De la Covid-19 à la variole du singe, en passant par les appréhensions suscitées dernièrement par la punaise de lit, il est manifeste que les préoccupations engendrées par les crises de santé publique ont connu une croissance substantielle au cours des récentes années. Vivre dans un monde connecté, tout en faisant face aux métamorphoses climatiques et à l'accroissement démographique, a propulsé l'émergence d'agents pathogènes avec une régularité accrue, propices à leur diffusion. Heureusement, des avancées technologiques significatives ont vu le jour, aptes à contribuer à l'atténuation de l'impact de ces défis affectant la santé mondiale. Aujourd’hui, avec l’avènement de l'intelligence artificielle (IA), aucun secteur ne demeure à l'abri de son influence métamorphique, et la santé publique n'échappe pas bien évidemment à cette tendance.
Le déploiement accéléré de l'IA au sein de la santé publique annonce l'avènement d'un tout nouveau paradigme pour la promotion de la santé, promettant de bouleverser notre approche en matière de prévention des maladies, de surveillance épidémiologique et de dispensation des soins médicaux. Cette mue annonce des améliorations notables en termes d'efficacité, d'efficience et d'équité pour les interventions de santé publique. L'envergure des applications de l'IA en santé publique est aussi vaste que diversifiée. L'une de ses influences les plus marquantes se dessine dans le domaine de la surveillance des maladies et des prédictions épidémiologiques.
Grâce au big data et aux algorithmes, l'IA est à même d'analyser d'importants flux de données, piochant dans des sources aussi variées, comme les masses de données disponibles sur l’Internet, couplées aux données téléphoniques, aux plans de vol des avions et à la météo; ces prédictions permettent de savoir quand et où une éventuelle maladie va se répandre. Une science pas toujours juste, mais qui a bien marché pour la Covid-19 et l’épidémie de Zika au Brésil, dont l’application canadienne BlueDot avait prédit la transmission en Floride. Cette capacité prédictive permet aux autorités sanitaires d'adopter des mesures préventives proactives, réduisant ainsi l'impact et préservant des vies. Les systèmes d’alerte précoce fondés sur l’IA permettent de détecter les schémas épidémiologiques via l’exploration des articles de presse, du contenu publié en ligne et d’autres canaux d’informations dans diverses langues, l’émission d’alertes précoces venant alors compléter la surveillance syndromique et d’autres réseaux de santé et flux de données.
De surcroît, l'IA peut dynamiser la promotion de la santé en offrant des recommandations personnalisées. Les algorithmes d'IA ingèrent les données de santé, les habitudes de vie et même les informations génétiques d'un individu pour élaborer des conseils individualisés relatifs à l'alimentation, à l'activité physique et à d'autres comportements ayant un impact positif ou négatif sur la santé de l’individu. Cette approche anticipative personnalisée pourrait mener à des résultats de santé plus probants, puisque les individus ont tendance à adhérer davantage à des conseils spécifiquement adaptés à leurs besoins et préférences. Par ailleurs, l'IA se révèle un allié essentiel dans la lutte contre les disparités sanitaires. Les algorithmes d'IA décèlent des schémas et des tendances au sein des données sanitaires, éclairant ainsi les disparités existantes entre différents groupes de population, et entre le milieu urbain et le milieu rural. En mettant en lumière ces inégalités, l'IA pourrait guider les responsables politiques de bien orienter les interventions et les actions de santé publique, veillant à concentrer les ressources là où elles sont le plus nécessaires.
L’IA optimise l'efficacité de la prestation des soins de santé. Grâce à elle, les tâches administratives et chronophages comme le triage des patients et la planification des rendez-vous peuvent être automatisées, permettant aux professionnels de santé de se focaliser sur des tâches purement médicales. Elle peut également améliorer les processus de diagnostic en scrutant les images médicales et les données des patients, repérant ainsi précocement les affections. Cette détection hâtive favorise un traitement précoce, améliorant les issues pour les patients tout en restreignant les coûts associés aux soins médicaux. Néanmoins, l'intégration de l'IA en santé publique n'est pas sans embûches.
Les enjeux de confidentialité et de sécurité des données suscitent des inquiétudes, car les algorithmes d'IA requièrent l'accès à d'importantes masses de données sensibles en matière de santé. Le potentiel de l'IA à aggraver les disparités sanitaires préoccupe également, à moins qu'elle ne soit soigneusement élaborée et mise en œuvre. Par exemple, si les algorithmes d'IA sont formés sur des données qui ne reflètent pas la diversité de la population, ils risquent de générer des résultats biaisés, défavorisant certains groupes.
En conclusion, en dépit de ces défis, les avantages potentiels de l'IA en santé publique se révèlent trop significatifs pour être négligés. Elle ouvre la voie à une nouvelle ère pour la promotion de la santé, promettant de révolutionner la surveillance des maladies, la promotion de la santé, la prestation des soins médicaux et l'équité sanitaire. Alors que nous plongeons plus en avant dans l'exploration des conséquences de l'IA sur la santé publique, il est impératif d'affronter ces problématiques de front. Ceci exige une collaboration étroite entre les responsables de la santé publique, les chercheurs en IA, les dispensateurs de soins de santé, les éthiciens et les décideurs.
Par Dr Rajae. Ghanimi
Médecin spécialiste en médecine du travail, chercheuse (PhD) en intelligence artificielle appliquée à la médecine. Ecrivaine, auteur de plusieurs livres et articles. Présidente fondatrice de l’association Hippocrate