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Fathallah Lamghari : Le chantre de l’amour malheureux

Fathallah Lamghari : Le chantre de l’amour malheureux

Le samedi 3 septembre, Fathallah Lamghari, un des fers de lance de la chanson marocaine, a rendu l’âme. Avec sa mort, un pan de notre patrimoine musical s’est écroulé.

 

Par R. K. H.

 

 

 

Lorsque meurt un musicien que l’on affectionne, on se révolte contre la malveillance et l’injustice qui nous privent de ses œuvres futures. Et l’on se dit que maintenant il faudra écouter en songe, dans une discothèque imaginaire, les airs qu’il aurait composés, si la mort, qui n’a aucun égard ni aucune affection pour les artistes, fussent-ils immortels, n’avait pas décapité son élan créatif. Mais cela n’est guère consolant.

De la disparition de Fathallah Lamghari, né en 1940 à Fès, nous serons à tout jamais inconsolables, tant ses qualités de cœur et d’authenticité s’imposaient à nous, tant il a porté haut la chanson marocaine, tant les paroles qu’il tissait nous laissaient le cœur chaviré.

 

Poète dans l’âme

Dès sa tendre enfance, il fredonnait des airs à tout bout de champ. Quand on sait que Moulay Abdallah Ben Hsaïn, le saint patron de Tamesloht, dont descend son géniteur, troussait entre deux prêches, deux conseils avisés, des poèmes de malhoun, on comprend d’où vient la vocation de Fathallah : de loin, donc.

Gourmet des mots et passionné effréné du verbe, cet ancien lycéen de Moulay Driss de Fès, étudiant à l’Ecole nationale des finances et cadre au BRPM (Bureau de recherches et de participations minières), affermissait par la fréquentation assidue des poètes. D’où indubitablement sa forte inclination pour la métaphore, l’allégorie et la personnification. Sous sa plume, l’aimée est souvent la rose, la lune, le verre de cristal… Des figures de rhétorique de la plus belle eau !

 

Mis en orbite par le hasard d’une rencontre

Subjugué par la virtuosité vocale de l’adolescent, le compositeur-interprète Mohamed Fouiteh, déjà au faîte de sa gloire, le prend sous son aile tutélaire. C’est ainsi que Fathallah affina ses gammes. On soupirait après les années perdues, les sentiments simples et la terre qui ne ment pas. Fathallah Lamghari, lui, jeta son dévolu sur la romance (celle des blessés). Et c’est dans ce registre qu’il entonna sa carrière, avec «Kas lballar» : ce verre de cristal, si délicat, qui échappe des mains prévenantes pour tomber dans d’autres, indélicates, empressées de le lâcher après s’en être servi.

Par nécessité profonde ou en réminiscence d’une lointaine blessure mal enfouie, il était en affinité avec le thème de l’amour malheureux. De fait, il suffit d’égrener ses titres pour montrer combien ce sujet l’habitait : «Khsara fik ghrami», «Lli bnitou rrih ddah», entre autres opus, tout en tonalité amère. Tous décrivent le vacillement d’une vie quand l’être qui l’illuminait vous plaque sans raison. Et l’on reste, muet, paralysé de chagrin, languissant du souvenir de l’autre, implorant le Ciel pour qu’il revienne. Mais l’on sait au fond de soi que «Capri c’est bien fini» !

Avec Fathallah Lamghari, une voix dans le masque, résolument mélancolique, qui vous invite à emprunter des chemins de traverse qui mènent vers son univers quelque peu sombre : il n’y a pas d’amour heureux.

 

Parolier capital

Il était l’un des rares à faire partager cette émotion-là. C’est pour cela qu’il était un parolier capital. Ses mots ont été recueillis par le dessus du panier de notre scène musicale : Mohamed Mezgueldi, pour lequel il a écrit, à l’âge de quinze ans, «Alach qatâouk ya warda»; Abdelwahab Doukkali qui a interprété cette lumineuse lamentation sur les ruines qu’est «Dar lli hnak», mais aussi «Niyya wahda âmaltha»; Abdelhadi Belkhayat qui a chanté «Sannarra» et «Fi qalbi jarh qdim»; Abdelhaï Sqalli («Ala lbab tallat lgamra»); Mahmoud Idrissi («Mouhal yansak lbal»); Lahbib Idrissi («Ma bqiti ândi flbal»); Naïma Samih («Hada hali» ; «Aâla ghafla»); Samira Bensaïd («Faytli chaftak»)… Tout au long de sa carrière, il aura semé ses paroles à tous vents.

Or, pour Latéfa Raafat - sa favorite -, il n’a pas seulement écrit des chansons, mais les a aussi composées. De là, sont nées quelques topazes telles «Yamma ya yamma», «Âachrat lahbab» ou encore «Maghyara».

Fathallah Lamghari, qui en avait assez d’adapter sa voix à la musique d’autrui, car aucun compositeur n’avait réussi à en tirer la quintessence, prit la décision de mettre en musique ses propres paroles. Et c’est avec «Wallah ma n’ta mâana» qu’il effectue son entrée en composition. L’intro en nay fait chavirer les cœurs; le solo de chant libre, qui suit, émeut plus que de raison. Désarroi de l’absence : elle en vadrouille, lui en souffrance - thème qui lui est très cher.

Cet illustre artisan du grand rebond de la chanson marocaine après l’indépendance est allé rejoindre le paradis des artistes. Et il n’y sera jamais seul, la solitude tenant lieu, parfois, de muse. «Nouara jmila ya nass, manwitha tehjarni / Mli mchat macheft nâass…»

 

*«Kas lballar»; «Khsara fik ghrami»; «Lli bnitou rrih ddah» : toutes trois signées Abderrahim Sekkat, le compositeur fétiche de Fathallah Lamghari.

 

 

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