Intégrer les enjeux de la taxe carbone aux frontières s’avère plus que nécessaire pour les entreprises marocaines exportatrices. Entretien avec Loïc JaegertHuber, président de la Commission énergies propres à l'ASMEX.
Propos recueillis par D. M.
Finances News Hebdo : Comment la nouvelle taxe carbone aux frontières pourrait-elle affecter les exportations marocaines vers l’UE ?
Loïc Jaegert-Huber : Pour l’instant, les principaux secteurs concernés par le MACF sont le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité et l’hydrogène. Ainsi, la taxe affectera assez peu les exportations marocaines dans un premier temps, et touchera en grande majorité le secteur des engrais. Cela étant, il est clair que ce mécanisme a vocation à évoluer et à concerner de plus en plus de domaines d’activités. Avec 65% des exportations marocaines à destination de l’Union européenne, le marché européen est plus qu’essentiel pour le Maroc. Si nous ne nous adaptons pas rapidement en décarbonant nos exportations, cette mesure va freiner les échanges, et donc entraîner un manque à gagner pour les exportateurs marocains.
F.N.H. : Quel est l'impact potentiel de cette norme sur les coûts de production et les prix des produits exportés par le Maroc vers l’Europe ?
L. J-H. : Cette nouvelle taxe pourrait entraîner un surcoût pour les biens importés soumis à la taxe. Si nous ne nous adaptons pas rapidement, cette mesure va freiner les échanges, et donc entraîner un manque à gagner pour les exportateurs marocains. Des entreprises et des secteurs entiers pourraient être à terme en difficulté, ce qui aura des conséquences très négatives sur l’économie marocaine dans son ensemble, notamment sur les emplois. D’où l’importance de s’y préparer dès maintenant et de transformer cette menace en opportunité.
F.N.H. : Quelles sont les mesures prises par le gouvernement marocain pour soutenir les entreprises exportatrices face aux défis posés par cette taxe carbone aux frontières ?
L. J-H. : Le gouvernement a d’ores et déjà évoqué des projets d’alimentation des zones industrielles en énergies renouvelables afin de décarboner l’industrie et accompagner les exportateurs marocains dans ces nouvelles réglementations. A cela, il faut ajouter la mise en place de certains dispositifs de financement tels que Tadwir croissance verte de Maroc PME, visant à accompagner les petites et moyennes entreprises dans leurs projets de décarbonation. Il y a également des aides publiques à l’investissement, ou encore l’accompagnement à l’export proposé par l’ASMEX en partenariat avec l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE). De plus, l’ASMEX a suivi toutes les évolutions de la conjoncture liée aux exigences de la décarbonation qui aura un impact direct sur la compétitivité des exportateurs nationaux. A ce titre, l’association a multiplié les partenariats avec les entreprises expertes dans ce domaine telles que ENGIE, Bureau Veritas Maroc, ou encore la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. L’objectif est de pouvoir proposer à ses membres des solutions qui leur permettront de s’aligner sur les exigences internationales et de préserver leurs parts de marché. ENGIE a d’ailleurs le savoirfaire pour soutenir ces efforts de décarbonation, en proposant des solutions durables, innovantes et adaptées à tous les besoins, et ce sur l’ensemble de la chaîne de valeur grâce à son approche systémique.
F.N.H. : Existe-t-il des opportunités pour les entreprises exportatrices marocaines de tirer parti du MACF pour améliorer leur compétitivité et leur durabilité ?
L. J-H. : Ce raisonnement est sûrement contre-intuitif, mais la taxe carbone européenne est une chance pour le Maroc : le Royaume peut en tirer de nombreux avantages grâce à son énorme potentiel ! Les entreprises doivent avant tout saisir cette opportunité pour faire de leur décarbonation un levier d’attractivité et de compétitivité, tout en renforçant leurs stratégies d’exportation. Ce dispositif doit également inciter le Maroc à décarboner son économie, ce qui va permettre de renforcer sa croissance économique, son attractivité, et donc sa souveraineté. Ces changements profonds vont créer des emplois tout au long de la chaîne de valeur et favoriser le développement économique régional. Le Royaume pourrait même gagner des parts de marché et développer ses partenariats commerciaux en se positionnant comme un hub incontournable entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe.
F.N.H. : Quel rôle les partenariats internationaux peuvent-ils jouer dans l'atténuation des défis posés par ce mécanisme ?
L. J-H. : Les partenariats internationaux peuvent apporter un réel soutien dans le cadre des enjeux de décarbonation des entreprises exportatrices marocaines. Prenons l’exemple du Partenariat vert entre l’Union européenne et le Maroc, qui permet une coopération entre les deux parties afin d’atteindre les différents objectifs liés aux changements climatiques, au travers de discussions ou encore d’initiatives communes. Par la suite, ces réalisations viendront apporter un cadre et des ressources aux exportateurs et aux entrepreneurs marocains dans leur stratégie de décarbonation, et dans leurs réponses aux différents défis liés au MACF. Par ailleurs, il n’est pas impossible que le Maroc crée à terme son propre mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.