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Industries culturelles et créatives : «Les besoins sont très importants, surtout dans les secteurs émergents»

Industries culturelles et créatives : «Les besoins sont très importants, surtout dans les secteurs émergents»

◆ Dans la série des communications suscitées par la présentation des conclusions de l'étude mise sur orbite par la Fédération des industries culturelles et créatives (FIC) de la CGEM et la Wallonie Bruxelles International à Rabat, «Quelles transformations pour les industries culturelles et créatives au Maroc ?» lors de la conférence de presse tenue lundi 25 janvier, nous avons relevé celle du chercheur et écrivain, Driss Ksikes, pour l’intérêt qu’elle présente.

Transcrit par R. K. Houdaïfa

Le travail mené avec Sabrina Kamili et Mehdi Azdem est une recherche, voire une étude qualitative se basant sur des données existantes et essentiellement sur plusieurs entretiens passés (122 entrevues individuelles, 5 focus groupes et 1 questionnaire en ligne), dans le dessein d’apporter aux acteurs institutionnels une série de propositions pour renforcer les politiques publiques relatives aux économies créatives au Maroc. Et d’une manière générale les aider à penser les transformations des industries culturelles et créatives (ICC), particulièrement en lien avec les secteurs de l’édition, de la musique et des arts de la scène. Avec la FIC, il y a eu l’idée de rajouter un quatrième secteur qui était celui de l'audiovisuel.

L’analyse s’est faite sur la base d’une matrice inédite qui nous a permis d’éplucher cinq niveaux, à savoir la gouvernance, le marché, la professionnalisation, l’internationalisation et la numérisation. Se faisant, il y a eu en même temps des états des lieux et des propositions. Nous nous sommes penchés sur les normes, les pratiques et le différentiel entre les deux. Au-delà des textes de loi, nous sommes partis des différents référentiels que l’on trouve dans le nouveau modèle de développement, dans la Constitution et dans les droits culturels qui sont signés et récemment ratifiés au niveau de l’UNESCO. Aussi, bien que nous ayons disséqué les normes, nous avons également passé à la loupe les pratiques, les programmes, les initiatives et les projets en cours afin de distinguer la dynamique actuelle.

Il était très important, du point de vue de la recherche, que l’on tienne compte d’abord de l’informel et du tissu associatif formel. Il faut savoir que l’informel génère des revenus parfois supérieurs à ceux de l’économie créative formelle; que le secteur culturel est encore marqué par la prédominance du tissu associatif (8.000 associations selon le ministère de l’Intérieur); que l’autoentrepreneur/TPE est le statut privilégié par les créateurs indépendants (comme une passerelle vers une logique économique); et que les PME/GE sont des entreprises créatives dynamiques dont la spécificité n’est pas encore reconnue. Concernant la prédominance des TPEPME, il existe 25% d’entreprises individuelles, 55% emploient de 1 à 9 personnes, 20% des entreprises réalisent plus de 2 MDH par an et 37% moins de 700 MDH. Cela montre quelque peu la réalité économique du secteur.

Voici d’autres données, mais macro, sur les secteurs que nous étudions : 504 imprimeries et maisons d’éditions (les maisons d'éditions structurées sont très peu), mais uniquement 50 librairies effectives sur tout le pays. Concernant l’audiovisuel, nous avons plus de 100 sociétés de production, de location de matériels, etc. Ce qui reste assez exigu ! Pour la musique, on compte plus de 100 festivals, studios d’enregistrement et de doublage, label et distributeur tous genres confondus. Pour les arts de la scène, on compte plus de 30 salles de spectacles privées et indépendantes, 3 chapiteaux de cirque, et puis quelques nouveaux cafés-théâtres et promoteurs de spectacles. En termes d’infrastructures global public, nous avons 460 salles existantes, mais non opérationnelles.

 

Edition

Un marché à la professionnalisation peu avancée, avec quelques gros secteurs en concentration verticale et une faible régulation. D’après notre analyse, nous notons un faible soutien aux circuits non marchands (les bibliothèques par exemple); le besoin de passer d’une politique d’assistance à une politique de stimulation de la demande et de sensibilisation, parce qu’aujourd’hui la politique de la subvention est essentiellement loin d’être suffisante; un faible respect à la chaîne de valeur; une forte dépendance d’un circuit marchand peu structuré et des tentatives d’internationalisation limitées en termes de coédition, de vente des droits et de l’evente. Nous sommes vraiment très limités à ce niveau; il y a quelques acteurs ; mais uniquement des exceptions qui confirment la règle. Il est nécessaire de revoir les formations universitaires parce qu’il n’en existe qu’une; de donner l’appui à la lecture, au rewriting, à l’editing et aux compétences de diffusion… Et enfin, en termes de numérisation, nous commençons à avoir des projets de fabrication simultanée, de diffusion assistée, et aussi des ventes avec taux de remise réduits (une très belle expérience en balbutiant qui mérite d’être prolongée)…

 

Musique

Un marché fortement tiré par la consommation, faiblement réglementé et qui offre des perspectives de synergie transsectorielle intéressantes. Dans ce secteur où le besoin est le plus grand, nous relevons un besoin urgent de réformes des droits d’auteurs & droits voisins. On y trouve une majorité de TPE et d'auto- entrepreneurs et peu de grandes entreprises (c’est le secteur dans lequel il y en a pas beaucoup); une diminution des coûts de production ainsi qu’une augmentation d’auto-production; beaucoup d'intermédiations (les acteurs, aujourd’hui, jouent de manière directe avec le public); beaucoup d’autoformation, mais un réel besoin de professionnalisation. On considère, au niveau des régions, que la musique est un levier d’attractivité des territoires qui est faiblement actionné. On voit, par ailleurs, que le numérique a changé les règles. Il y a plus de demande de prise en charge de la question du numérique au niveau législatif et on voit bien qu’il y a des revenus du Stream & Monétisation assez importants pour certains artistes qui s’en sortent à ce niveau. Ce qui nous amène à la question des droits d'auteur, puis à celle des législations du numérique…

Arts de la scène

Un marché en mal de structuration, porteur en termes d’employabilité (directe et indirecte). Certes, ce secteur constitue un levier de croissance, mais il reste problématique car la question des visas demeure une barrière, alors que c’est l’un des secteurs dans lequel la plupart des acteurs des arts de la scène font leur marché à l’international, d’autant qu’il y a une faiblesse de la diffusion locale. Pis encore, une faible concertation avec les professionnels et une faible délégation des services (construction des équipements). Quoique l’on enregistre, dans ce secteurlà, une certaine valorisation ainsi qu’une promotion de spectacles à la télévision publique, et une mobilité transversale qui se produit avec d'autres secteurs, on a une faible demande publique, à l’exception des cérémonies officielles ainsi qu’une majorité de troupes structurées en associations et très peu d'entreprises. Et enfin, en termes de diffusion en ligne, il existe une réticence : «l’art vivant doit rester vivant». Malgré certaines tentatives, l’idée de diffuser en ligne des spectacles n’est pas toujours la bienvenue…

Audiovisuel

Un triple enjeu pour la filière : libéralisation, participation, hybridation. Le secteur est confronté à des limites qui retardent son passage au transmédia (encore faible au Maroc); souffre de faibles synergies entre le cinéma, la télévision et les industries numériques; et connait des structures de formations publiques peu qualifiantes. On relève un besoin de favoriser le mieux-disant en développant une qualité d’interactions interpersonnelles régulées, plutôt que des appels d’offres impersonnels. Autre chantier, celui du cahier des charges qu’il faut réformer. Là encore, vous n’avez que la partie visible de l’iceberg. Et quoiqu’il y ait une ouverture progressive du marché (dans le domaine radiophonique surtout), la libéralisation télévisuelle est encore très limitée. On observe aussi une faiblesse en termes de postproduction et d’accompagnement dans la qualité de montage des projets : les budgets alloués au montage sont très faibles, alors que c’est là où l’on peut arriver à la qualité parfois. Par ailleurs, on enregistre une capacité d’innovation pour certains acteurs et un besoin du marché en animation 2D, 3D, Editing, Motion Design, etc. Il faut savoir que ce secteur génère beaucoup de fonds internationaux…

Les besoins sont très importants, surtout dans les secteurs émergents.

De l’ensemble de ce travail, il ressort en conclusion que 6 axes structurants méritent une attention particulière : la transversalité de la culture et la nécessaire convergence; la réforme du modèle de subvention publique; la libéralisation de l’audiovisuel; l’identification des entreprises des ICC et la reconnaissance des associations culturelles; la réforme du BMDA (Bureau marocain des droits d’auteurs) et la gestion des droits d’auteur; les défaillances structurelles à combler par la formation 

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