Marocains du monde: «Des ressources généralement sous-utilisées»

Marocains du monde: «Des ressources généralement sous-utilisées»

La contribution des compétences marocaines résidant à l'étranger permet de consolider les liens entre la diaspora et le pays d'origine pour relever les défis économiques et socioculturels.

La création d'une plateforme nationale pour les compétences de la diaspora marocaine et l'organisation de rencontres professionnelles sont recommandées.

Entretien avec Abdelkhalek Hassini, conférencier et professeur d’espagnol à l’Académie de Versailles et président de l’Association «CADOriental Europe».

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Les compétences marocaines à l'étranger représentent un capital humain important et un moteur de développement territorial et régional indéniable pour le Maroc. Comment peut-on capitaliser ces aptitudes ?

Abdelkhalek Hassini : Les compétences marocaines du monde jouent un rôle vital dans le développement territorial et national. Ces compétences représentent un capital humain inestimable (intellectuel, financier, social, culturel et entrepreneurial) et un vaste réservoir d'expériences et de savoir-faire pour le Maroc. La mobilisation des compétences marocaines à l'étranger est un enjeu déterminant pour le Maroc, car elle permet de renforcer les liens entre la diaspora et le pays d'origine, de stimuler l'innovation et la créativité, de favoriser la coopération internationale et de contribuer au développement économique et social du pays. Les compétences marocaines à l'étranger peuvent apporter une valeur ajoutée et représentent un capital important pour le pays, qui peut bénéficier de leur expertise, de leur expérience et de leur réseau pour se développer et renforcer son rayonnement à l'étranger. Les Marocains du monde (MDM) sont souvent bien formés et hautement qualifiés, avec des compétences dans des domaines variés. Ils peuvent apporter une plus-value significative dans de nombreux secteurs, tels que l'entrepreneuriat, l'investissement, la recherche et développement, la médecine, la santé, le commerce équitable, les nouvelles technologies ….

Malgré cela, ces ressources sont généralement sous-utilisées et elles ne sont pas toujours bien intégrées dans les politiques de développement territorial et régional, alors qu'elles pourraient être mobilisées pleinement et d’une manière plus efficace au service du développement du Maroc. Il serait ainsi souhaitable d’explorer les opportunités offertes par les MDM pour soutenir les politiques et les projets de développement au Maroc, tout en identifiant les défis à surmonter pour maximiser leur contribution. Pour capitaliser sur le potentiel des compétences marocaines du monde et mieux les impliquer dans le développement du Royaume, il est nécessaire de mettre en place des programmes qui favorisent leur participation active et leur engagement dans des projets de développement économique, social et culturel. Il est également important de créer un environnement favorable à l'entrepreneuriat au Maroc, en offrant des incitations fiscales et en facilitant l'accès au financement. Il faudra aussi comprendre les enjeux liés à l'adoption des MDM pour le développement durable au Maroc, bien identifier les opportunités et les défis liés à la mise en place des MDM dans les différents secteurs clés de l'économie marocaine, favoriser la création d'incubateurs d'entreprises pour encourager l'entrepreneuriat des MDM et faciliter le lancement de nouveaux projets innovants. Comme il est utile de proposer des recommandations réelles pour améliorer leur efficacité et maximiser leur contribution au développement économique du Maroc, renforcer les liens entre les acteurs locaux, régionaux et nationaux impliqués dans la mise en place des MDM pour garantir une meilleure efficacité…. En mettant en place ces mesures, le Maroc pourrait mieux capitaliser sur les compétences de sa diaspora pour stimuler le développement économique et social du pays et son rayonnement à l'international.

 

F.N.H. : Le discours royal du 20 août 2022 a appelé à une implication effective des compétences marocaines du monde, qui constituent un vecteur de développement pour le Royaume. Comment les décideurs peuvent-ils mettre cela en œuvre ?

A. H. : Les Marocains du monde détiennent des compétences avérées et une longue et riche expérience qui sont profitables au Maroc. Ils possèdent une expertise très large et diversifiée qu’ils ont accumulée dans plusieurs domaines scientifiques, médicaux et socioéconomiques, dans leurs pays d'accueil, et sont porteurs de valeur ajoutée pour l’économie nationale. Le discours royal du 20 août 2022 a appelé à une implication plus effective des compétences marocaines du monde dans le développement du pays via la création d’un mécanisme d’accompagnement des compétences et des talents marocains à l’étranger. Pour mettre en œuvre cette vision, les décideurs peuvent prendre des mesures concrètes telles que la création de structures dédiées, la facilitation des échanges et de l'investissement, la reconnaissance officielle des compétences marocaines à l'étranger, la création de programmes et d'initiatives attractives (cela pourrait inclure des Bourses d'études, des stages, des emplois à court ou à long terme, des programmes d'échange culturel et professionnel, etc.).

Aussi, la facilitation de l'installation des compétences marocaines à l'étranger, l'établissement d'un dialogue avec elles, la mobilisation pour la recherche et l'innovation, le développement de projets spécifiques pour elles, la promotion de l'entrepreneuriat et de l'innovation. En somme, créer un environnement propice à la mobilisation des compétences des MDM dans le développement du pays. Cela nécessite une coordination entre différents acteurs, notamment les ministères et les entreprises, pour créer un écosystème favorable à l'implication effective et pérenne des compétences marocaines du monde. Pour conclure, il me semble qu’il serait plus adéquat de leur offrir un accompagnement avec les moyens législatifs et réglementaires.

 

F.N.H. : Quelles sont les difficultés qui empêchent les MRE de faire bénéficier le Maroc de leur savoir-faire dans différents domaines, notamment stratégiques ?

A. H. : Mobiliser les compétences des MRE est une option incontournable pour le développement du Royaume. Reste encore à donner corps à cette nouvelle donne et surtout la réussir, ensemble en intelligence collective, en termes d’économie du savoir. Et ce, en levant les nombreux obstacles, en mobilisant tous les acteurs institutionnels, pouvoirs publics nationaux et locaux, ONG, société civile, en renforçant la coopération internationale, en recréant et consolidant les liens de confiance et capitalisant sur les acquis. Les MDM font face à des obstacles divers pour partager leur savoir-faire et expertise avec leur pays d'origine dans différents domaines stratégiques. Ces difficultés comprennent la distance géographique, les barrières linguistiques et culturelles, les problèmes administratifs, le manque de communication, de reconnaissance et de confiance, les besoins de soutien et de réseau professionnel, ainsi que les conflits d'intérêts. Cependant, ces défis peuvent être surmontés grâce à des initiatives de dialogue et de collaboration, ainsi qu'à des politiques publiques favorisant leur intégration.

 

F.N.H. : Récemment, vous avez pris part, en tant que membre de la 13ème région (MDM) et professionnel de l’éducation nationale, à des réunions avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Celles-ci ont été programmées dans le cadre du Pacte ESRI 2030 du nouveau modèle universitaire. En quoi consistent-elles et quels ont été les principaux enseignements ?

A. H. : L’objectif de ces assises de concertation est d’associer les compétences marocaines du monde à la co-construction du Plan national d’accélération de la transformation de l’écosystème de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation (Pacte ESRI 2030). Mais également, renforcer la contribution de ces compétences, qui possèdent des ressources importantes en termes de capital financier, humain et social aux chantiers de réforme et leur intégration dans les projets de développement prioritaires du pays, en particulier dans le domaine de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation, qui est au cœur des priorités nationales. L’accent a été mis sur la nécessité de créer un cadre de motivation pour attirer ces compétences et fournir les conditions appropriées pour leur permettre de contribuer efficacement à l'accélération du rythme de transformation du système éducatif, de la recherche scientifique et de l'innovation, conformément aux normes internationales.

Assurément, ces compétences MDM peuvent jouer un rôle clé dans la promotion de la coopération internationale dans le domaine de l'éducation et de la recherche scientifique. En partageant leurs connaissances et leur expérience avec des partenaires étrangers, ils peuvent aider à renforcer les liens entre les universités marocaines et les institutions étrangères et à encourager la collaboration internationale en matière de recherche et d'innovation. Les propositions faites visent à améliorer le système éducatif marocain en l'adaptant aux exigences du marché du travail et en augmentant le taux d'employabilité des diplômés. Cela implique de créer des partenariats entre les écoles et les entreprises, de valider les acquis de l'expérience, de mettre en valeur les formations techniques qualifiantes et de renforcer les opportunités offertes par certains secteurs. Il a été également proposé de développer l'esprit d'entrepreneuriat chez les jeunes diplômés, apprendre grâce à un enseignement basé sur la synthèse, et d'instaurer un système de motivation nationale pour garder un esprit compétitif et incitatif.

Enfin, il a été suggéré de moderniser l'ensemble du système de l’enseignement supérieur pour permettre aux étudiants marocains d'acquérir les compétences nécessaires pour s'intégrer dans un marché du travail plus concurrentiel. De ce fait, mobiliser ces compétences MDM est devenu un choix inévitable pour réussir les projets de transformation du Pacte ESRI2030. La mobilisation de ces compétences nécessite néanmoins la création d'un cadre incitatif pour attirer ces talents et leur offrir les conditions appropriées pour contribuer efficacement à l'accélération de la transformation de l'écosystème d'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation et à l'amélioration de sa qualité et de sa performance conformément aux meilleurs standards internationaux.

 

F.N.H. : Quels sont les défis à relever et les opportunités à saisir pour permettre une meilleure contribution des MRE à la dynamique de développement du pays ?

A. H. : La communauté marocaine à l’étranger a toujours répondu présent à la question de faire bénéficier le Maroc de son savoir-faire afin d’accompagner les chantiers de développement d’envergure lancés et de contribuer au renforcement de la compétitivité du Royaume sur l’échiquier international. Un constat corroboré par une déclaration du président de la Commission spéciale du nouveau modèle de développement, Chakib Benmoussa : «C’est une véritable chance pour le Maroc d’avoir une diaspora qui, de par son ancrage et ses liens particuliers avec le Maroc, peut participer et être actrice du développement et du rayonnement du Maroc à l’international».

Le Souverain avait appelé à rompre avec les initiatives épisodiques tout en prônant une vision claire et structurante en faveur de la constitution de mécanismes visant à accompagner, à soutenir et à mettre à contribution les expériences de la communauté marocaine établie à l'étranger. Bien que la diaspora marocaine représente un atout important de développement pour le Maroc, il existe plusieurs difficultés qui empêchent les MRE de faire bénéficier le Maroc de leur expertise dans différents domaines. Parmi ces difficultés, on peut citer l'absence de structures d'accueil, la distance, la difficulté de communication et de coordination entre les MRE et les institutions marocaines, les barrières linguistiques, pratiques professionnelles différentes de celles auxquelles ils sont habitués, problèmes administratifs, manque de reconnaissance, de confiance, besoin de soutien, conflit d'intérêts, etc. Néanmoins, il est important de noter que ces obstacles peuvent être surmontés grâce à des initiatives de dialogue et de collaboration entre les MRE et les acteurs locaux.

Ainsi qu'à des politiques publiques qui favorisent leur intégration afin de tirer parti de leur savoir-faire dans différents domaines stratégiques et contribuer ainsi à l'économie et au développement du pays. D’autre part, il est impératif de mobiliser sans tarder les douze régions du Maroc afin de déterminer la place qu'elles entendent réserver à leurs concitoyens résidant à l'étranger dans le cadre des programmes de développement régionaux (PDR). Il convient par ailleurs de favoriser l'inclusion des MDM au sein des instances représentatives de la démocratie participative dans chaque région. Dans cette optique, l'adoption d'une loi cadre, qui en tenant compte des compétences territoriales et de la reconnaissance de la contribution des MDM, rappellerait l'engagement institutionnel en la matière, pourrait être envisagée. Ainsi, pour surmonter les difficultés liées à la mobilisation des MDM, plusieurs mesures peuvent être envisagées à savoir :

• Identifier les compétences et les potentiels des MDM, ainsi que leurs attentes et leurs limites, afin de les impliquer pleinement dans le développement local.

• Coordonner les initiatives des MDM avec les institutions, les associations et les autres acteurs locaux afin d'optimiser les synergies.

• Repenser la mobilité des MDM pour mieux s'intégrer dans le développement territorial et promouvoir des initiatives durables et à grande valeur ajoutée pour contribuer efficacement au développement des régions.

• Favoriser la coopération décentralisée avec des villes et des régions où les MDM sont nombreux, en échangeant des expériences et en développant des projets communs.

• Organiser des consultations publiques pour recueillir les avis et les idées des MDM sur les priorités de développement de leur région d'origine.

• Inviter les MDM à participer à des groupes de travail et des comités consultatifs pour contribuer à la définition des politiques et des projets de développement.

• Faciliter l'investissement des MDM dans leur région d'origine en mettant en place des dispositifs d'accueil et d'accompagnement pour les projets et les investissements entrepreneuriaux.

• Et enfin encourager les partenariats entre les entreprises locales et les MDM, en particulier dans les secteurs prioritaires identifiés dans les PDR, et offrir des programmes de formation et de mentorat pour les aider à développer des compétences professionnelles et entrepreneuriales utiles au développement régional. La mobilisation des compétences des MDM pour le développement territorial peut être un processus difficile, mais il est également plein de perspectives prometteuses.

 

F.N.H. : Dans le cadre de l’activité de «CADOriental Europe», et en partenariat avec le ministère de tutelle, un colloque international et multidisciplinaire sur la santé a été organisé à Tanger en février 2023. Pourquoi le choix de cette thématique ?

A. H. : Le CADOriental Europe (Collectif des associations pour le développement de l'Oriental) est une nouvelle dynamique résolument tournée, à la fois vers la mobilisation de compétences et d’expertises, la promotion d’initiatives structurantes de la diaspora marocaine en Europe, et vers tous les acteurs impliqués dans le développement du Royaume. Le collectif aspire à identifier et à capitaliser les acquis d’une telle dynamique et à encourager l'échange et le dialogue inter-associatifs nordsud et sud-sud. En effet, dans le cadre de ses activités, le CADOriental Europe a organisé, pour sa 2ème édition, un colloque international et multidisciplinaire sur la santé, en partenariat avec l’Université Abdelmalek Essaâdi, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et le ministère de la Santé et de la Protection sociale autour du thème «L’intelligence artificielle et l’immunologie au service de la médecine de précision pour traiter le cancer, les maladies neurologiques et optimiser les transplantations». Ce colloque s’inscrit dans la continuité des rencontres internationales initiées par le CADOriental Europe pour renforcer la contribution des MDM au développement du Maroc, en les impliquant davantage dans la consolidation des relations de partenariat avec toutes les parties prenantes dans divers secteurs d’activités à haute valeur ajoutée.

L’évènement s’est tenu dans le cadre de la dynamique du chantier de la santé nationale impulsée sous les Hautes instructions de SM le Roi Mohammed VI. Il avait pour objectif de croiser les regards et enrichir les visions au sujet des innovations en santé. Le Maroc ambitionne de mettre en place un système de santé solide à la hauteur du chantier de généralisation de la protection sociale. Grâce à la vision royale, le pays mène aujourd’hui une véritable révolution sanitaire. Un nouveau système de santé est en train de prendre forme. Aujourd’hui, plus que jamais, l’importance du système de santé est mise en avant et l’innovation est à l’ordre du jour. Placé sous le thème de la participation et de l’implication des compétences marocaines médicales à l’étranger au développement du système national de santé, ce colloque constitue un tremplin pour mettre en place les changements nécessaires afin d’améliorer le secteur de la santé au Maroc. Nous sommes parfaitement conscients de l’importance de la recherche scientifique dans le développement du pays et convaincus du rôle que peut jouer la diaspora dans l’amélioration de notre système universitaire marocain et de notre production scientifique.

Cet événement est également une occasion de ,renforcer les partenariats et de construire des ponts de coopération et de communication avec des MDM hautement qualifiés dans des domaines importants pour le pays. Enfin, ce colloque représente une opportunité pour les étudiants de la Faculté de médecine et de pharmacie d'apprendre les bonnes pratiques en matière de recherche scientifique et de santé, tout en prenant contact avec des professionnels de la santé marocaine résidant à l'étranger qui ont une réelle volonté de contribuer au développement du secteur de la santé dans leur pays d'origine. D’ailleurs, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation nous a sollicités de dupliquer ce type de rendez-vous à toutes les universités du Maroc. Et ce, afin d’approfondir la réflexion sur l’apport des compétences variées des MDM, sur les méthodes à adopter et sur les bonnes pratiques dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique, de la formation et de l’innovation. Pour conclure, je dirai que le capital humain, premier pilier dans la construction du Maroc de demain, doit être enrichi et mieux préparé. La diaspora marocaine constitue un immense potentiel et une grande richesse pour le Maroc qu’il faut capitaliser en créant des passerelles qui lui permettent d’être un acteur clé du changement et un levier essentiel pour un Maroc de compétences, prospère, inclusif et audacieux. Cependant, cette mobilisation exige des préalables relatifs à la révision du mode de gouvernance.

 

 

 

 

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