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Maroc - France : une coopération tournée vers la «prospérité énergétique»

Maroc - France : une coopération tournée vers la «prospérité énergétique»

Le nouveau chapitre de coopération Maroc-France s’est soldé par la signature de plusieurs projets en matière de transition énergétique, en général, et d’hydrogène vert en particulier. Entretien avec Said Guemra, expert conseil en énergie.

 

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Comment les accords signés récemment entre le Maroc et la France renforcent-ils le positionnement du Maroc en tant que fournisseur de solutions énergétiques renouvelables pour l’Europe. Et quels sont les défis principaux à surmonter pour concrétiser cette vision d'un «destin énergétique commun» ?

Said Guemra : Il faut noter dans un premier temps la grande satisfaction des Marocains suite à la confirmation par la France de notre intégrité territoriale. La France autorise ses entreprises à réaliser des investissements très importants au Sahara marocain. Ainsi, de grands projets peuvent être réalisés, très particulièrement dans les domaines des énergies renouvelables et l’hydrogène vert. Les développements des projets avec la France sont des développements avec l’Europe de manière générale, et comme vous le dites, le Maroc et l’Europe ont un destin énergétique commun, qui va se matérialiser tôt ou tard par une grande liaison électrique, et un hydrogénoduc pouvant alimenter l’Europe, de manière fiable et continue, à l’image du gaz naturel. Les accords Maroc-France s’inscrivent dans cette vision royale beaucoup plus large. En ce qui concerne l’hydrogène vert, les productions qui viennent de démarrer en Europe utilisent le réseau électrique dans le cadre de ce que j’appelle l’hydrogène de proximité, avec un coût électrique nucléaire de plus de 50 euros/MWh, et parfois du renouvelable au-delà de 70 euros/MWh. Le Maroc, dans ses régions du sud, ainsi que son concurrent immédiat le Chili dans la région de Magallanes, sont en mesure de produire une électricité verte à 10 euros/MWh, ce qui ne laisse pas les investisseurs insensibles. Cet écart de coût électrique représente une économie de plus de 60 milliards d’euros pour chaque million de tonnes produites au Maroc sur une durée du projet de 25 ans, ce qui est très rassurant pour les investisseurs. Cet important écart de coût va permettre une durée très raisonnable d’amortissement des investissements relatifs à la construction de 1 à 3 hydrogénoducs, reliant Guerguerat à l’Europe, avec la possibilité d’exporter de l’ammoniaque liquide à partir du port de Dakhla en direction des marchés en dehors de l’Europe. Le Maroc peut capter plus de 9% du besoin en hydrogène du monde, évalué à 600 millions de tonnes H2 en 2050, soit 54 millions de tonnes H2/an, dont 20 à 25 millions de tonnes H2/an destinés à l’Europe. Dans cette projection sur 15/20 ans, le besoin du Maroc serait de l’ordre de 10 millions de tonnes H2/an pour la décarbonation du transport, et la production de 25% de son énergie électrique decarbonée et projetée à 2050. On voit bien que le Maroc et la France vont faire atterrir dans le monde réel la grande vision relative au rôle régional clé qui incombe au Maroc, un des grands axes de la vision royale relative à notre transition énergétique de 2009, et qui matérialise toutes les chances de réussite de la transition énergétique des deux continents. Ce qui, bien sûr, ne manquera pas d’impacts positifs sur les économies africaines.

 

F.N.H. : Dans quelle mesure le partenariat avec la France peut-il soutenir l'intégration industrielle et la R&D au Maroc pour réduire les coûts de la décarbonation ?

S. G. : C’est une question fondamentale, qui est relative à la baisse des coûts de production de l’hydrogène. Si les électrolyseurs peuvent fonctionner plus de 8.000 heures /an sur le réseau, ce n’est pas le cas avec les renouvelables en raison de l’intermittence de ces énergies. Pour l’instant, aucune décision finale d’investissement dans les giga projets d’hydrogène n’est prise, en dehors du projet Neom en Arabie Saoudite, de 4 GW, qui représente un investissement de 8,4 milliards de dollars. Plusieurs projets de recherche concernant la production de l’hydrogène sur renouvelables ont été initiés dans le monde, le but étant l’amélioration de la productivité des électrolyseurs avec une électricité intermittente. Dans le cadre des relations MarocPays-Bas, j’ai moi-même réalisé la conception d’un village R&D dans le sud du Maroc, et qui va s’occuper d’un grand nombre de questions relatives à la production de l’hydrogène dans les conditions réelles. Ce centre est doté de plus de 50 projets de démonstration, et va impliquer un grand nombre de pays européens, dont la France bien évidemment. Il est prévu d’industrialiser certains équipements renouvelables, via un cluster qui va permettre de passer à la production de masse. C’est un espace Maroc-Europe qui va permettre à nos chercheurs de passer de la conception à la valorisation industrielle. L’importance de votre question réside donc dans les possibilités de baisse des coûts des équipements de production de l’hydrogène. L’intégration industrielle, qui est une composante fondamentale de l’offre hydrogène du Maroc, peut permettre une seconde baisse des coûts de production de l’hydrogène vert, après celle de la baisse des coûts électriques citée précédemment. Certaines projections très crédibles parlent d’un coût de production de l’hydrogène vert de 1 euro/ Kg, avec un coût de l’électrolyseur à 300 euros/kW en 2050. Ce qui est certain, c’est que le modele économique de production de l’hydrogène n’est toujours pas au point; on parle de segment de coût. En conclusion à cette question, l’intégration industrielle constitue le deuxième levier de compétitivité du Maroc en matière de production de l’hydrogène vert.

 

F.N.H. : Quel serait l’impact pour les investisseurs français et le secteur des énergies renouvelables marocain si les certificats carbone du Maroc étaient reconnus en Europe, dans le cadre du développement du marché carbone local ?

S. G. : Il y a quelques mois, j’avais réalisé une publication qui invitait les Français à investir dans le domaine de la décarbonation au Maroc. La raison est très simple. En France, chaque kWh électrique émet 50 gr de CO2. Au Maroc, et en raison de la dominance du charbon et autres produits pétroliers (79% du mix électrique 2023), chaque kWh émet environ 750 gr de CO2, ce qui veut dire qu’un même montant d’investissement réalisé au Maroc et en France rapportera 15 fois plus de certificats carbone au Maroc. Si les certificats marocains sont reconnus en Europe, et nous devons impérativement batailler pour cette reconnaissance, nous pouvons avoir de grands investissements renouvelables français au Maroc. Par exemple dans l’éolien, avec un surplus de production électrique pouvant aller jusqu’à 40% en raison des excellents facteurs de charge éolien du Maroc, et bien évidemment un plus grand nombre de certificats carbone pouvant être échangés au Maroc et en Europe. C’est un très grand domaine de coopération Maroc-France; c’est du win-win dans la mesure où le Maroc prépare sa sortie du charbon, et que ces investissements vont nous permettre de baisser notre empreinte carbone par kWh électrique produit. Il faut également regarder cette coopération sous l’angle de la decarbonation industrielle, question très urgente, et aucune solution n’est avancée. Il faut également noter que sans un nouveau cadre réglementaire relatif aux énergies renouvelables, la coopération avec la France dans le domaine de la decarbonation va connaitre de sérieuses difficultés à se concrétiser.

 

F.N.H. : En matière de formation dans le domaine de l’efficacité énergétique, comment voyez-vous cette collaboration avec la France eu égard au grand potentiel de réduction de la facture énergétique ?

S. G. : Cela dépend de l’angle d’attaque de cette question. La formation dans ce domaine ne peut comporter des notions de physique théorique. Ce qui est recherché dans ce domaine, ce sont des profils très compétents dans l’instrumentation et la mesure des grandeurs énergétiques. Imaginez chacune de nos usines, un grand bâtiment, disposant d’un Energy manager, qui sait manipuler des compteurs intelligents et l’énergie 4.0 de manière générale, qui va éliminer des pertes énergétiques pouvant atteindre 71% (enregistré dans un batiment à Casablanca). Il manipule la sobriété énergétique, s’assure des rendements des projets d’efficacité énergétique et gère l’énergie renouvelable de son entreprise. C’est le profil recherché dans ce domaine, et ce sont des milliers d’emplois. Leurs salaires sont une partie des économies qu’ils vont réaliser. Un deal : emploi contre performances énergétiques. Le monde a évolué, et on ne peut plus réaliser des audits énergétiques à l’infini. Ce qui est attendu à travers la coopération avec la France, c’est la baisse effective et mesurable des consommations, pour être comptabilisées selon les règles de l’art, de la même manière que les renouvelables. L’apport de la France dans ce domaine sera précieux, dans la mesure où il serait possible de monter des formations conjointes dans le domaine de la gestion digitalisée de l’énergie, la création de sociétés de services énergétiques qui réalisent une veille à distance sur les performances énergétiques de leurs clients. Nos attentes dans ce domaine sont très grandes. 

 

 

 

 

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