La banane n’a qu’à bien se tenir, puisque 12 DH est environ le prix actuel de la tomate au Maroc. Cette dernière est le sujet du moment, et est discutée au cœur même de l'hémicycle parlementaire.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting
En bons camarades, d’autres légumes continuent d'œuvrer vaillamment pour rejoindre leur consœur, en battant de nouveaux records en termes de prix. Ainsi, à 10 DH le kilogramme, l’oignon est en pole position pour accéder au podium, faisant ainsi en sorte que bon nombre de Marocains n’auront plus que leurs yeux pour pleurer, faute d’oignons. Quant à la viande avec ses 100 DH le kilo, elle boxe dans une toute autre catégorie. Aujourd’hui, pour frimer au café ou pour tester les limites monétaires et l’amour de son conjoint, c’est un panaché de légumes qu’il faut désormais commander. Le Marocain de base ? Et bien, il joue le rôle passif de spectateur face à cette mascarade par bien des aspects tragiques ? Le gouvernement ? Il fait du coaching politique ou du développement personnel, à travers des déclarations disant aux Marocains : «Tenez bon, nous allons punir les méchants». Je caricature à peine, mais la question est effectivement devenue autant économique que politique. Cependant, les points se doivent d’être mis sur les «i» afin de comprendre à quoi nous avons affaire
actuellement. Premièrement, il est important de comprendre que l’inflation ne peut se résumer en un simple phénomène monétaire. Ce qu’elle est certainement au départ. Mais très rapidement, elle devient un état d’esprit et une dynamique collective. Ce conditionnement collectif peut se résumer en un questionnement : «Si tout le monde augmente les prix, pourquoi pas moi aussi ?». Cette peur, cette angoisse de passer à côté de ce qui est perçu comme une opportunité, alimente cette flambée des prix. Mais elle ne relève aucunement d’une quelconque méchanceté, bien que des spéculateurs mal intentionnés existent bel et bien. Car ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que le vendeur ou le commerçant est également par ailleurs un acheteur dans son quotidien. Et que confronté à la flambée des prix des biens qu’il ne vend pas, mais qu’il se doit d’acheter, il finit par augmenter les prix des siens. Et vice-versa. Une spirale infernale et auto-alimentée, qu’il est très compliqué de juguler économiquement ou politiquement. Ainsi, même si les coûts de production n’augmentent pas dans un métier en particulier, il faut garder à l’esprit qu’un métier et un secteur n’ont pas de petites jambes et de petites mains, mais qu’ils sont constitués
de gens concrets, confrontés à une flambée des prix dans leur quotidien. Maintenant, quid du gouvernement ? Ce dernier attribue principalement cette flambée à trois facteurs : • Les intermédiaires, qui ne sont peutêtre pas si innocents que cela, du moins pour certains d’entre eux. • A un volume trop important des exportations de tomates, qui serait à l’origine d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de tomates sur le marché national. • A des fraudes et des augmentations illicites des prix. Effectivement, le Porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a annoncé lors de sa conférence de presse hebdomadaire, que le chef du gouvernement, Aziz AKhannouch, «a donné des instructions fermes pour lutter contre la hausse illicite des prix». Personnellement, je sais ce qu’un prix illicite veut dire dans une économie planifiée de type soviétique, où le prix est fixé politiquement par le politburo. Mais dans une économie de marché, cela demeure pour moi un mystère. Car de ce que j’en sais, le prix d’un bien dans une économie de marché résulte dans une première phase d’une concurrence acharnée entre les différents producteurs au niveau des coûts de production, puis, dans une seconde phase, du jeu de l’offre et de la demande. Dans ce schéma, tout écart à la hausse par rapport au prix de marché est immédiatement sanctionné par la demande. Pas besoin dans ce cas de figure d’une sanction politique, puisque le marché s’en charge mieux que quiconque. La seule intervention légitime du politique est celle qui vise à combattre toute tentative de fausser la concurrence à travers des logiques de cartels ou d’oligopoles. De même, parler d’un prix illicite ne peut se faire qu’en se référant à un prix qui serait licite, et par conséquent qui serait décrété par la loi, ce qui est loin d’être le cas au Maroc, du moins pour la tomate et pour les légumes. Car oui, la tomate n’est pas un légume, même si je l’ai cru pendant longtemps. Par conséquent, l’Etat ne doit en aucun cas intervenir en aval au niveau des prix
pour prétendre les fixer ou les contrôler directement, mais en amont, au risque dans le cas contraire de provoquer une pénurie, là où il voudrait au contraire venir en aide aux ménages. Intervenir en amont revient à agir sur le coût des intrants à travers une réduction des tarifs douaniers, des impôts et taxes, ou encore à travers des subventions. Sur un plan plus systémique, il se doit de lutter contre tout schéma d’entente ou de cartel, qui viserait à saboter le jeu de la libre concurrence. Mis à part cela, parler de prix licite ou illicite équivaut ni plus ni moins qu’à du populisme ou à du coaching politique pour rassurer les ménages, quelques semaines avant le mois sacré de Ramadan. Concernant les exportations de tomates qui seraient trop importantes, nous avons là affaire à ce qu’on pourrait qualifier d’injonction paradoxale. Puisque depuis 2008, date officielle du lancement du Plan Maroc Vert, le crédo officiel des différents gouvernements fut celui du développement des exportations agricoles et agroalimentaires, en vue d’en faire l’un des fers de lance de nos exportations. Toute la modernisation du secteur agricole a été pensée et faite dans cette perspective. Investissements, business plan, logistique, marketing, certification..., tous ces facteurs ont été réfléchis et déployés dans la perspective d’une conquête de marchés à l’étranger (Europe, Afrique, Asie,...). Une dynamique fortement saluée à plusieurs reprises, et qui a permis aux différents gouvernements d’afficher, à travers de jolies diapositives, des chiffres très flatteurs en termes de bilan politique. Venir aujourd’hui qualifier cette même dynamique de problématique en l’érigeant en bouc émissaire, relève de l’injonction paradoxale. Car, si en tant qu’investisseur je désire investir dans le secteur de la tomate avec pour perspective le marché ouest-africain, face à la récente décision du gouvernement d’interdire l’exportation de tomates, d’oignons et de patates vers cette même Afrique de l’Ouest, il y a de quoi me décourager, voire m’inciter à investir plutôt en Espagne. Comme a dit Bossuet : «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes». Ainsi soit, le tout export est problématique, et dans ce cas, il nous faut impérativement faire une critique radicale du Plan Maroc Vert, à l’aune de la réalité actuelle. Soit on défend ce plan bec et ongles, mais l’on s’interdit toute ingérence politique dans les destinations commerciales choisies par les producteurs marocains. Car, c’est tout notre modèle économique qui se doit d’être interrogé, et ce jusqu’à ses fondements mêmes. Parce qu’il est, me semble-t-il, temps de comprendre que les devises ne poussent pas dans les champs, mais devraient être la conséquence d’innovations et d’idées qui germent dans l’esprit de nos inventeurs, entrepreneurs, ingénieurs et chercheurs. Et aux dernières nouvelles, nous avons, nous dit-on, un nouveau modèle de développement qui tarde cependant à quitter son statut scriptural. L’inflation actuelle, qui se doit d’être combattue intelligemment et en amont du process productif, est également une occasion en or de repenser les fondements de notre système économique, et d’entreprendre les réformes dures mais nécessaires, qu’il serait plus difficile de mener en temps d’accalmie.