Entretien avec Patricia Itureggui, avocate de formation et experte en politique pour le changement de la planète et conseillère scientifique sur le changement climatique du gouvernement péruvien, en marge de la COP21.
Finances News Hebdo : Vous avez participé à la COP depuis 1995 et vous étiez présente à Marrakech en 2001 lors de la COP7. Comment s’annonce la COP22 ?
Patricia Itureggui : COP22 sera très importante et le Maroc a un grand rôle à jouer car il est déjà expérimenté à plusieurs titres, ayant accueilli la COP7 en 2001. Certainement, l’expertise des Marocains sera utile. Le Royaume a clairement montré l’exemple en mettant en place des politiques innovantes pour augmenter l’utilisation des énergies renouvelables de façon significative. Les pays qui ont accueilli plus d’une fois la COP ne sont pas très nombreux. L’Inde en avait fait partie. Les pays se portent candidats, mais sont ensuite sélectionnés par les Nations Unies sur la base de leurs infrastructures ainsi que des projets d’évolution qu’ils proposent de mettre en oeuvre. La capacité d’organisation du pays hôte est très importante et largement prise en compte.
F.N.H. : Quel bénéfice le Pérou, votre pays, a-t-il concrètement tiré en ayant accueilli la COP20 ?
P. I. : Les pays qui ont accueilli la COP, ont bénéficié d’une plus grande visibilité dans le monde et ont eu accès à de nombreuses informations. Dans le cas du Pérou, le bénéfice de la COP se résume en un grand soutien politique au plus haut niveau mondial, ainsi qu’une plus grande sensibilisation de la population concernant les problèmes du changement climatique. Une chose importante consiste à ne pas parler uniquement du changement climatique, mais l’essentiel est d’agir sur le terrain pour faire face à ces changements. Les bénéfices pour le pays sont alors immenses.
Les décisions doivent être planifiées stratégiquement pour contrôler les émissions de CO2. Les pays en développement, sont confrontés à plusieurs déficits dans les infrastructures, ressources humaines, dans la santé et éducation. Aussi, une approche pour réduire les effets des changements climatiques apportera-t-elle un soutien à tous ces domaines. Elle mérite donc d’être faite de la meilleure façon. Dans le cas contraire, cela impactera le pays et le maintiendra prisonnier de technologies polluantes au détriment de la santé de sa population et causera des dégâts même sur sa compétitivité.
Le monde a assurément commencé à s’orienter vers la décarbonisation. Donc, si un pays a besoin d’infrastructures, il devrait aller directement vers des technologies décarbonisées. Ainsi, même si l’investissement initial est plus élevé à long terme, le gain sera vraiment considérable. Les infrastructures gagneront donc à être résilientes à l’impact du changement climatique. Ceci protègera la population et le pays de grands dommages.
F.N.H. : Cela s'est-il pour autant traduit par un changement de mentalité ?
P. I. : Les mentalités n’ont peut-être pas changé pour la totalité de la population mais pour au moins 60%. Les gens sont devenus plus conscients du futur. Les pays en voie de développement sont en général un peu moins portés sur la planification de leur futur, mais grâce aux discussions qui ont été menées, la population a pris conscience de l’importance de ces sujets. L’opinion publique a changé et a compris qu’il était nécessaire de mettre en place des actions.
Les médias ont, eux aussi, beaucoup appris. Le pays qui accueille une COP doit également investir pour diffuser ces informations et les partager avec sa population afin de la faire participer aussi activement que possible. La formation de ses fonctionnaires sera très importante pour relayer l’importance des mesures et investissements à entreprendre. Des dialogues au niveau national sont très utiles pour sensibiliser l’opinion publique. Le Pérou a gagné en visibilité et ce qu’il produit est devenu plus connu. Le tourisme a pu être développé également. Une synergie a été créée entre la sensibilisation nationale et internationale mettant le pays en bonne position pour négocier, investir et même accéder aux financements pour son développement.
F.N.H. : Quelles recommandations feriez-vous au pays hôte de la prochaine COP, le Maroc ?
P. I. : Il est nécessaire que le pays qui organise la COP sensibilise sa population. Un effort supplémentaire est requis pour impliquer la population. Je suis certaine que le Maroc sera très avantagé par cet évènement.
F.N.H. : Vous avez participé à la plupart des COP, quelle a été votre contribution ?
P. I. : Je souhaite à présent avoir plus de recul et aider mon pays à respecter ses engagements. J’ai commencé par l’international puis me suis rapprochée de mon pays. A présent, j’ai compris que le plus important est de faire la différence car c’est de ce point essentiel que part toute la chaîne de bénéfices.
F.N.H. : Quel message d’espoir pouvez-vous partager avec les Marocains ?
P. I. : Le résultat de l’Accord de Paris a été obtenu grâce à une grande capacité d’écoute et d’espoir. Bien sûr, le changement climatique est une menace réelle et grave pour l’humanité. La pauvreté est au coeur du défi, car il est clair que les problèmes de changements climatiques augmenteront la pauvreté, qui provoquera à son tour plus de changements climatiques. Les 2 phénomènes sont étroitement liés. Le Maroc est bien désigné pour accueillir la prochaine COP du fait de sa capacité à représenter toutes les religions. Nous croyons de plus en plus qu’une grande place doit à présent être accordée à l’éthique : les peuples de toutes les religions doivent parler d’une seule voix pour que certains paradoxes cessent.
En effet, si l’aide financière promise pour le développement des énergies durables est importante, celle maintenue en parallèle pour soutenir les énergies fossiles est encore plus grande. C’est donc là qu’un vrai changement doit s'opérer. Ainsi, le message que nous livre la COP21 est qu’il est grand temps de construire une nouvelle économie qui permette de faire des bénéfices tout en préservant l’environnement. opter pour une économie qui réduise la pollution et la pauvreté peut se faire progressivement. Voir le monde comme une seule maison, c’est la meilleure façon et aussi la plus naturelle, pour agir en tant qu’êtres humains
De notre correspondante à Paris, Laura Agroum