Par R. K. Houdaïfa
Ils sont fraîchement diplômés et se veulent avant tout artistes. Ils avaient (indubitablement) envoyé leurs dossiers aux cinq ou six galeries choisies un peu au hasard. Ils ont attendu les réponses pendant des semaines dans la confiance, l’inquiétude, l’angoisse. Puis des e-mails sont tombés dans leur boîte à messages.
«Nous avons le regret… Notre politique… Notre galerie ne peut…». Autant de refus. Qu’allaientils faire de leurs œuvres ? Ces gens ne savent-ils pas reconnaître les talents ?... Aucun espoir, ils sont de parfaits inconnus ! Et puis un jour, une galerie leur prête ses cimaises. Les voilà au comble du bonheur.
Les voilà sacrés artistes à part entière. Bientôt, on parlera de leurs œuvres dans les journaux, les magazines, à la radio, à la télé. Mettre au-devant de la scène de jeunes artistes, tel est l’objectif ambitieux de «New Breath», une exposition mitonnée par Gallery Kent, en coopération avec l’INBA de Tétouan (Institut national des beaux-arts). De fait, il s’agit plus précisément de médiatiser la création en faisant passer le pas à l’œuvre jusqu’à l’appréciation du public-roi.
«Par ce New Breath et la pérennisation de l’évènement INBA Generation, Gallery Kent affirme son attachement à accompagner les travaux des jeunes talents du Maroc, tout en suivant l’évolution de leur travail et en valorisant celui, remarquable, de l’enseignement dispensé par l’Institut des beaux-arts de Tétouan. Une façon pragmatique et efficace de s’inscrire dans son temps, celui toujours renouvelé d’une jeunesse prête à conquérir tous les possibles que lui promet son monde», souligne la maîtresse des lieux.
On pourrait s’attendre à un rassemblement hétéroclite tant le fil rouge est à la fois fascinant mais large. La recette se réchauffe à toutes les sauces ! Cherchez la féminité, pardieu, vous la trouverez… C’est avec cet esprit que se traduisent les œuvres de Hajar El Moustaassime qui, moyennant une déclinaison d’images très classiques, met en œuvre «un discours féministe et écologiste», lit-on dans une fiche de présentation. Autre friandise ?!
Parmi les signatures mises en lumière, on retrouve Rahma El Houssig qui, d’un surréalisme actualisé à la facture lisse et contemporaine, décuple les perspectives d’«un monde qui pourrait s’apparenter à ce que l’on appelle l’envers des choses». Reda Boudina, lui, nourri au lait du street-art, «s’avoue hanté par la forme au point de travailler, aujourd’hui, sur l’influence liée à l’architecture brutaliste qui, de son sceau élitiste et austère, a tant marqué les paysages du Maroc des années 60 aux années 80».
Guidé par Edvard Munch, Ziyad El Mansouri dresse ses grandes toiles où contrastes expressionnistes et tendances surréalistes sont faits de la même chair. Pour qui désire s’extirper des croûtes vulgaires et bavardes auxquelles nous avons généralement droit, pas une minute à perdre, il faut grimper dans ce train-là. Se laisser transporter par le regard vif, alerte, sensible de jeunes artistes qu’il était bon ton de dépister.
* «New Breath», du 30 janvier au 6 mars, à Gallery Kent. Tanger.