Le recours aux énergies renouvelables dans le secteur agricole, notamment l’irrigation par pompage solaire, s’avère une stratégie à double tranchant.
Par Désy M.
Le secteur agricole marocain, pilier économique représentant environ 14% du PIB national, est confronté à des défis majeurs. Parmi eux, le stress hydrique et la hausse des coûts énergétiques grèvent la rentabilité des exploitations agricoles et la sécurité alimentaire. Pour répondre à ces problématiques, le recours aux énergies renouvelables en général, et en particulier à l’énergie solaire, s’avère une solution doublement avantageuse. Elle permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en diminuant les dépenses liées à l’électricité et aux carburants fossiles. 80% des exploitations agricoles marocaines sont de petites tailles, et ne nécessitent pas une grande quantité d’énergie pour leur irrigation. De ce fait, de plus en plus d’agriculteurs, surtout dans les régions reculées, y trouvent leur compte.
«Le passage aux énergies renouvelables, particulièrement l’énergie solaire, est une réponse directe aux coûts élevés de l’énergie fossile qui pèsent lourdement sur la trésorerie des agriculteurs. L’adoption de systèmes de pompage solaire pour l’irrigation permet de réduire jusqu’à 60% des coûts d’exploitation et d’assurer une autonomie énergétique aux exploitations agricoles, en particulier dans les régions rurales et isolées», déclare Anas El Bouyousfi, CEO de Suncorp. C’est dans cet élan que le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Ahmed El Bouari, a annoncé récemment le lancement d’un programme préliminaire visant à encourager l’installation de pompes solaires sur une superficie de 51.000 hectares, avec un soutien financier de 30.000 dirhams par projet via le Fonds de développement agricole (FDA). Il a souligné que ce programme d’irrigation solaire cible notamment les petites et moyennes exploitations agricoles, souvent les plus vulnérables face à la fluctuation des coûts énergétiques. Le Maroc dispose d’un potentiel solaire exceptionnel, avec un ensoleillement annuel moyen de 3.000 heures. Un tel projet permettra de transformer cette ressource abondante en levier de développement agricole.
De plus, l’intégration de l’énergie solaire dans l’irrigation peut améliorer significativement la résilience des exploitations face aux changements climatiques. «En remplaçant les générateurs diesel par des systèmes photovoltaïques, le secteur agricole réduit considérablement ses émissions de CO2, contribuant ainsi aux engagements du Maroc en matière de développement durable. De plus, l’agrivoltaïsme – qui combine production agricole et énergie solaire– optimise l’usage des terres et améliore le rendement des cultures, tout en produisant de l’électricité propre», affirme le CEO de Suncorp.
Une stratégie à double tranchant ?
Bien que ce programme visant à généraliser l’usage du pompage solaire pour l’irrigation constitue une alternative économique et écologique viable pour le monde agricole, un accès facilité à l’énergie gratuite pour le pompage soulève une problématique majeure. Il s’agit de l’intensification du prélèvement des eaux souterraines. «Dans un contexte où les nappes phréatiques sont déjà en danger - avec un déficit annuel d’environ 1 milliard de m³, l’absence de régulation stricte pourrait conduire à un épuisement accéléré des ressources hydriques», alerte Anas El Bouyousfi.
Rappelons qu’en 2023, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, avait affirmé que «90% des forages réalisés au Maroc ne sont pas autorisés». Subventionner le pompage sans une régulation stricte pourrait aggraver le problème en facilitant l’exploitation anarchique des ressources souterraines. Pour y remédier, le gouvernement a annoncé un investissement ambitieux de 16 milliards de dollars d’ici 2027 pour maîtriser les ressources en eau. Ce programme vise à optimiser l’utilisation des barrages et des réserves souterraines. Cependant, pour que ce projet de pompage solaire atteigne son plein potentiel, plusieurs ajustements sont nécessaires. Les experts optent pour une approche intégrée basée sur une gestion intelligente de l’énergie et de l’eau grâce aux entreprises spécialisées.
Selon EL Bouyousfi, l’adoption de services de gestion externalisés à un tarif compétitif permettrait aux agriculteurs d’accéder à des technologies de pointe, tout en bénéficiant d’un cadre structuré pour optimiser leurs consommations énergétiques et hydriques. Car le fait de payer le service permettra une consommation plus raisonnable et réduira l’élan de surexploitation hydrique. La mise en place d’un cadre réglementaire clair permettant une meilleure application des lois, notamment pour les autorisations de pompage et la gestion des forages, est indispensable pour éviter l’exploitation incontrôlée des ressources. Aussi, un système de labellisation des entreprises spécialisées en énergies renouvelables agricoles garantirait la qualité et la fiabilité des installations. Si l’utilisation de l’énergie solaire pour l’irrigation est une piste prometteuse, elle doit être intégrée dans une stratégie globale et coordonnée qui tienne compte des défis climatiques, hydriques et réglementaires. À défaut, ces initiatives risquent de manquer leur cible, laissant le Maroc face à des défis hydriques toujours plus pressants.