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Feuille de route climatique : la méthode Benali

Feuille de route climatique : la méthode Benali

Le 24 juillet à Rabat, lors des Nuits de la Finance, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, a présenté les principaux axes de la feuille de route climatique du Maroc à l’horizon 2035. Elle a détaillé les arbitrages économiques, les priorités sectorielles et les leviers institutionnels sur lesquels repose cette stratégie à long terme, construite dans un contexte de pression budgétaire, de transition énergétique mondiale et de montée des exigences climatiques.

 

Par Y. Seddik

l’ouverture des Nuits de la Finance organisées pour la première fois à Rabat par Finances News Hebdo, la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, n’a pas déroulé un discours convenu. Elle a pris la parole pour poser un cap, dissiper les illusions, assumer les retards et, surtout, formuler une proposition politique claire : la feuille de route climatique du Maroc n’est ni un document technocratique, ni un exercice de diplomatie verte.

C’est une architecture de transition économique, sociale et industrielle pour la décennie à venir. «Si nous ratons cette fenêtre d’opportunité, nous resterons dans une croissance atone et contrainte», lance-t-elle d’emblée. L’enjeu n’est pas de rejoindre un narratif international sur le climat. Il s’agit, pour Benali, d’opérer un véritable «choc de compétitivité» capable de desserrer les étaux énergétiques qui pèsent sur les ménages, les industriels, et les finances publiques.

Le diagnostic est connu : le Maroc importe chaque année pour plus de 3 milliards de dollars d’énergies fossiles. La dépendance énergétique n’est pas seulement une contrainte climatique, c’est un verrou budgétaire et stratégique. Le Maroc dispose d’une feuille route selon sept axes stratégiques, tous alignés avec le nouveau modèle de développement. Le premier pilier reste la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), actualisée après une large consultation citoyenne.

Suivent la stratégie climatique, la feuille de route pour l’économie circulaire, le plan hydrogène vert, la montée en puissance des énergies renouvelables, la modernisation des réseaux électriques et la stratégie gazière. Les chiffres sont parlants : en dix ans, le Maroc est passé de 400 millions à 1,5 milliard de dollars d’investissements annuels dans le secteur énergétique. Le pays a rattrapé son retard sur les objectifs de 2020 et va dépasser les 52% de capacité renouvelable avant 2030. Mais Benali insiste : «Le vrai enjeu, ce n’est pas le pourcentage de renouvelables installées, c’est le prix du kilowattheure. Nous devons abaisser de 70% le coût de l’énergie pour redevenir compétitifs».

 

Une contribution climatique «bancable»

L’une des séquences les plus attendues a porté sur la nouvelle version de la Contribution déterminée nationale (CDN), que le Maroc présentera à la prochaine COP. La ministre ne cache pas sa lassitude face aux anciens «cadres classiques»: «On remplit des tableaux, on liste des projets d’adaptation, on espère des financements… Cela ne fonctionne plus». La nouvelle proposition marocaine vise à rendre la CDN «bancable» : cartographier précisément les projets conditionnels (financés par des partenaires) et inconditionnels (à charge de l’État), croiser ces données avec les coûts d’atténuation carbone, et formuler une offre lisible pour les bailleurs. La discussion ne sera plus seulement technique, mais financière.

Un appel lancé aux institutions de financement du développement, à la Banque mondiale, à la SFI, pour passer d’un rôle d’observateur à un engagement clair sur les taux de retour, la réplicabilité et le partage des risques. «En 2025, dans un contexte électoral mondial et de remise en question du multilatéralisme, il est devenu impératif de repenser notre contribution déterminée nationale (CDN). Elle doit refléter notre réalité, nos priorités et notre ambition climatique, sans se limiter à cocher des cases dans des grilles internationales», précise-t-elle.

En termes de retour sur investissement, les projets dits «conditionnels», c’est-àdire dépendants de financements internationaux, sont parfois plus rentables que ceux financés sur ressources propres. Un paradoxe qui, selon elle, freine parfois leur mise en œuvre. Cette situation soulève plus largement la question de l’efficacité des mécanismes actuels de financement climatique, souvent jugés trop rigides ou déconnectés des priorités réelles des pays émergents.

Autre chantier souligné par la ministre : la nécessaire réforme de la planification électrique nationale. Trop longtemps, la stratégie de déploiement des énergies renouvelables a été conduite en silo, sans articulation claire avec les besoins industriels, le développement régional ou les contraintes du réseau. «Nous devons sortir d’une logique purement capacitaire et aller vers une planification intégrée, à la maille du territoire», a-t-elle affirmé.

Cela implique d’aligner les projets solaires, éoliens ou hydrogène avec la disponibilité des infrastructures électriques, la demande locale et les besoins futurs en flexibilité. Dans cet esprit, le ministère coordonne étroitement avec l’ONEE et les régions afin de mieux planifier les investissements, anticiper les congestions et optimiser le coût global du système.

 

Afrique, privé, jeunesse : les nouveaux leviers

Par ailleurs, Leila Benali n'élude pas non plus la question démocratique. Elle défend un «modèle de réforme par le bas», fondé sur la régionalisation, la déconcentration administrative et l’inclusion de la jeunesse, y compris la diaspora. Pas pour des raisons symboliques, mais parce que ce sont les territoires qui exécuteront la transition, à travers des projets adaptés, financés, ancrés localement. «Ce n’est pas un luxe, c’est une obligation», martèle-t-elle.

Même franchise sur le secteur privé : «L’élan actuel est insuffisant. Il y a de l’appétit, mais il faut lui envoyer des signaux clairs. Si on recule sur des réformes comme le ‘zéro mika’ ou si on ne met pas en œuvre le principe du pollueur-payeur, on dissuade l’investissement vert». La ministre rappelle également une réalité souvent occultée : l’Afrique ne pèse que 4% des émissions mondiales, mais supporte plus de 5% des impacts climatiques en part de PIB. «L’Afrique subit une double discrimination : elle est la moins polluante mais aussi la moins équipée. Or, on lui demande de faire les plus gros efforts», souligne-t-elle.

Pourtant, les financements restent faibles, et les pays du Sud marginalisés dans les négociations multilatérales. D’où une stratégie marocaine proactive : proposer à la COP un nouveau cadre, construit non sur le consensus mou, mais sur la bancabilité, la territorialisation et l’accès équitable aux financements. Le Royaume propose également des cadres ESG adaptés aux réalités africaines, notamment dans le secteur minier, stratégique pour la transition énergétique mondiale. Au final, Leila Benali revendique une ligne «non idéologique, mais profondément politique».

Les technologies sont là. L’appétit du secteur privé aussi. Ce qu’il manque encore, c’est une coalition d’acteurs capables de transformer des ambitions en chantiers concrets. La ministre ne cache en effet ni les retards ni les faiblesses du système, mais elle défend avec détermination une vision cohérente, basée sur des réformes institutionnelles, réglementaires et opérationnelles, inscrites dans le temps long. Elle conclut : «Notre manière de gérer la bancabilité de notre feuille de route climatique est critique pour la transition économique et sociale du Maroc». 

 

Une gouvernance énergétique remise à plat
Depuis sa nomination, Leila Benali a engagé une refonte profonde de l’architecture institutionnelle du secteur. Plusieurs agences ont été réorganisées, les mandats clarifiés, les redondances réduites. Objectif : passer d’un modèle fragmenté à une gouvernance coordonnée, capable d’aligner la stratégie, la régulation, l’investissement et la mise en œuvre. L’actualisation des textes législatifs, en particulier ceux sur l’électricité, l’hydrogène ou le gaz, vise à créer un cadre unique, lisible pour les investisseurs et opérateurs publics. La ministre parle d’«une transformation majeure, menée sans tapage, mais avec méthode». Résultats : des décisions plus rapides, une gestion plus rigoureuse et une exécution plus fluide à l’échelle des territoires.

 

 

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