problème majeur reste le temps de latence dû à plusieurs raisons.

«D’abord, le nombre d'entrées assez élevé. En effet, la salle d’attente est souvent engorgée par des malades ne nécessitant pas obligatoirement une intervention urgente. Ensuite, une défaillance au niveau de l’orientation, puis des problèmes administratifs. Dans certains cas, les médecins de garde sont amenés à recevoir au milieu de la nuit un patient juste pour cacheter une mutuelle, ou pour établir un certificat. Tous ces motifs vont alors mener vers une augmentation du nombre de consultations non urgentes et, par conséquent, l’allongement de la file d’attente». Ce professionnel déplore également des anomalies liées à la capacité litière des services d’urgence. «Nous remarquons souvent des patients passer toute une journée ou plus sur un brancard juste par manque de places vides dans le service où ils doivent être hospitalisés, ce qui entraîne un effort de plus à déployer par l’équipe de garde. Il faut rajouter à cela le manque de sécurité  : déjà la tension est à son comble du fait des éléments précédemment cités, mais aussi pour le non-respect de l’ordre «premier venu premier servi», la priorité aux urgences devient l’état du malade. Sans oublier le nombre insuffisant d’agents de sécurité dans la plupart des sites, et qui jonglent entre plusieurs activités à la fois», détaille-t-il.

 

Quelles solutions ?

Pour faire face à ces différents dysfonctionnements, ces professionnels proposent plusieurs solutions. Abdelmajid Belaiche juge qu’il est nécessaire de former plus de médecins urgentistes. «Aujourd’hui, on ne peut confier ce service vital qu’à des médecins généralistes qui seront formés sur le tas à la médecine des urgences et des catastrophes. La difficulté et la complexité de certaines situations d’urgence exigent une formation qui permet au médecin d’agir vite». Concernant le problème du transport, Belaiche estime que le fonctionnement des services d’urgence doit être organisé de telle manière que le médecin urgentiste aille vers le patient en situation d’urgence suite à un accident sur la voie publique ou à son domicile pour traiter directement et avec célérité ce patient.

«Cela suppose la mise en place d’ambulances bien équipées, voire de véritables blocs de réanimation, avec toujours à son bord un ou plusieurs médecins urgentistes pour intervenir rapidement», suggère-t-il. De son côté, Driss Lahlou avance que la meilleure façon de remédier aux problèmes des services d’urgence est de «lutter contre les motifs les plus fréquents en consultation et d’élargir le dépistage et le traitement des maladies chroniques souvent responsables de complications aiguës lors d’un mauvais suivi de la maladie. Il doit y avoir également un triage médical assuré par des médecins généralistes pour classer les malades en différentes catégories, selon la gravité et la priorité du traitement, mais surtout pour diminuer le flux des patients entrants».

Et de poursuivre : «Il est important de mettre en place un système permettant au médecin de se déplacer vers les boxes des malades, ce qui permet ainsi un gain de temps et d’effort considérable. Aussi, il faut former un bon nombre de médecins et d’infirmiers afin de diminuer la pression sur le corps médical, développer les interventions à domicile et équiper les centres de proximité dans le but de désengorger les établissements de soins centraux. Sans oublier bien sûr l’augmentation de la capacité litière», conclut-il. 

 

 

 

 

 

 

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