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«La lecture booste l’estime de soi par la constitution d’un capital linguistique important»

«La lecture booste l’estime de soi par la constitution d’un capital linguistique important»

La lecture active l’éveil et diminue la paresse cérébrale.

Conférencier et professeur d’espagnol à l’Académie de Versailles, en Ile-de-France, Abdelkhalek Hassini exerce dans le corps professoral depuis 30 ans.

Le président de l’Association «CADOriental Europe» nous décortique le lien étroit entre la lecture et le cerveau.

 

Propos recueillis par Ibtissam. Z.

 

Finances News Hebdo : Vous êtes professeur d'espagnol et formateur à l'Académie de Versailles. Comment procédez-vous pour inciter les étudiants à lire ? Et comment distinguez-vous ceux qui s’intéressent à la lecture de ceux qui n’y voient aucun intérêt ?

Abdelkhalek Hassini : Devant la lecture, beaucoup de jeunes se braquent. On entend souvent : «Je n’aime pas lire, je préfère jouer à la Play ou aller sur les réseaux sociaux»; « Elle sert à quoi la lecture ? J’ai déjà trop de devoirs et je n’ai pas le temps». Des témoignages qui montrent bien cette crise de la lecture chez nos jeunes apprentis. La lecture est en perte de vitesse face aux nouvelles technologies. Inévitablement, étant hyper connectés, nos jeunes se détournent de la lecture et lisent trop peu. Face à ce désamour pour les livres, il faut donc donner le goût de la lecture aux jeunes, leur donner ce plaisir de lire qui est le moteur essentiel de l’apprentissage de la lecture. Le plaisir à lire doit être primordial. En tant qu’enseignant, nous cherchons toujours des moyens d’apprendre à motiver les élèves et les amener à aimer la lecture. Nous savons tous que les bienfaits de la lecture sont immenses. En plus d’améliorer les compétences en communication, cela contribue également à réduire le stress.

Incontestablement, un enfant qui grandit dans une maison dont les parents lisent, sera facilement familiarisé avec les livres. Ceux qui s’intéressent à la lecture présentent, dès leur très jeune âge, une grande curiosité de découvrir et de connaitre le monde qui les entoure et dans lequel ils vivent. Ils ont un attrait très fort pour les histoires qu’on leur raconte. Ils ne s’en lassent jamais. C’est l’envie de satisfaire cette avidité de savoir qui les fait aimer les livres, et en faire des compagnons de toujours. Ils ont souvent été stimulés par leurs parents et les membres de leur entourage. La culture du livre est bien présente dans leur famille. Ces enfants se caractérisent également par des capacités intellectuelles déjà présentes à un âge précoce. Cela leur permet d’échapper aux difficultés d’ordre phonologique, sémantique, ou autres, qui peuvent être à l’origine d’un désintérêt vis-à-vis de la lecture.

Plus âgés, ils présentent une appétence pour les histoires, les intrigues, etc. Ils développent rapidement un sens créatif et imaginatif. Ils s’intéressent aux livres dès leur petite enfance et ont hâte d’apprendre à lire de manière autonome. En classe, nous avons toujours un défi à relever : celui de faire lire nos élèves, et ce dès son jeune âge. Si un enfant n’aime pas lire quand il est jeune, il ne lira probablement pas quand il sera adulte. Quelques activités visant à encourager la lecture en classe :

• Les élèvent doivent voir leurs enseignants lire aussi. Cela suscitera leur intérêt aux livres et reste un bon moyen pour les encourager à lire.

• Parler du livre que vous lisez avec eux et partager votre ressenti.

• Amener les enfants à participer à des événements autour de la lecture au sein de l’établissement (atelier de lecture, club mangas, BD…).

• Créer des murs de lecture (un environnement qui suscite la lecture : une image, une phrase, en rapport avec les lectures réalisées. Tous les élèves souhaitent y contribuer).

• Diplôme de lecture, meilleurs orateurs, écrivains de petits comptes... Il faut leur donner ce goût de lire afin d’en tirer de l’autonomie et du plaisir.

 

F.N.H. :Les maux de la société sont multiples : stress, dépression, sous-estime de soi… Comment la lecture dans ces moments de solitude extrême peut-elle apporter un apaisement et un certain équilibre ?

A. H. : Dans son quotidien, l’être humain est en permanence en prise avec des moments stressants, des contraintes, etc. Nous connaissons tous le plaisir de se perdre dans un bon livre et comment la lecture peut grandement contribuer au développement personnel. Toutes les recherches nous alertent sur les bienfaits de la lecture sur notre cerveau. Elle nous permet de nous évader, de nous extraire des moments difficiles, aux tourments psychologiques. Le voyage dans les méandres d’une histoire qui nécessite intérêt et concentration, soustrait le lecteur aux difficultés de la vie, ne serait-ce que durant le temps où il est «plongé» dans un livre. On sait que la lecture demande de l'attention et de la concentration.

Le cerveau accroit donc son activité et le nombre de connexions neuronales augmente. Ainsi, le meilleur moyen de l'entretenir, c'est de le faire fonctionner et la lecture demeure un excellent moyen de le maintenir en alerte. D'autant que ses effets s'inscrivent dans la durée. Les histoires qu’il découvre dans les livres lui donnent l’occasion de s’identifier à un héros qui trouve toujours le meilleur moyen de s’en sortir. La lecture booste l’estime de soi par la constitution d’un capital linguistique important, qui permet de tenir une communication fluide et riche. Cela aide à être bien apprécié par les autres et à nouer de bonnes relations avec autrui. Devant ces nombreux maux sociétaux, parfois accablants, et devant nos esprits en ébullition, une bonne lecture peut nous aider à nous rééquilibrer, structurer nos pensées désordonnées et apaiser notre âme en détresse. Elle peut aussi nous aider à recharger nos batteries et à retrouver notre bonne humeur. On aura tous remarqué les bienfaits de la lecture durant les différents confinements lors de cette pandémie Covid-19 et l’importante augmentation de la vente des livres.

 

F.N.H. : On dit que le fait de lire réduit les risques d’Alzheimer. Est-ce vrai que la lecture a un pouvoir magique sur l’activité du cerveau et contribue grandement à son éveil ?

A. H. : Il a été montré, dans plusieurs études, que tout ce qui stimule le cerveau permet de retarder l’apparition des premiers symptômes de la démence en général, et de la maladie d’Alzheimer, en particulier. D’après les scientifiques, la lecture permettrait au cerveau de rester éveillé et en pleine forme. Elle pourrait, cependant, le protéger et réduire les risques d’Alzheimer. La lecture a donc cet avantage de mobiliser de nombreuses aires du cerveau et d’impliquer différentes fonctions cognitives (reconnaissance de mots, recherche de leur signification, établissement de lien entre eux, élaboration de sens, etc.).

C’est une activité qui vitalise, maintient et entraîne l’esprit. De ce fait, elle peut, vigoureusement, contribuer au développement personnel et à l’éveil de l’esprit. Elle permet également de connaitre de nouveaux termes, de nouvelles dates d’événements, des formules… Autrement dit, de réaliser de nouveaux apprentissages. Et il est connu que tout apprentissage se traduit au niveau du cerveau par la formation de nouveaux neurones, et surtout de nouvelles connexions entre les neurones. C’est ainsi que le cerveau est entretenu. Cet enrichissement des connexions neuronales permettrait au cerveau de mobiliser la plasticité cérébrale pour s’adapter au déclin de certaines des fonctions de manière à retarder l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. Les résultats de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences démontrent que le risque de développer la maladie d’Alzheimer est très faible chez les adultes qui pratiquent des activités stimulantes pour le cerveau, telles que la lecture et les mots croisés.

La revue Neurology a publié les résultats d’une étude, réalisée auprès de 983 personnes, âgées de plus de 65 ans, et scolarisés pendant moins de 4 ans. Cette population était divisée en deux groupes : 237 personnes ne savaient ni lire ni écrire, et 746 étaient alphabétisées. Un diagnostic préalable à l’étude a montré que 35% des analphabètes présentaient une démence, contre 18% des participants alphabètes. A la fin des deux premières années de suivi, les auteurs ont observé, grâce à l’utilisation régulière d’examens médicaux et de tests de mémoire, que les analphabètes avaient plus de risques (48%) de développer une démence que les alphabètes (27%). Les résultats finaux de l’étude ont montré que les illettrés étaient trois fois plus susceptibles de présenter une démence que les alphabétisés. Assurément, ce résultat met en évidence un lien fort entre la lecture et la prévention contre la démence en général, dont la maladie d’Alzheimer fait partie.

 

F.N.H. : Le rôle de la bibliothérapie a donc son importance. La posologie est-elle une simple ordonnance de livres ?

A. H. : Certainement, la lecture n’est pas un médicament. Mais nous savons, en revanche, que les livres prennent soin de notre cerveau et contribuent à son bon fonctionnement. Cela dépend aussi des objectifs du lecteur. S’agit-il d’une simple culture qu’il cherche, d’un enrichissement personnel ou bien d’un traitement de difficultés que ce dernier rencontre dans sa vie ? S’il veut tout simplement comprendre sa psychologie, l’ordonnance comportera des livres de psychologie, de connaissance de soi, etc.

Si le lecteur souffre d’un mal particulier (addictions, timidité, etc., par exemple), le professionnel lui conseillera des livres contenant des recettes de traitement à mettre en place et à respecter pour l’aider à arrêter son addiction, à vaincre sa timidité, etc. Il s’agit de bien sélectionner les livres qui correspondent à la problématique que vit le demandeur. C’est donc une lecture dirigée, orientée, dans laquelle le livre sert d’outil thérapeutique. Il faut surtout lire pour le plaisir afin de libérer son esprit et aller mieux. Une variété de livres (de psychologie, romans, poésies, fiction, ...). Dévorer un roman nous fait du bien et maintient notre cerveau en bonne santé. Lire est un anti-stress scientifiquement prouvé. Une activité intellectuelle qui nous mobilise pleinement, nous détend et nous permet de diminuer le stress de notre quotidien en évacuant les mauvaises pensées. Certains scientifiques adhèrent à l’idée que lire augmente l'espérance de vie. Est-il suffisant de dévorer les livres pour vivre plus longtemps ?

Certes, la lecture est un exercice intellectuel qui peut entretenir, dynamiser et vitaliser la santé du cerveau, mais elle ne suffit pas toute seule à protéger notre bonne santé. Lire a de nombreuses vertus : améliorer le sommeil, renforcer la mémoire, stimuler l’intelligence émotionlle, réduire l’anxiété, combattre la dépression, voire augmenter l’intelligence. Tout cela préserve à l’être humain une bonne santé physique et psychique, et contribue certainement à augmenter son espérance de vie. Il s’agit d’une contribution importante, mais dont l’effet n’est pas assuré si la personne ne s’impose pas un certain nombre de règles à observer dans sa vie. Il faut impérativement privilégier d’autres facteurs qui la protégeraient et augmenter, par la suite, l’espérance de vie. D’où un mode de vie équilibré est essentiel : une hygiène de vie responsable, une alimentation équilibrée, un sommeil sain, une pratique régulière de l’exercice physique, un évitement des comportements à risque et une recherche permanente de ce qui procure un réel épanouissement personnel et du bonheur.

 

F.N.H. : La lecture est une culture, mais malheureusement elle n’est pas assez ancrée et développée au Maroc. Même si des initiatives sont prises de part et d’autre, elles restent insuffisantes. Comment peut-on y remédier ?

A. H. : Au Maroc, la présence d’un dialecte plus ou moins différent d’un endroit à l’autre laisse penser que la langue arabe est réduite à une fonction instrumentale, celle qui sert l’Etat dans l’édition de lois, dans la diffusion de l’information. De même, le pays a connu une colonisation où une autre langue a été imposée comme langue officielle de l’Administration. Ce contexte a donc éloigné les Marocains de la langue arabe. Cette situation a fini par occulter également la beauté de la langue arabe, et n’a pas permis aux acteurs de l’enseignement et de la pédagogie de faire aimer cette langue aux citoyens. Cela explique, en partie, cette désertification de la lecture. Dans ce contexte, la lecture devrait faire partie des habitudes à introduire chez les adultes et chez les tout-petits. Il faut qu’il y ait un effet «miroir» chez l’enfant à la maison pour lui procurer le goût de la lecture. Les parents doivent donner le bon exemple. Il faut séduire les enfants dès leur plus jeune âge et les conduire dans l’apprentissage de la lecture d’une manière régulière. Cette activité renforce le lien entre les parents et les enfants, éveille des sens chez l’enfant et enrichit son vocabulaire. De ce côté, il faut développer et faire connaître toutes les actions au service du livre, de l’enfant et de ses parents. A l’échelle des écoles, il faut multiplier les actions éducatives autour de la lecture (prix, concours, défis, salons, événements de promotion,...) dans lesquelles les professeurs peuvent engager leurs classes. L’objectif est de développer le goût de lire, s’impliquer dans un projet pour accompagner les élèves dans leur lecture et valoriser leurs progrès.

 

F.N.H. : Est-il possible de percevoir un jour la lecture comme un besoin essentiel, comme respirer, manger, dormir … L’effort doit-il être individuel, collectif ou les deux à la fois ?

A. H. : Je ne pense pas que la lecture arrivera, un jour, à devenir un besoin essentiel à ce point. Personne ne mourra un jour parce qu’il n’a jamais lu un livre ou une phrase dans sa vie. Il succombera, en revanche, s’il ne respire pas, ou s’arrête de s’hydrater. Cependant, la lecture nourrit l’esprit, ouvre des horizons, permet un épanouissement personnel, contribue à la préservation d’une bonne santé physique et psychique. La favoriser auprès des enfants dès leur jeune âge, faire son éloge dans les établissements scolaires et dans les médias, faciliter l’accès aux livres par la mise à disposition de bibliothèques gratuites, etc., sont autant d’initiatives et d’actions qui permettraient de lui donner un rôle essentiel dans la vie de l’être humain : la découverte de soi, la construction de sa personnalité, l’ouverture aux autres, à de nouvelles cultures. Ces vœux nécessitent un effort collectif pour les réaliser de manière concrète, et une volonté individuelle pour en faire un bon usage au service du développement et de l’épanouissement de l’humain.

 

F.N.H. : On remarque parfois que l’envie de lire vient dans des cas extrêmes, à savoir quand nous sommes heureux ou tristes. Pourquoi ces deux états d’âme aussi contrastés attisent-ils le besoin de lire ?

A. H. : Tout simplement, la lecture demeure une échappatoire, un refuge sûr durant ces moments de bien-être ou de mal-être. C’est un endroit de calme et de sérénité face à une charge émotionnelle qui peut nous envahir dans ces moments particuliers. Un abri de prédilection pour s’évader et oublier ses soucis et se plonger dans la peau de quelqu’un d’autre afin de vivre une autre histoire que la nôtre. Se plonger dans un livre nous aide à oublier immédiatement ce qui nous entoure, nos soucis, nos, peines, nos déceptions... La lecture est à la fois un plaisir, un remède contre la solitude, l’ennui, le manque de sommeil, l’anxiété, et un outil pour mieux se connaitre, mieux s’auto-évaluer, s’auto-estimer et s’épanouir davantage. Lire par plaisir stimule le circuit dopaminergique de la récompense et procure de la gratification au lecteur. Ce dernier cherche à revivre cet état de joie et de bonheur, et ses motivations de faire de la lecture une source de procuration du plaisir augmentent.

A l’opposé, les bienfaits de la lecture contre les moments difficiles (déprime, divorce, dépression, soucis professionnels...) que peut traverser l’être humain sont réellement avérés. Un être averti, connaissant ces deux rôles que peut jouer la lecture, va donc se servir de cette possibilité ou la conseiller à quelqu’un d’autre pour soit se procurer du plaisir, soit atténuer, voire faire disparaitre l’impact de moments ou d’événements douloureux. Enfin, la lecture a un pouvoir magique pour échapper au contexte anxiogène qui nous entoure comme celui dans lequel nous vivons dans ces moments difficiles de crise sanitaire. C’est une bouée de sauvetage qui nous aide à avancer et nous sentir bien en nous procurant des moments magiques, en nous plongeant dans le monde infini et merveilleux de notre imaginaire. La principale vertu de la lecture est de nous rendre heureux. Elle protège le cerveau et notre mémoire. Lire un bon livre est une activité intellectuelle, qui renforce le cerveau, le rend vif et l’aide à lutter contre toute détérioration cognitive. 

 

Le pouvoir de la lecture sur la santé du cerveau vu par les scientifiques
La lecture permet de vivre plus longtemps : vous gagnerez 2 ans d’espérance de vie ! En effet, une étude réalisée par les chercheurs de l'Université de Yale (Etats-Unis), publiée dans la revue médicale Social Science and Medicine, a concerné 3.635 personnes âgées de 50 ans. Les scientifiques ont analysé leurs données de santé et les ont mis en lumière avec leurs habitudes de lecture. Les résultats sont édifiants. Ainsi, un amateur de littérature vivrait en moyenne 23 mois de plus qu'un individu qui ne lit jamais. Aussi, une demi-heure de lecture par jour diminue de 23% les risques de mourir sur une période de 12 ans. La professeure Becca Levy, auteure de l'étude, et citée par le Daily Mail, révèle que «les gens qui déclarent lire peu, même une demi-heure par jour, avaient un avantage significatif de survie par rapport à ceux qui ne lisent pas».

 

 

 

 

 

 

 

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