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Brahim Kermaoui raconte son combat pour la vérité

Brahim Kermaoui raconte son combat pour la vérité

L’auteur de «L’enfant égaré» est depuis 20 ans à la recherche de ses parents biologiques.

Le Franco-marocain ne lésine pas sur les moyens pour sensibiliser à la cause des enfants volés à la naissance. Entretien.

 

Propos recueillis par ibtissam. Z.

 

Finances News Hebdo : Nul ne peut décrire le ressenti d’un enfant volé. La hantise de retrouver ses parents biologiques reste-t-elle intacte, malgré la présence des parents adoptifs ?

Brahim Kermaoui : L’envie de retrouver mes parents reste effectivement intacte, c’est même une évidence. Psychologiquement, cela a été vraiment pénible, surtout quand les parents adoptifs ne vous soutiennent pas. C’était une situation intenable à vivre. Au tout début, j’ai sombré dans l'alcool, la drogue ... Cette histoire a complètement chamboulé ma vie, mon parcours scolaire a été une catastrophe. Mais au fur et à mesure que je prenais de l’âge, j’ai pris conscience qu’il fallait me ressaisir et m’entourer de personnes positives pour rebondir. Faire de cette faiblesse une force pour avancer non pas pour moi, mais pour toutes les personnes qui se trouvent dans ma situation. Je sais pertinemment que c'est dur de se relever dans ce genre d’épreuve quand on est seul et sans soutien.

 

F.N.H. : Vous avez porté et portez toujours le même combat, celui de retrouver un jour vos parents biologiques. Après tant d’années de recherches, d’où puisez-vous  votre force ?

B. K. : Ma seule motivation et ma raison de vivre sont qu’un jour proche je puisse retrouver mes parents biologiques. Certes, tous les combats nécessitent de la force, le mien, encore  davantage. Parce que je me bats contre l’inconnu, contre l’absence. Je suis une personne déterminée, je ne baisse jamais les bras et, surtout, j'ai la foi en Dieu. Je pense qu'il ne faut pas  renoncer dans ce combat; je me dis que j'ai un trousseau de clés et j'essaye de trouver la bonne. Au pire, j'aurais essayé de retrouver mes parents.

 

 

F.N.H. : Vous portiez l’identité d’un enfant mort à la naissance. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez fait cette découverte ?

B. K. : J’avais un pincement au cœur, c’est horrible, j'ai fondu en larmes, difficile d’y croire. On ne voit ce genre de situation que dans les films. C’est de la fiction pour moi, m'échanger contre un bébé mort et par la suite m'abandonner ! J'ai mis du temps à me relever et la blessure est toujours là. Je me dis pourquoi, pourquoi moi ? C’est lors d'une réunion à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) en compagnie de ma mère adoptive, du directeur de l’établissement et des éducateurs, que j’ai su que j'étais adopté : j’avais 14 ans. Ma mère adoptive affirmait que j’ai été adopté au Maroc, que je lui coûtais trop cher et que désormais elle ne voulait plus de moi. Ce jour-là, tout s'est écroulé tel un château de cartes, je subissais un deuxième abandon. A 21 ans, je repars au Maroc pour essayer de trouver une explication à mon histoire et reconstituer petit à petit le puzzle de ma vie. Mes recherches m'amènent alors à Berkane, où je découvre que mes parents adoptifs avaient adopté un bébé prématuré et que, peu de temps après, il décéde. Frustré, mon père adoptif repart à l’assaut d’un autre bébé et m’échange contre ce mort-né. 10 ans plus tard, je tombe sur des articles du journal Le Parisien et je découvre qu'un juge à Valence, en Espagne, avait affirmé que dans le Nord du Maroc (durant les années 70-80), il y avait une association de malfaiteurs constituée d’infirmières, de médecins et de sœurs religieuses qui volaient des bébés à l'hôpital pour les revendre à l’étranger. Et c'est à partir de là que j’ai entamé mes recherches.

 

F.N.H. : Après tant de souffrance et d’interrogations, vous avez décidé d’écrire votre histoire. C’est toujours difficile de raconter sa vie, était-ce bien le cas pour vous ?

B. K. : C’est toujours difficile de raconter son histoire et son vécu. Une peur qui te prend aux tripes, parce que c'est intime. Etaler sa vie dans un livre, avec des confessions intimes, il faut du courage pour dépasser le stade du tabou et, surtout, si on est de sexe masculin. Mais il fallait assumer pour me libérer de cette souffrance. Mon vécu est un cri du cœur, je voulais le partager, pour ne pas sombrer… et aussi venir en aide aux autres victimes qui optent pour le silence et les non-dits.

 

F.N.H. : Le trafic de bébés volés est universel. Vous avez entrepris un voyage en vélo de la France au Maroc pour sensibiliser les gens à cette cause et faire bouger les choses au Maroc. Racontez-nous votre périple ?.

B. K. : J’ai entrepris un périple fou. Je ne suis pas fort en vélo, j'ai même risqué ma vie pour faire entendre ma voix. Je voulais être le porte-parole des milliers de mes semblables. Pour me faire entendre, j'ai eu l'idée de faire le trajet Paris-Rabat en vélo, l’occasion aussi de solliciter la bienveillance de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Pour aller jusqu’au bout de mon périple, il fallait trouver des sponsors. J’ai donc réalisé des vidéos via les réseaux sociaux à la recherche de dons pour mener à bien ma mission. En créant le compte «Letchi», j'ai eu des donateurs et des amis qui ont participé à mon projet. Il me fallait un peu plus de 5.500 euros, un vélo à 2.000 euros, en plus des équipements et de l'hébergement. Un jour, on m'invite à une association, Kafala.fr, pour parler de mon histoire.

Le débat a été partagé sur la toile. Touchés par mon vécu, Hassna et Abdel Moummad me contactent et participent grandement à la réalisation de mon projet. Le 31 juillet 2018, c’était le grand départ. Le premier jour, c’était très dur physiquement car je n’avais effectué aucun entraînement et personne ne croyait que j'allais réussir. J'ai eu beaucoup de soutien, notamment de mes filles, mes amis, mon sponsor Abdel. Il fallait défier les collines, les montagnes, la chaleur, éviter les ravins et les collisions sur les routes… J’effectuais entre 90 à 170 kilomètres par jour. Le périple a duré 23 jours et, une fois à Tarifa, des larmes et de belles émotions m’ont envahi, ravi de faire un retour au pays et qu’enfin mon histoire allait toucher plus d’un… A mon arrivée à Tanger, il n’y avait personne pour m’accueillir. Pourtant, on m’avait promis que des officiels seraient là. Heureusement que mes amis étaient présents. A Rabat, même constat : seul le journaliste français Oliver Delagarde, qui relate mon histoire, et son épouse étaient présents. Submergé par l’émotion, j'étais triste de constater que personne n’avait pris la peine de se déplacer. En France, je pense qu’au moins un maire m'aurait accueilli.

 

F.N.H. : Vous avez même sollicité le soutien du Roi Mohammed VI pour ouvrir une enquête et créer pourquoi pas une banque d’ADN au Maroc. Expliquez-nous votre démarche ?

B. K. : En effet, je me suis toujours dit que seul sa Majesté pouvait m’aider. J’ai l’intime conviction qu’il est le seul à pouvoir le faire, puisque toutes les démarches n’avaient pas abouti. J'avais sollicité des avocats à Berkane et à Oujda pour faire les démarches, mais ils ont décliné ma demande sous prétexte qu’ils ne pouvaient pas faire grandchose, parce qu’il y a des milliers de personnes dans mon cas. Il est vrai qu’à une certaine époque, beaucoup de bébés avaient été volés et soustraits à leurs mères biologiques. En 2016, j’ai été invité à l’émission «Moukhtafoun» de 2M, qui aide à retrouver des enfants ou des proches disparus. A la suite de cette émission, j'ai reçu de nombreux messages de compassion, mais aussi de personnes qui souhaitaient retrouver les leurs, notamment leurs enfants. Le gouvernement marocain est dans l’obligation de venir en aide à ces gens en détresse et en mal de repère. Je souhaite qu’un jour, on puisse ouvrir un bureau dédié à cette cause et par la même occasion, créer une banque d'ADN pour pouvoir retrouver nos parents et reconstituer notre histoire. Le Maroc possède une grande histoire, son peuple aussi. Je reste attaché à mon pays et à mes racines, d’où ma quête de chercher mon identité et rétablir la vérité. Merci à Sa Majesté Mohammed VI et au peuple marocain…

 

 

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