Perfectionniste à l’excès, Hussein Miloudi fut indiscutablement un être à part dans la communauté artistique marocaine.
Après avoir conservé longtemps son œuvre sous le boisseau à une certaine époque, il avait fait le choix de reprendre sa voie en puisant dans les traditions locales des arts et métiers d’Essaouira, sa ville natale à laquelle il est resté toujours fidèle.
Par R. K. Houdaïfa
C’est un paradoxe que de brosser, même à titre posthume, le portrait d’un personnage timide et réservé, jaloux de son anonymat. Hussein Miloudi, né en 1949, rêvait de se faire oublier au profit de sa peinture. Des égards, il s’en moquait; des grandeurs d’établissement, il n’en avait que mépris; quant aux éloges, elles le gênaient viscéralement. Cet homme avait fait d’humilité vertu. Il s’y tint toute sa vie, malgré les trompettes criardes de la renommée.
Même quand ses pairs courent les galeries, les fondations et autres lieux pour s’y afficher, lui, il s’enferme douillettement dans sa tour d’ivoire et n’en déloge qu’à son corps défendant, si ce n’est pour aller flâner du côté de l’océan, s’enivrer du vent rugissant, se gaver les tympans des cris des mouettes, contempler l’incessant va-etvient des vagues affolées, se broyer dans le bleu profond de la mer…
Depuis sa première exposition en 1968, à Marrakech, à l’âge de 17 ans, Hussein Miloudi s’est évertué à l’élaboration de tout un style - qui s’est vu affublé de la condescendante étiquette d’«art rural marocain», un art du signe où il conjugue, de fine façon, les traditions berbères et africaines.
A la fin des eighties, il vit surgir, au sein même de sa chère cité, presque du néant, une flopée d’artistes «spontanés» dont les œuvres se retrouvent, en moins de deux, accrochées aux cimaises des musées étrangers. De fait, on comprend mieux pourquoi il se retira de la mêlée au vu de la soudaine éclosion de ce que tout un chacun appelle désormais «l’école d’Essaouira». Car, ce ne sont pas forcément les plus méritants qui ont les faveurs des consécrateurs peu ou prou légitimes; les meilleurs restent à quai.
Agacé - ulcéré peut-être -, Hussein Miloudi se déprit de tout cela, remisa sa peinture au grenier. Il avait observé une retraite mutique de plus d’une dizaine d’années. Un bail. Sous l’insistance amicale de l'artiste peintre Hassani, il daigne enfin s’extirper de sa léthargie. L’augure d’un grand retour ? Nenni. L’exposition terminée, il replonge, avec ses cliques et ses claques, dans l’anonymat. Mais, conscient que ses brusques évanouissements dans la nature risquent de le faire tomber dans l’oubli, il remit cependant du cœur à l’ouvrage.
Les tableaux de Miloudi possèdent cette rare dimension : du magnétisme. Ils violentent délicieusement l’œil et transportent les sens : ils appellent, sollicitent, s’offrent.
L’œil sillonne les cercles, carrés ou rectangles à la géométrie stricte dans les tableaux enfantés par l’imagination de ce peintre, puis - sans crier gare - se retrouve englouti dans ses minuscules figurines qui traversent sa peinture, la peuplent, la hantent, la déchirent.
Tout chez Miloudi respire la gaieté : depuis une palette délicate, un doigté léger et une imagination fertile jusqu’à un faciès jovial et un accent doux. L’artiste préparait depuis trois ans une grande exposition à la galerie casablancaise l’Atelier 21, qui le représentait d’ailleurs. Mais, le jeudi 15 septembre, la faucheuse est passée par là pour broyer son élan créatif et laisser son projet inachevé… Au revoir Miloudi !