Le Maroc cherche à développer un partenariat plus complet avec l'UE, un partenariat qui rapprochera Rabat et Bruxelles sur des questions stratégiques clés telles que le changement climatique, l'éducation, la sécurité et la mobilité, explique le chef de Mission auprès de l'UE, l'Ambassadeur Ahmed Rahhou.
Finances News Hebdo reprend pour ses lecteurs l’intégralité de l’entretien accordé par Ahmed Rahhou au «Parliament Magazine» et publié ce lundi 4 mai.
Finances News Hebdo : Le monde traverse actuellement une période difficile, alors que les pays s'efforcent de contenir l'épidémie du coronavirus. Quelles sont les mesures prises par le Maroc pendant la crise ?
Ahmed Rahhou : Le Maroc a en effet réagi très vite. Dès février, les vols à destination et en provenance de Chine ont été arrêtés, puis ceux concernant les pays où l’épidémie de Covid-19 a commencé à se développer ont été stoppés à la mi-mars. A ce moment également, la décision de confinement de la population et du renforcement du dispositif médical d’accueil des malades a été prise. Puis des restrictions de déplacement entre villes ont été mises en place.
Grâce à ces mesures, nous étions à la fin de la troisième semaine d’avril, à une situation maîtrisée où le nombre de cas global (3.000), le nombre de décès (150), le nombre de personnes en soins à l’hôpital restent modérés et supportables pour notre système de santé, qui a été fortement renforcé par ailleurs.
L’obligation du port d’un masque quand on sort a par ailleurs été prise début avril, et le couvre-feu a été instauré pour le soir. Cela a renforcé la sécurité collective. Il faut noter à ce propos que le Maroc produit ses propres masques destinés au public, et qu’une capacité de production de 5 millions de masques par jour a été atteinte.
Ce sont des mesures fortes et difficiles, initiées sous la supervision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui sont largement acceptées par la Population et qui ont eu l’aval de notre parlement conformément à notre Constitution. Le Gouvernement travaille actuellement pour préparer la sortie du confinement, qui a été prolongé jusqu’au 20 mai, de façon à limiter le risque de retour de l’épidémie.
F.N.H : De quelle manière le fonds spécial Coronavirus de 10 milliards de DH du Maroc contribuera-t-il à atténuer les répercussions sociales et économiques de la crise ?
A.R : Le Fonds Covid-19, créé à l’initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a été doté de près d’un milliard d’euros sur fonds publics, mais il y a eu une grande opération de participation à ce Fonds par des personnes physiques et morales, marocaines pour l’essentiel mais aussi étrangères (dont l’Union Européenne). Ce Fonds représentait à fin avril plus de 3% du PIB marocain, et permet de faire face aux premières urgences. En particulier, ce Fonds assure des revenus mensuels à plusieurs millions de familles qui ont perdu ou vu se réduire leurs revenus.
Le Fonds permettra également de soutenir les efforts en matière d’équipements sanitaires et pourra aussi être utilisé pour le soutien à certains secteurs économiques et à certaines entreprises en difficulté. Pour ces dernières, d’autres mesures concernant le paiement d’échéances bancaires, fiscales ou sociales ont également été prises.
Dans les circonstances telles que celles que nous vivons, compter sur ses amis et ses partenaires est une nécessité. J’ai évoqué la participation de l’Union Européenne au Fonds marocain Covid-19, et j’en profite pour remercier les autorités de la Commission et du Service Extérieur Européens pour leur mobilisation. Il y a eu de la coopération pour le rapatriement des personnes et d’autres actions de collaboration. Nous travaillons ensemble comme savent le faire des partenaires et amis.
F.N.H : En juin de l'année dernière, le Maroc et l'UE ont dévoilé des plans pour développer un "partenariat euro-marocain pour une prospérité partagée". En quoi consiste ce partenariat ?
A.R : Le Maroc est un partenaire de la première heure de l’Europe, puisque les premiers accords communs datent des années 60. Depuis, le monde a beaucoup changé, l’Europe aussi, qui s’est par ailleurs fortement élargie, et le Maroc aussi a beaucoup évolué.
L’Europe a besoin d’avoir, en dehors de ses frontières, un voisinage stable en développement et coopératif sur l’ensemble des sujets d’intérêt commun. Le Maroc est totalement dans ce cas. Or, force est de constater que le proche voisinage géographique de l’Europe est très fortement perturbé et instable. Le Maroc constitue l’une des rares exceptions à cette situation. Nous pensons qu’il est nécessaire pour l’Union Européenne de repenser et de redéfinir sa politique de partenariat et de coopération dans cette zone si on veut que les choses évoluent différemment.
Le Maroc a proposé, et cela a fait l’objet d’une déclaration commune en juin 2019, pour que l’on jette de nouvelles bases de partenariat sur une approche multidimensionnelle. Cela intègre les Valeurs, l’Education, l’Innovation, l’Economie, la Justice Sociale, la Politique, la Sécurité et la Mobilité, et bien évidemment le sujet essentiel de l’environnement et du Changement Climatique.
F.N.H : Quelles sont les grandes ambitions de ce partenariat ?
A.R : L’Union Européenne affiche de grandes ambitions géostratégiques, touchant le Changement Climatique, la Paix, la Sécurité et la Stabilité dans le Monde ainsi que le renforcement de l’Etat de droit. Une politique plus dynamique et plus pro-active est également prévue dans les relations avec l’Afrique.
Le Maroc partage ces ambitions; ses objectifs en la matière sont largement alignés avec ceux de l’UE. Nous pensons qu’une coopération et une concertation plus approfondies, une politique de développement conçue par et pour les acteurs proches du terrain sont nécessaires. Notre ambition est de construire un partenariat et un modèle de développement exemplaires, et pourquoi pas transposables dans d’autres contrées.
La déclaration conjointe du mois de juin 2019 a identifié quatre espaces de concertation : Convergence des Valeurs, Convergence économique et Cohésion sociale, Connaissances Partagées, enfin Politique et Coopération Sécuritaire. A ces espaces se rajoutent deux axes de coopération transversaux, touchant l’Environnement et le Changement Climatique d’un côté, et la Mobilité et la Migration de l’autre. Au-delà des déclarations, nous travaillons actuellement pour mettre de la consistance et du contenu derrière chacune de ces thématiques.
F.N.H : Quel rôle la culture peut-elle jouer dans le démantèlement des barrières historiques et religieuses ?
A.R : Parmi les nombreux problèmes auxquels nous devons faire face, figure celui qui a trait au rejet de l’autre et au refus des différences. Nous devons éviter à tout prix une confrontation des civilisations, des cultures ou des religions, ainsi que le repli sur soi. Les tendances et les discours de haine et de rejet qui malheureusement prolifèrent ces dernières années ne peuvent être contrés que par des actes forts, politiques mais également culturels.
Il faut absolument continuer à cultiver et à partager les cultures différentes. Quand on connait mieux les gens et leur culture, le sentiment de rejet, de peur et de repli sur soi baisse en général. Il est nécessaire à mon sens d’aider les gens, et surtout les jeunes, à mieux se connaitre et à partager davantage de choses. Je crois qu’une extension très large de programmes d’échange de jeunes, type Erasmus, fonctionnant dans les deux sens, vers l’Europe et en dehors de l’Europe, vers des pays du sud et de l’est de la méditerranée peut contribuer à cet objectif.