«Lève-toi, papa, et lis» me dit Miriam, ma fille, mon médecin.
«La lecture est un adjuvant à bon compte, ça va t’aider à guérir» ajoute-t-elle en me tendant les chroniques de Abdelhak Najib : «Schizophrénies marocaines», un ouvrage d'une haute inspiration, publié par les Éditions Orion.
Par Larbi Wafi
«Heureux qui comme un rescapé de la Covid-19 trouve comme par enchantement un sympathique écrivain à son chevet»,dis-je. D’emblée, on est surpris par le style direct, limpide presque aérien. Dès les premières pages, on est happé par l'élan, subjugué par le ton. Certes, le verbe est fort mais le langage est exquis, l'écriture est suave. Les intentions de l'auteur sont affichées, tantôt franches tantôt suggérées, à l'attention du lecteur qui voudra bien interpréter, apprécier et lire entre les lignes...
Plutôt que de se positionner en moralisateur ou donneur de leçons, l'auteur se propose de prendre le pouls de la société, dresser le constat des dégâts d'une société éclatée, tiraillée entre de «fausses traditions et une pseudo modernité », une «société composite» comme dirait Paul Pascon.
Qui plus est, par les temps qui courent «l'anomie» inséparable de tout changement social (Émile Durkheim), mine la société au point qu'elle en est devenue un malaise avéré quasi atavique, dont les conséquences se manifestent en autant d'incivilités récurrentes aussi bien dans l'espace social que dans l'espace privé. Si les mots durs pour caractériser cette situation sont ciselés au "bistouri", c'est parce que la connaissance des réalités porte au réalisme. Ici on ne fait pas dans la dentelle. Ainsi, mettre des mots sur les maux semble couler de source. Tout y passe: l'opportunisme, l’hypocrisie, la veulerie, le népotisme, la trahison, la couardise, la pédophilie, la tartufferie, la corruption, le fanatisme, l'égoïsme...etc.
Quoi de plus efficient, en l'occurrence, qu'une écriture constamment virulente, tournant au ridicule les mœurs de notre société, brossant un tableau outré des vices qu’elle stigmatise pour éveiller les consciences. Tel un Diogène tendant aux autres un miroir (troqué contre la lampe) où ils peuvent se reconnaître, Abdelhak Najib ne laisse de dénoncer, vilipender, critiquer les vices et sottises. Or, critiquer c'est mettre en crise (Abdelkébir Khatibi). Aussi, les genres se suivent, s'entrecroisent, interagissent l’un appelant l’autre dans un fort mélange de procédés rhétoriques en recourant aux moult registres: narratif, descriptif, anecdotique, polémique, satirique... entre autres. C'est en fait un diagnostic sans appel.
L'auteur y va vaillamment, sans complaisance, tournant en dérision les défauts et les vices des individus et de la société, en les dénonçant sans ambages ni détours.
Moralité: tel un malade atteint de névrose, une société en désarroi ne peut guérir que si elle se résout à régler ses comptes avec son passé, à travers une anamnèse salvatrice, une catharsis à la freudienne.
Incontestablement ce n'est pas de gaité de cœur que l'auteur s'est attaqué à tout ce qui révolte la conscience, heurte le bon sens, blesse le goût. Dès lors, la question qui se pose est: l'a-t-il fait d’une façon délibérément didactique? Ce n’est pas inconcevable et c'est ce qui fait dire au Dr. Imane Kendili dans sa préface: «Une traversée du désert de l'écrivain, accompagné de ses lecteurs, vers un cheminement pour une réalisation d'un meilleur ‘moi’ en adéquation avec un ‘ça’ assumé et un ‘surmoi’ conscientisé.» Je partage volontiers cette manière de voir. Aussi faut-il pour affranchir la société de l'aliénation, la mettre sur le divan de Freud plutôt que sur le lit de Procuste auquel d'aucuns appellent de tous leurs vœux pour la «discipliner». À lire absolument.
*«Schizophrénies marocaines» de Abdelhak Najib. Éditions Orion. Janvier 2021.