La patronne du FMI Christine Lagarde a fait carrière en brisant les plafonds de verre dans les couloirs de la finance internationale. Imposant un style empreint de féminisme, elle s'apprête maintenant à prendre les rênes de la Banque centrale européenne (BCE).
Première femme à piloter le prestigieux cabinet d'avocats d'affaires Baker McKenzie, première à occuper le poste de ministre français de l'Economie et des Finances (2007-2011) sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle fut aussi la première femme à être nommée, en 2011, directrice générale du Fonds monétaire international.
Le magazine Forbes l'avait consacrée en 2018 troisième femme la plus puissante au monde.
Un an plus tard, à 63 ans, Christine Lagarde, reconnaissable à ses cheveux courts argentés, ses vêtements haute-couture et son large sourire, va devenir la première femme à prendre la tête de la prestigieuse BCE pour huit ans.
Offrant le visage consensuel d'une femme végétarienne, sportive, non-fumeuse, Mme Lagarde a pourtant dû convaincre les sceptiques à son arrivée à Washington -- c'est une politique pas une économiste -- et redorer le blason de l'institution.
Quand elle arrive en 2011, elle trouve en effet un FMI traumatisé par le scandale sexuel qui a emporté son chef, un autre Français, Dominique Strauss-Kahn. Et l'institution est au coeur de la gestion des répliques de la Grande récession.
"Elle a su imposer le calme sans se poser en personne moralement supérieure", se souvient-on en interne.
"Elle est aujourd'hui très appréciée car elle a apporté une touche d'humanité", ajoute-t-on.
- Plus de femmes -
Mme Lagarde a aussi mis davantage en avant les problématiques sociales, évoquant sans ambages les inégalités aux Etats-Unis ou la nécessité de maintenir des dépenses sociales dans les plans de réformes économiques en Argentine par exemple.
Son CV exemplaire est seulement entaché par une décision de la justice française qui l'a déclaré coupable en décembre 2016 d'une "négligence" très coûteuse pour les deniers publics quand elle était ministre, dans un dossier mêlant l'homme d'affaires Bernard Tapie et la débâcle du Crédit lyonnais. Par égard pour sa "réputation internationale", elle a été dispensée de peine.
Cette mère de deux fils, l'un dans la restauration, l'autre architecte, a refait sa vie à 50 ans avec l'homme d'affaires français Xavier Giocanti.
C'est avec son mandat au FMI, renouvelé en juillet 2016, que sa carrière prend une nouvelle dimension.
Sans relâche, études chiffrées à l'appui, elle explique pourquoi les femmes sont essentielles à la croissance économique.
Au risque de froisser ses collègues masculins, elle n'hésite pas à dire que s'il y avait eu des femmes à la tête de la banque Lehman Brothers, il n'y aurait pas eu de crise financière mondiale, en tout cas d'une telle ampleur car les femmes ont une approche du risque différente.
Elle n'hésite pas non plus à citer des exemples personnels pour illustrer son propos.
Face aux dirigeants, elle s'exprime dans un anglais impeccable. Le 8 mars, elle confie pourtant à une foule réunie au Fonds à l'occasion de la journée internationale de la femme, que son niveau était médiocre adolescente, surtout pour la fille d'un professeur de littérature anglaise.
Elle fait aussi volontiers part de ses échecs (elle a raté deux fois le concours d'entrée à la grande école française Ena) ou des contretemps nécessaires dans sa carrière.
- Touche personnelle -
"Je l'ai réalisé chez Baker quand, n'ayant pas rapporté assez de clients parce que j'étais devenue mère, on m'a annoncé que je ne pourrais pas être +associée+, qu'il fallait attendre une année de plus", a-t-elle expliqué récemment.
En tant que directrice générale du FMI, elle a plaidé pour l'orthodoxie financière aux quatre coins du globe, et spécialement en Grèce, quitte à froisser ses anciens partenaires européens.
Son franc-parler sera aussi à l'origine d'un tollé quand elle appellera les Grecs, essorés par les plans d'austérité, à payer tous "leurs impôts" ou quand elle reprochera implicitement aux autorités de ne pas se comporter en "adultes".
C'est d'ailleurs d'Athènes que sont venues les attaques les plus virulentes contre l'action du FMI, accusé d'avoir une "responsabilité criminelle" dans la situation du pays.
Dans un autre dossier --l'Argentine--, tirant les leçons du passé, elle prend soin de marteler que le programme de réformes est "celui des Argentins".
Publiquement, elle se garde bien de prendre une quelconque position politique notamment sur la crise au Venezuela mais dénonce la guerre commerciale sino-américaine qui menace la croissance mondiale.
Si elle maîtrise ses interventions dans les médias, elle y évoque volontiers sa sphère intime.
"Je tiens à le dire à vos lectrices: on peut être monumentalement heureux, à tous points de vue, mentalement, physiquement, sexuellement, à 50 ans et bien au-delà", a-t-elle déclaré au magazine Elle en avril dernier en France.
Et de confier avec humour qu'elle profite des trajets en ascenseur pour travailler... ses fessiers.
Washington (AFP)