Produire l'eau dont les grandes villes et les secteurs agricoles et industriels ont besoin, exige une quantité d’énergie colossale.
Par Désy M.
Le Maroc est en pleine transformation face à une crise hydrique aigue. Après des années de sècheresse prolongée et des pluies de plus en plus rares, le pays a pris une décision cruciale : accélérer les projets de dessalement de l’eau de mer pour répondre à une demande croissante en eau. Des stations de dessalement existent déjà, comme celle de Chtouka-Aït Baha destinée à approvisionner le grand Agadir, mais le nombre de projets en cours s'est accéléré. Les autres villes côtières, telles que Casablanca, Safi et Dakhla deviendront des épicentres de cette nouvelle infrastructure, avec une ambition de produire 1,3 milliard de m³ d'eau dessalée par an d'ici 2030.
«Durant les sept dernières années, le Maroc a connu une très forte baisse de la pluviométrie, qui a conduit le gouvernement à faire appel à la construction de stations de dessalement de l’eau mer, pour faire face de manière prioritaire aux besoins en eau potable estimés à 1.600 millions de m³/an. L’objectif étant de pouvoir assurer 50% de ses besoins, soit 800 millions de m³/an, avec le dessalement de l’eau de mer», affirme le docteur Saïd Guemra, expert Conseil en management de l’énergie. Ces projets sont un pilier essentiel dans la stratégie nationale de gestion de l’eau, mais ils posent une question déterminante : le Maroc a-t-il les capacités énergétiques nécessaires pour mener à bien ses ambitions ? Le dessalement est en effet énergivore. L'osmose inverse, la technologie majoritairement utilisée au Maroc, consomme environ 4 kWh par m³ d'eau produit. En d’autres termes, produire l'eau que pour les grandes villes et les secteurs agricoles et industriels exige une quantité d’énergie colossale.
«Les 10 projets de stations en cours de développement auront un besoin électrique annuel de 1,57 TWh/an, nécessitant une capacité renouvelable de 450 MW, voire 900 MW pour atteindre l’objectif de 800 millions de m³/an, soit 50% des besoins actuels», précise Saïd Guemra. Le Maroc peut-il répondre à ces exigences énergétiques ? En matière d’énergie, le Maroc n’est pas sans atouts. Le pays est reconnu comme un leader africain dans les énergies renouvelables, notamment avec son ambitieux complexe solaire Noor à Ouarzazate, l’un des plus grands au monde, et ses parcs éoliens qui s’étendent le long des côtes atlantiques.
D’ici 2030, le Maroc prévoit de couvrir 52% de ses besoins énergétiques à partir de sources renouvelables. À la question de savoir si ces infrastructures sont suffisantes pour supporter l’énorme demande des stations de dessalement, Guemra apporte un éclairage pragmatique : «le Maroc ne dispose pas aujourd’hui de 900 MW renouvelables pour satisfaire les besoins des stations de dessalement. L’autoroute électrique entre Dakhla et Casablanca, dotée d’une puissance de 3.000 MW, va donc répondre aux premiers besoins de 450 MW, puis de 450 MW supplémentaires. Le choix de Dakhla est pertinent car cette ville dispose de grandes ressources en vent et soleil». La région de Dakhla, où les projets de parcs éoliens et solaires sont en pleine expansion, devient ainsi un point stratégique dans la bataille énergétique du Maroc.
Le projet de cette «autoroute électrique», qui reliera Dakhla à Casablanca sur 1.400 km, est d'une importance capitale. Ce câble devrait permettre de transporter jusqu'à 3.000 MW, dont une grande partie sera dédiée aux stations de dessalement. L’expert estime que «plus de la moitié de la puissance du câble, soit 1.800 MW, devra être réservée aux futures stations, permettant ainsi de couvrir 75% des besoins en eau potable (en base 2023), si la sécheresse perdure». Cette infrastructure colossale pourrait non seulement satisfaire les besoins des stations actuelles, mais aussi anticiper une augmentation de la demande en eau pour les villes, l’industrie et l’hôtellerie.
Une course contre la montre pour synchroniser les projets
Toutefois, la réalisation de ces projets exige une coordination sans faille. Le Maroc doit simultanément développer ses capacités renouvelables à Dakhla, construire le câble électrique, et mettre en service les nouvelles stations de dessalement. Guemra avertit qu’«il y a urgence en la matière. La construction du câble, le développement de 3.000 MW renouvelables à Dakhla et les stations de dessalement doivent se faire de manière synchronisée, d’ici à 2030, au risque de faire entrer le pays dans une difficulté nettement plus prononcée».
Signalons que la synchronisation est un défi logistique, mais également un impératif stratégique. Si les stations de dessalement sont prêtes avant que l’infrastructure énergétique soit pleinement opérationnelle, le Maroc pourrait se retrouver face à un goulet d’étranglement, avec des stations prêtes à fonctionner mais sans l’énergie nécessaire pour les alimenter. À l’inverse, retarder les projets de dessalement au profit du développement énergétique risquerait d’aggraver la crise de l’eau. Malgré ces défis, le Maroc est bien placé pour surmonter cette crise. En se concentrant sur une utilisation efficace des énergies renouvelables, le Royaume peut non seulement répondre à ses besoins en eau potable, mais aussi réduire la dépendance aux énergies fossiles coûteuses et polluantes. Le coût de l’électricité pour le dessalement, selon Saïd Guemra, peut être significativement réduit avec les renouvelables. Il estime que l’usage des renouvelables (0,40 DH/kWh) peut ramener le coût électrique à 1,6 DH/m³, soit une réduction de 57% par rapport à l’électricité conventionnelle.