Porté par une vision d’indépendance énergétique et de justice territoriale, le Maroc voit émerger une révolution silencieuse : celle des toitures productrices d’énergie. Selon le rapport 2025 de l’Initiative IMAL pour le développement et le climat, les Systèmes d’énergies renouvelables décentralisés (SERD) pourraient, d’ici 2035, transformer profondément le modèle énergétique du pays.
Par Désy. M
À l’heure où la communauté internationale prépare ses engagements pour la COP30, le Maroc n’est pas en reste et augmente ses ambitions climatiques en misant sur ses énergies renouvelables, en général, et le solaire, en particulier. Au-delà des grands projets tels que les stations Noor à Ouarzazate, d’autres initiatives émergent, à l’instar des Systèmes énergétiques renouvelables décentralisés (SERD).
Un nouveau rapport de l’Initiative IMAL pour le climat et le développement, intitulé «Le potentiel des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés au Maroc», a révélé une analyse détaillée de ce gisement insoupçonné, notamment celui du potentiel solaire décentralisé sur les toitures. Ces millions de mètres carrés de surfaces urbaines et rurales qui pourraient, selon les auteurs, produire une part majeure de l’électricité nationale et remodeler le rapport du pays à l’énergie.
Un potentiel à ciel ouvert
Le Maroc fait face à une hausse continue de la demande énergétique, portée par l’industrialisation et la modernisation des infrastructures. Dans ce contexte, les SERD apparaissent comme un levier essentiel pour renforcer la souveraineté énergétique du Royaume, tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre. Selon le rapport IMAL, le potentiel de production solaire sur les toitures bâties entre 2000 et 2035 atteindrait, dans le scénario le plus ambitieux, 66,8 TWh d’électricité par an pour 28,6 GW de capacité installée, soit un marché estimé à 31 milliards de dollars et 48 millions de tonnes de CO2 évitées. Le scénario médian évoque 40,1 TWh et 17,1 GW, tandis que le scénario prudent table encore sur 20 TWh et 8,6 GW. Autrement dit, même la projection la plus modeste permettrait de couvrir près de la moitié de la demande nationale actuelle.
Pour le Dr Saïd Guemra, consultant en énergie et observateur averti du secteur, ces chiffres ne sont pas une utopie. «Le rapport Imal répond brillamment à la question de la croissance de la demande. Son scénario ambitieux, à 66,8 TWh/an, représenterait près de 50% de plus que nos besoins électriques, estimés à 45 TWh/an. Même le scénario dit modeste, à 20 TWh, couvrirait environ 44% de nos besoins. Ces modélisations sont réalistes et illustrent l’importance d’une stratégie claire», affirme-t-il. L’expert nuance toutefois cet optimisme en rappelant que «cela ne veut pas dire que toute cette puissance peut être installée», évoquant les obstacles techniques, financiers et surtout réglementaires.
Selon lui, une cadence d’installation de 850 MW à 1 GW par an en autoproduction décentralisée serait suffisante pour rattraper le retard accumulé dans la transition énergétique. «La part réelle des renouvelables dans notre mix électrique est aujourd’hui de 24%. Pour atteindre 52% d’ici 2030, il faudrait installer plus de 1.250 MW par an. L’autoproduction aurait pu être une solution élégante pour y parvenir, mais elle reste entravée par la réglementation actuelle», précise Guemra.
Le rapport IMAL rejoint cette analyse en soulignant que le développement du solaire sur toiture est aussi un vecteur de justice territoriale. Les régions de CasablancaSettat, Fès-Meknès et RabatSalé-Kénitra concentrent près de 50% du potentiel total, tandis que les zones du Sud et de l’Oriental offrent les meilleurs rendements solaires.
Sur le plan climatique, l’impact serait considérable. Dans sa CDN 3.0 (2026-2035), le Maroc s’est engagé à réduire de 53% ses émissions de gaz à effet de serre. Or, le scénario optimiste d’IMAL, avec 48,19 millions de tonnes de CO2 évitées, dépasse déjà les objectifs nationaux. Cette performance renforcerait la crédibilité du Royaume sur la scène internationale et permettrait la création d’un marché national de crédits carbone valorisables, soutenant la rentabilité économique des projets solaires.
Véhicules électriques, réseaux intelligents : la boucle de l’autonomie
L’avenir du modèle énergétique marocain ne se jouera pas seulement sur les toits, mais aussi sur les routes. D’ici 2035, la Stratégie bas-carbone 2050 prévoit 2,5 millions de véhicules électriques en circulation. S’ils sont équipés de recharge bidirectionnelle, ces véhicules offriraient une capacité de stockage de 39.420 GWh, soit 91 % de la demande nationale projetée. Couplés au solaire sur toitures, ils formeraient une infrastructure énergétique mobile et intelligente, capable de renforcer la stabilité du réseau.
Selon les projections du rapport, les installations photovoltaïques pourraient couvrir entre 59 % et 98 % des besoins de recharge, transformant chaque foyer et chaque voiture en maillon actif du système électrique. Mais la route vers cette autonomie reste semée d’embûches réglementaires. Le Dr Guemra rappelle que le principal obstacle n’est plus technique ni financier : « nos banques sont prêtes à financer la transition, mais il y a très peu de projets. La loi 82-21 de 2023 est d’une complexité excessive : elle nécessite quatorze textes réglementaires, dont à peine deux ont été produits ».
L’expert déplore également que l’injection d’électricité dans le réseau soit limitée à 20 % de la production, ce qui réduit drastiquement la rentabilité des installations. « Un ménage qui produit son énergie solaire doit souvent en injecter plus de 60 % dans le réseau, mais ne peut en vendre qu’une infime part. Il perd jusqu’à 40 % de sa production, et le retour sur investissement double. Le même problème se pose pour l’industrie lors des week-ends ou arrêts de production. Ce n’est pas un modèle viable », déplore-t-il.
Au-delà des aspects économiques, il estime que la loi actuelle freine une dynamique sociale. L’autoproduction collective n’est pas prévue : les immeubles, coopératives ou commerces partagés sont exclus. En pratique, seule une minorité aisée, habitant des villas, peut y accéder. Il appelle à une réforme complète désormais indispensable : « il faut une nouvelle loi juste, qui protège les intérêts du distributeur tout en libérant ceux des citoyens. Aujourd’hui, les refus et blocages ne profitent qu’aux distributeurs. Je propose une compensation renouvelable de 5 à 10 centimes par kWh autoproduit, pour rémunérer le service de secours électrique. Le distributeur doit devenir un partenaire, pas un adversaire ».
Ces remarques rejoignent les recommandations d’IMAL, qui appellent à opérationnaliser la loi 82-21, investir dans les réseaux intelligents, réviser les codes du bâtiment et créer un fonds national SERD pour soutenir les ménages et les PME.
La souveraineté énergétique du Maroc ne se construira pas seulement dans le désert, mais sur les toits de ses villes, ses villages, ses écoles et ses routes. Si la transition énergétique est une course de fond, les systèmes décentralisés en sont désormais le moteur collectif. Ils offrent la possibilité à chaque citoyen de produire, consommer et partager son énergie. « Le Maroc a tout pour devenir un laboratoire africain de l’énergie décentralisée. Encore faut-il transformer la volonté politique en cadre opérationnel clair », conclut Rachid Ennassiri, directeur d’IMAL, cité dans le rapport.