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Politiques culturelles : Un musée au noble dessein

Politiques culturelles : Un musée au noble dessein

Sans raisons, le conteneur mis à la disposition de l'association Atelier de l'Observatoire pour y installer son «musée citoyen» au parc de la Ligue arabe était mis à l’index, par la Société de développement local (SDL) Casa Patrimoine. Cette dernière qui ne lève pas le doigt quand il s’agit parfois d’une démolition d’un patrimoine architectural de Casablanca. 

Inaugurée en décembre 2021, le Musée collectif de Casablanca a été forcé à laisser son installation au parc de la Ligue arabe le 29 juillet 2022. 

 

Par R. K. H.
 

 
Delacroix tenait que le Maroc était un «lieu tout pour les peintres». Notre peinture, ou plutôt notre art (pour faire simple); brille-t-il pour autant d’un vif éclat ? Les opinions divergent : les sceptiques portent un regard désenchanté sur notre paysage artistique et culturel, qu’ils comparent à une morne plaine, pendant que les optimistes mettent en avant la créativité pléthorique et la sublime inventivité de nos artistes.
 
Au vrai, les signes de vitalité dudit champ sont tangibles : les œuvres, dans leur ensemble, satisfont à l’exigence de qualité; les espaces aménagés pour leur exhibition prolifèrent; les fondations impulsent la création; des manifestations destinées à mettre l’art et la culture en goût sont régulièrement organisées. Autant de gestes qui dénotent un désir d’asseoir une culture artistique et culturelle, et qui émanent d’un souci de valoriser celle-ci. 
 
Tout bien considéré, ils constituent seulement les prémices d’une valorisation foncière, tant le chemin à parcourir pour ce faire paraît long et incertain.
 
D’une part, la manne est inéquitablement répandue, certains en reçoivent l’apanage, alors que d’autres et qui sont légion, en sont incompréhensiblement privés. D’autre part, la mise en œuvre du dessein de valorisation nécessite la mobilisation d’une multiplicité d’instances et d’institutions. 
 
On peut mentionner, au premier chef, l’école. Il est impérieux que l’éveil à l’art et la culture soit assuré par un personnel adéquat. Autre structure de socialisation sollicitée : la télévision. Par la diffusion, à des heures de grande écoute d’émissions artistiques et culturelles, ce média contribuerait efficacement à la sensibilisation du grand public. 
 
L’impact de ces deux institutions serait insignifiant sans l’édification de plusieurs lieux qui mettraient, en permanence, l’art et la culture à portée des amateurs. Qu’un peuple – qui peut être profusément créateur - soit sevré de tels endroits, paraît pour le moins étrange.
 
A ce manque cruel, s’ajoute la rareté affligeante d’établissements qui distribuent une connaissance et un savoir-faire artistiques et culturels. Ne conviendrait-il pas d’en accroître le nombre en vue d’encourager, sinon de provoquer les vocations ? 
 

Triste histoire


Cette heureuse démarche, notons-le, a déjà été prise par l’association l’Atelier de l’Observatoire qui avait probablement médité cette parole d’Ernest Hemingway : «Tout passe et tout lasse, les nations, les individus qui les composent, autant en emporte le vent… il ne reste que la beauté, transmise par les artistes». 
 
Engagé dans des pratiques artistiques et citoyennes pour un changement sociétal, l’association concentre ses actions autour de la marge, qu'elle soit géographique (quartiers périphériques des villes, milieu rural, territoires marginalisés), historique (narrations invisibilisées) ou sociale (communautés les plus fragilisés). 

Pour cela, elle expérimente des approches alternatives à travers des programmes qui peuvent prendre plusieurs formes : rencontres, enquêtes, ateliers, expositions, programmes pédagogiques, projets de préservation (restauration de films, archivage), production d’œuvres, projections et publications.
 
Vendredi 10 décembre 2021, l’association avait installé en plein cœur du parc de la Ligue arabe, dans des conteneurs mis à disposition par la Société de développement local (SDL) Casa Patrimoine pour une durée d’un an, un musée citoyen collectif de la mémoire de Casablanca (un projet de l’artiste performeur Mohamed Fariji et porté par ladite association). 
 
Début juillet 2022, une décision est passée, comme une lettre à la poste, au nez et à la barbe dudit musée. Ses concepteurs, qui avaient pleinement donné à voir certains projets participatifs et collectes dans diverses disciplines artistiques prônant la mémoire de Casablanca, s’offusquent de ce coup de Jarnac. Ils précisent, par ailleurs, qu’un préavis d’un mois leur a été notifié, certes, à aucun moment, Casa Patrimoine n’a pas pris la peine d’avancer les raisons quant à son dessein. 
 
Ceux qui l’ont visité, se demandent par quelle contorsion de l’intelligence Casa Patrimoine a pu le juger «inutile ?!» au point de le récupérer six mois avant la fin du contrat. Pis encore, à un moment où l’Atelier de l’Observatoire vient d’être sélectionné par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) pour présenter ce projet du musée citoyen, entre le 20 et le 28 août 2022. 
 
Depuis son installation, deux expositions ont été organisées sur le patrimoine matériel et immatériel de la ville vu par ses habitant.es, artistes et chercheur.ses; une serre régionale a été installée; une vingtaine d'ateliers participatifs et de rencontres ont eu lieu; une quarantaine d’articles, d’enquêtes journalistiques et de reportages ont été réalisés. Avec 12.000 visiteurs en six mois, les Casablancais.es de tout âge se sont appropriés ce lieu et des milliers d’enfants ont (re)découvert quelques fragments du mythique Parc Yasmina récupérés par les soins de Mohamed Fariji (des manèges, des affiches, quelques dossiers de travailleurs et des tickets d’entrée). 
 
Il faut, à la fin des fins, écrire tout net qu’il faut s’empresser d’inviter les parties – Casa Patrimoine et L’Atelier de l’Observatoire – à enterrer la hache de guerre pour se mettre à la table des négociations. Ceci permettra de mettre le holà à une polémique vaine ne pouvant que desservir la cause de l’art et la culture. 
 
Pour l’heure, l’association l'Atelier de l’observatoire est à la recherche d’un autre lieu abandonné de la ville, qui sera dédié à la recherche de la mémoire collective des quartiers et des récits marginalisés de Casablanca.

 

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