Trap, drill, road rap (un gangsta rap typique du Sud londonien)… Dollypran, un phénomène confirmé à l’énergie furieuse, qui, lui aussi, réinvente le rap made in Morocco depuis 2012.
Argot de rue; néologismes; mots étrangers; figures de style; antanaclase, reprise d’un même mot avec un sens différent; paronomase, utiliser deux mots au son proche mais dont le sens est différent; métonymie, désigner un objet ou une idée par un autre terme que celui qui convient … «Ghanbdaw countdown/ Koulchi 7areg kolchi hareb/ ga3 sokar ga3 l9waleb».
Pas de doute, on est bien chez Dollypran, Mehdi Ghazoui de son vrai nom. On vous arrête tout de suite : hors de question de nous ressortir le fameux «on s’en fout de Dolly». Hors de question de devoir expliquer à quel point Dollypran est non seulement l’un des piliers incontournables du rap marocain en termes d’écoutes (pas vraiment un argument d’intérêt, certes), mais surtout un rappeur dont les textes codifiés déstabilisent les auditeurs novices comme les médias généralistes en quête d’une grille de lecture.
Voix crachée, tempo au ralenti, couplets introspectifs, images léchées… Et même si parfois on sacrifie la forme pour le fond, que les lyrics peuvent sembler plus pauvres, les instrumentales et les mélodies sont toujours précises, calculées au millimètre, planantes, se gravent dans nos cerveaux. Et une fois dépasséle premier niveau de lecture/d’écoute, on peut facilement se laisser porter sans même avoir besoin d’être sous sirop codéiné.
Derrière ses paroles crues, cet MC raconte la vie dans les quartiers défavorisés, entre culpabilité du deal et envie d'évasion. Il pointe du doigt l’absence de travail, le chômage qui génère l’ennui. Il décrit l’esprit de clan, la solidarité avec la famille… Critique sociale de la situation précaire des jeunes qui peuplent ces quartiers. Vous ne comprenez rien au langage du paracétamol - calme la douleur et fait baisser la fièvre ?
Décryptage, allons-y
Phrases minimalistes et vocabulaire acide. Plusieurs de ses morceaux évoquent le trafic de drogues, qui est envisagé comme la seule issue du jeune «laissé» face au chômage. Un thème largement exploré dans le rap marocain. S’il n’y a rien d’original, Dolly l’exploite pour installer une esthétique. Celle-ci illustre le langage codé du deal et de la consommation de drogues : «tarf; trifa; fermaja (tranche de hachisch)», «sttar (ligne)», «3wina (l’endroit où se concentre la vente de drogue)»…
Depuis Taach et l’incontournable Khari, le jeune rappeur aligne les punchlines fleuries de métaphores avec l’assurance de l’egotrip. Dans Yeah Ho ! l’egotrip – son calibre – est toujours là, gonflé à bloc : «Limada ? Lihada/ dfe3 lkerroussa khelliha ghada/ La bghiti tenje7 khassek tti7 3la bent l oustada…». Alfredo décrit là des situations nuageuses avec des images très crues, mais les évoque avec beaucoup de distance comme s’il s’observait lui-même, vue du ciel.
Mélancolique, presque dépressif, Dolly décrit sa vie monotone avec des instrumentales linéaires au tempo assez lent avec des basses ronflantes qui font vibrer les fenêtres et pas mal de caisse claire. Ce rappeur aux refrains catchy et souvent agressifs, aux couplets tantôt lascifs, tantôt planants et tantôt zombifiants, peine maintenant à se réinventer et à rester trash. Toujours prêt pour un clash : «Kayn beef, kayn dass !»
Du fond de la classe, ce cancre balance Lhannana, un nouveau titre sauce piquante qui dégage tout sur son passage, des salves trap aux embardées cloud-rap en passant par des embruns trillwave. Ce dernier de la classe fait défiler ses émotions et son rêve de sauver sa maman à coup de rimes-missiles, se perd nulle part parcourant de longs chemins dans un clip qui arbore parfaitement son état d’âme du moment. Dépaysement garanti !
Un peu trop intensif, ce titre consiste essentiellement à enfoncer le clou de son souhait d’atteindre le sommet, de s’en sortir... «7ellit 3ini f hadchi badi, ba9i ga3ma sala/ M9atel ghanjibha kbira w ghadi nsauvi ta mama/ Deftari 3amrto ghi ktaba, ma b9at ta chi khana/ F la7mi kayna ghi l7enana, ma kayna ta khala…» entend-on dans le gimmick-refrain.
Par R.K.H